Bonheur TM, de Jean Baret

Salutations, lecteur. As-tu déjà eu l’occasion de lire un roman qui te fait l’effet d’un coup de poing en plein ventre, qui fait remonter la bile de ton estomac en même temps qu’il te fait rire ? Aujourd’hui, je vais te parler de l’une de ces œuvres. Accroche-toi bien.

BonheurTM, de Jean Baret

 

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Introduction

 

Les indications biographiques que je donne ici sont issues de l’entretien de l’auteur avec son éditeur Cet entretien comporte également des clés d’analyse et de lecture très intéressantes. Je n’en ai pas trouvé ailleurs, sinon sur la quatrième de couverture du roman.

Jean Baret est un auteur français qui a grandi pendant les années 1980, avec tout ce que cela implique, c’est-à-dire la découverte des « univers imaginaires », qui sont à l’époque en pleine expansion, grâce aux jeux de rôle, au jeux-vidéo, aux comics, et à la littérature. En parallèle de sa carrière d’auteur, il pratique la musculation et est avocat. Avant la publication de Bonheurtm au Bélial’, il a publié six romans d’anticipations aux éditions Apopsix, dont l’objectif était de mettre en scène « une critique sociale féroce » (vous constaterez que le roman dont je vais vous parler est également de cette trempe). Il a également publié certaines de ses nouvelles dans des anthologies.

Le roman Bonheurtm est le premier tome d’une trilogie conceptuelle, la « trilogie Trademark », c’est-à-dire que chaque roman de cette trilogie peut être lu indépendamment sans connaissance des deux autres, mais forme avec ceux-ci un ensemble de réponses à la question du sens de la vie. Les deux autres romans de cette trilogie n’étant pas encore sortis, je ne peux pas encore me prononcer sur l’ensemble d’entre eux et des réponses qu’ils fournissent, aussi vais-je passer à la quatrième de couverture du roman en lui-même :

« Demain. Quelque part dans la jungle urbaine…

Il ouvre les yeux. Se lève. Y a du boulot…

« Avez-vous consommé ? » Il contemple l’hologramme aux lettres criardes qui clignotent dans la cuisine sans parvenir à formuler la moindre pensée.

« Souhaites-tu du sexe oral ? »

La question de sa femme l’arrache à sa contemplation. Il réfléchit quelques secondes avant de refuser la proposition : il a déjà beaucoup joui cette semaine et il n’a plus très envie. Sans oublier que le temps presse.

Sa femme lui demande de penser à lui racheter une batterie nucléaire. Une Duracell. Il hoche la tête tout en avalant son bol de céréales Weetabix sur la table Microsoft translucide qui diffuse une publicité vantant les mérites d’une boisson caféinée Gatorade propice à l’efficacité. Il se lève, attrape sa femme, lui suce la langue pendant de longues secondes, puis enfile sa veste Toshiba – son sponsor de vie – et se dirige vers la porte. Dans le ciel encombré, sur les façades des tours, sur le bitume, ou simplement à hauteur d’homme, des milliers d’hologrammes se déplacent lentement au gré de courants invisibles au cœur des monades grouillantes.

Il est flic. Section des « Crimes à la consommation », sous-section « Idées ». Veiller à la bonne marche du monde, telle est sa mission. Autant dire que la journée promet d’être longue…

Jean Baret est un prophète, une voix sans pareille dans le concert de l’anticipation sociale et culturelle. Peut-être, enfin, le renouveau d’un genre SF qui balbutie trop souvent son futur. Avocat au barreau de Paris, culturiste et nihiliste – l’un ne découlant pas forcément de l’autre – il est le rejeton improbable du Chuck Palahniuk de Fight Club et du Philip K. Dick d’Ubik. Avec BonheurTM, premier jalon de la trilogie Trademark, roman coup de poing visionnaire et syncopé aussi hilarant qu’effrayant, il nous offre le miroir à peine déformé de nos sociétés modernes en bout de course : rien moins qu’une révolution. »

Je vais vous le dire d’entrée de jeu pour ne pas que vous soyez étonnés de ma chronique très élogieuse, j’ai adoré le roman, il m’a vraiment fait l’effet d’une claque monumentale, et c’est l’effet de cette claque que je vais essayer de vous transmettre dans mon analyse.

