Destination fin du monde, de Robert Silverberg

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une nouvelle de Robert Silverberg, dont j’ai déjà eu l’occasion de te parler lorsque j’ai évoqué Le Dernier chant d’Orphée.

Destination fin du monde


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Le Passager Clandestin, que je remercie pour leur envoi !

Robert Silverberg est un écrivain américain né en 1935. Il écrit principalement de la fantasy et de la science-fiction. Sa carrière est extrêmement prolifique, avec plus de 450 nouvelles et 90 romans. Il a reçu quatre fois le prix Hugo, cinq fois le Nebula, et neuf fois le prix Locus, qui sont les trois prix les plus importants dans la sphère de l’imaginaire américaine, et il a également reçu un prix Damon Knight Memorial Grand Master en 2003 pour l’ensemble de son œuvre.

Parmi ses œuvres les plus connues, on peut citer le cycle de Majipoor (1980-2013), Les Monades Urbaines (1971), ou encore Roma Aeterna (2003).

La nouvelle dont je vais vous parler aujourd’hui, « Destination fin du monde », a été publiée en 1972 dans l’anthologie Universe 2. En France, sa première traduction, par Bruno Martin, remonte à 1975, dans l’anthologie Futurs : année zéro. La traduction de la présente édition est de Michel Deutsch, et a été révisée par Pierre-Paul Durastanti. Les éditions du Passager Clandestin l’ont reprise pour la collection Dyschroniques, spécialisée dans la republication de récits courts qui interrogent l’avenir politique et sociétal et s’inscrivent encore aujourd’hui dans l’actualité malgré leur ancienneté. Elle est accompagnée d’une préface de l’auteur.

En voici la quatrième de couverture :

« La fin du monde ? Un sacré spectacle, les enfants ! »

Dans un avenir proche, des jeunes couples friands de divertissements en tous genres sont réunis à l’occasion d’une soirée. Au centre des discussions, une distraction inédite tout juste expérimentée par la plupart d’entre eux : les agences de voyages temporels proposent désormais une nouvelle destination. En trois heures de temps, il est possible d’aller assister, à bord d’un vaisseau, à la fin du monde. Mais, les récits des voyageur·ses ne concordent pas. Tandis que les invité·es décrivent et comparent, à l’aune de leur caractère spectaculaire, les paysages mortifères contemplés, de l’extérieur arrivent des nouvelles alarmantes (catastrophes naturelles, épidémies…) mais qu’ils semblent totalement ignorer. »

Mon analyse rapide de la nouvelle traitera de la manière dont l’auteur représente la fin du monde comme un divertissement.

L’Analyse


L’Apocalypse comme divertissement


« Destination fin du monde » met littéralement en scène l’apocalypse (oui oui), de deux manières différentes, qui contrastent l’une avec l’autre. La nouvelle a été écrite dans les années 1970 pour tourner en dérision des éléments de la société américaine de l’époque de la guerre du Vietnam. Robert Silverberg s’attaque notamment l’aliénation engendrée dans une société de consommation, centrée sur le divertissement et plus sur les événements qui la frappent. On peut alors rapprocher la nouvelle de l’essai La Société du spectacle de Guy Debord, qui traite de l’aliénation de la population par l’accumulation de marchandises et de « spectacles » qu’elles engendrent.

Parmi les deux types de fins du monde décrits par l’auteur, on trouve des apocalypses au présent et immédiatement contemporaines de ses personnages, avec des guerres meurtrières qui se déclarent, de multiples épidémies, des catastrophes naturelles telles que des séismes, ou encore des assassinats de présidents américains. Ces événements sont décrits ou mentionnés de manière rapide par les personnages du récit, qui les apprennent au téléphone ou à la télévision. Les nouvelles se font d’ailleurs de plus en plus aggravantes à mesure que le récit progresse. Cependant, les personnages ne semblent ressentir aucune tension quant aux événements dramatiques qui les entourent, et se concentrent sur la description de leur divertissement, à savoir l’observation de différentes fins du monde.

En effet, la situation d’énonciation de la nouvelle est une soirée organisée par « Mike et Ruby », un couple de bourgeois américains moyens, au cours de laquelle les invités relatent leur expérience d’un nouveau type de divertissement, « aller voir la fin du monde », qui permet, en s’installant dans une machine, d’aller observer un futur dévasté. Les différents personnages du récit n’ont cependant pas tous vu les mêmes cataclysmes, et confrontent alors leurs visions, de la même manière qu’ils pourraient partager leurs impressions sur les derniers films qu’ils ont vus au cinéma.  

L’auteur décrit de manière successive différentes apocalypses spectaculaires, telles qu’une montée drastique des eaux, le soleil qui devient une supernova, une explosion de la Lune (oui oui), et des mers devenues toxiques. On remarque que ces catastrophes ont lieu dans des futurs lointains, alors que l’Homme ne peuple plus la Terre, mais elles sont évoquées comme un divertissement par les personnages, fascinés par des mondes qu’ils perçoivent comme merveilleux (qui a dit sense of wonder ?), alors même que leur propre monde s’effondre.

Un contraste s’observe alors d’une part entre la gravité des faits qu’ils ont vécus, la manière dont ils les évoquent, mais également entre la façon dont ils vivent et les catastrophes qui se déclenchent autour d’eux.

Leur attitude apparaît totalement oisive et déconnectée de la réalité, puisqu’ils ne se soucient pas des drames qui surviennent, mais elle montre également comment une population peut être aliénée par le divertissement et le spectacle permanent, puisque la fin du monde devient une source de divertissement et un objet de consommation comme un autre. Cela témoigne de la superficialité des personnages, qui représentent un pan de la bourgeoisie des Etats-Unis dont Robert Silverberg se moque, mais également de la capacité du marché à transformer tout et n’importe quoi en produit de divertissement.

L’auteur met également en scène un paradoxe, puisque l’observation de la fin du monde devient un objet de consommation parallèlement au fait que le monde contemporain s’effondre. La manière dont la société de consommation (et les doctrines économiques et politiques qui la sous-tendent) phagocyte la société pour en faire des produits est également traitée en science-fiction de l’extrême contemporain, par des auteurs comme Jean Baret dans la trilogie Trademark, qui comprend les romans BonheurTM, VieTM, et MortTM.

Le mot de la fin


« Destination fin du monde » est une nouvelle de Robert Silverberg datant des années 1970. Il y dépeint un monde en proie à des catastrophes de plus en plus graves (guerres, épidémies, catastrophes naturelles), totalement ignorées par une bourgeoisie qui se divertit en contemplant des fins du monde lointaines, qui sont devenues une source de divertissement et un moyen de consommation comme un autre. L’auteur montre alors la manière dont le marché s’approprie des événements pour les transformer en source de divertissement oisif, alors que le monde s’effondre.

Je vous recommande la lecture de cette nouvelle, surtout en ces temps catastrophiques qui montrent qu’elle conserve son actualité.

Vous pouvez également consulter les chroniques de Dionysos, Aelinel

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