Je vais d’abord vous parler du cyberpunk extrême et actualisé que présentent l’univers et la société de Bonheurtm, ainsi que les représentations de catégorisation et d’individualisation, qui sont également extrêmes. Cet article risque d’être très long, mais je tenais absolument à aborder un certain nombre de détails qui me semblent importants. Vous verrez également que je ne traite pas tout, parce que premièrement, le roman est incroyablement dense et riche, et que deuxièmement, je ne veux pas complètement gâcher votre plaisir de découverte !

L’Analyse

 

Un cyberpunk actualisé et extrême

 

Avant de décrire précisément le cyberpunk du roman de Jean Baret, il convient de donner une définition précise de ce qu’est le genre du cyberpunk. Pour cela (et parce que mon blog constitue un moyen d’acquérir une certaine méthode universitaire), je vais m’appuyer sur ce que dit l’encyclopédie de la science-fiction en ligne de ce genre, ainsi que sur Le Guide des genres et sous-genres de l’imaginaire de l’estimé Apophis, et m’efforcer de faire une synthèse correcte de ces deux sources d’informations, que je vous invite d’ailleurs à consulter par vous-mêmes, je ne peux malheureusement pas vous donner les définitions ici, principalement parce que ma chronique deviendrait monstrueusement longue.

Le cyberpunk est un sous-genre de la science-fiction né dans les années 1980, né sous la plume K. W. Jeter (Dr Adder, 1984), Bruce Sterling (Schismatrice, 1985) et surtout, du Neuromancien (1984) de Wiliam Gibson, qui a popularisé les codes de ce genre tels qu’on les conçoit. Le cyberpunk met en scène un monde qui se situe dans un futur proche gouverné par les grandes entreprises et le libéralisme économique, ce qui donne à ce type d’œuvre un aspect assez (voire carrément) dystopique, et qui fait la part belle à la technologie cybernétique (univers virtuels, implants mécaniques et prothèses, informatique extrêmement développée) mais aussi biologique dans des romans ultérieurs (manipulations génétiques, traitements hormonaux, reconfiguration de l’organisme). L’esthétique du genre repose donc sur un homme cybernétique, déshumanisé par son aspect mécanique, mais aussi par son manque de liberté lié au pouvoir écrasant et corporatiste des entreprises, dans un monde à la fois sombre et (souvent) bardé de néons. Le roman cyberpunk met souvent en scène un personnage principal issu des marges c’est-à-dire un personnage qui ne s’ancre pas pleinement dans le système et qui veut (ou finit par vouloir) le renverser, d’où le côté -punk du genre.

Voilà pour la définition du cyberpunk que je qualifierai de « traditionnel ». Maintenant, je vais vous montrer en quoi Bonheurtm peut être rattaché à ce genre de par un grand nombre de ses caractéristiques, mais également en quoi il s’en différencie (cette démonstration va s’opérer dans les deux parties).

Le monde mis en scène par le roman de Jean Baret est dépeint comme le nôtre, dans un futur assez proche. L’auteur opère le rattachement entre son monde et le nôtre par le biais de références culturelles variées, qui nous contemporaines et familières et qui apparaissent dans le décor ou au détour des dialogues, avec notamment le « quidditch » (Harry Potter de J. K. Rowling), la psychohistoire (Fondation d’Isaac Asimov), les « snuff movies », Nilfgaard et le gwynt (The Witcher, jeu-vidéo mais également romans d’Andrej Sapkowski), les divinités lovecraftiennes, Dragon Ball, les Epic Rap Battle of History, Truman Show (film de Peter Weir), Pokemon (jeu-vidéo édité par Nintendo et développé par Game Freaks). Toutes ces références permettent d’ancrer la culture de Bonheurtm et celle de notre époque dans une continuité pour nous donner une impression de familiarité, tout comme la présence des marques (Toshiba, Walmart, Huawei, Microsoft, Pepsi…) et de leurs slogans, mais je reviendrai sur ce point plus tard.

Le futur dépeint par le roman est très technologique, avec une omniprésence des hologrammes, qui se trouvent dans les rues, dans les voitures, dans les appartements, dans les ascenseurs, des pilules nutritives, de la nourriture à base d’insectes (les fameux « insectes Weetabix »), mais également et surtout, une technologie d’ingénierie mécanique et génétique qui s’est extrêmement développée. Cela contribue à déjà rattacher le roman au genre du cyberpunk, mais ce qui rattache le roman à ce genre, c’est sa mise en scène d’une économie néo-libérale (je vous invite à vous documenter sur le sujet par vous-mêmes car mes maigres connaissances en économie ne permettront pas de faire une synthèse correcte) poussée à l’extrême.

En effet, le monde de Bonheurtm est littéralement dirigé par la consommation, puisque celle-ci est rendue légalement obligatoire (vous pouvez donc être un hors la loi si vous ne consommez pas assez), ce qui fait que les citoyens ont un quota de produits à acheter s’ils ne veulent pas avoir de problèmes avec la justice. Par conséquent, certains d’entre eux « consomment » au hasard, c’est-à-dire qu’ils achètent des produits par défaut, d’une certaine façon. Le roman créé donc une société de consommation extrême, dont l’un des commandements est « Avez-vous consommé ? », qui est martelé dans presque chapitre. Cette consommation extrême est également appuyée par l’omniprésence de la publicité, les « holo-pubs » sont partout et doivent être visionnées par les citoyens selon des quotas précis, mais également l’omniprésence des marques qui deviennent des sponsors de « services », mais aussi des « sponsors de vie », qui passent des contrats avec les citoyens pour qu’ils portent leurs couleurs et leurs « slogans ». Les « sponsors » vont même jusqu’à supplanter l’identité propre des personnages, puisqu’ils utilisent le nom de leur sponsor pour communiquer, et pas leur nom ou leur prénom (« Toshiba », « Walmart », « Guerlain »…). La présence des marques s’observe donc même au cœur de l’identité des personnages, mais également à travers les objets de consommation, dont la marque est toujours précisée en épithète. On observe ici le processus de déshumanisation mis en scène dans le cyberpunk, mais poussé jusqu’à l’extrême.

La consommation extrême du roman s’observe également dans le fait que tout se monnaye ou peut être monnayé, c’est qu’on voit à travers les publicités ou l’émission « The Shot Heard Round the World » que les personnages écoutent, qui montrent par exemple que l’on peut payer pour tuer des clones de personnes que l’on déteste, on peut transformer des manifestations, des attaques terroristes ou même des violences entre gangs en manne d’argent en ouvrant des « paris » à leurs propos (on peut même parier en direct), et on peut même parier sur le nombre de morts lors de guerres, qui semblent organisées comme une sorte de sport (j’y reviendrai), puisqu’il y a des guerres « classiques » dont on peut faire des « remakes », et même la religion peut être monétisée, puisqu’il existe une « foire aux religions ». Dans le monde de Bonheurtm, la consommation est absolument omniprésente, et le marché ainsi que l’économie sont perçus comme des entités saintes qu’il ne faut surtout pas chercher à contrôler.

Comme consommer est un devoir, le « temps de cerveau disponible » (expression judicieusement empruntée à Patrick Lelay) des citoyens est primordial et doit être utilisé pour la consommation, la publicité, mais également le travail productif et capitalistique (ou capitalisable), au point que l’oisiveté et les pratiques qui en découlent, telles que les activités créatives ou les balades dans la nature, sont complètement interdites, et même illégales, de même que faire des économies, parce que « c’est sans intérêt pour l’économie ». L’univers de Bonheurtm est donc dédié à la production et à la capitalisation de l’entièreté de la société. À noter que cette capitalisation de l’entièreté de la pauvreté met tout de même une partie de la population de côté, puisqu’on trouve des personnes démunies et des sans-abris, qui ne peuvent pas consommer, mais que la société capitalise tout de même, non pas en luttant contre la pauvreté, mais en les monétisant, puisque les sans-abris sont montrés dans des sortes de Freak Shows télévisés ou sont engagés pour participer à des « First Blood » (des bagarres) dans les bars, ou bien en leur proposant des crédits leur permettant de consommer. La pauvreté n’est donc pas éliminée, mais est intégrée au système économique de manière totalement décomplexée.

Ce néo-libéralisme extrême donne énormément de pouvoir aux pouvoirs privés tels que les entreprises (cyberpunk, vous vous rappelez?) , qui peuvent par exemple payer des scientifiques pour que leurs recherches n’avancent pas, afin de continuer à vendre leurs produits pour pouvoir prospérer. Dans certains États, la guerre entre les entreprises, à base de hacking de base de données et d’espionnage industriel, est autorisée, et devient même un moyen légal de faire fonctionner la libre concurrence, tandis que la guerre tout court est présentée comme une nécessité, parce qu’elle possède un certain nombre de vertus pour l’économie, telles que la régulation de la population, ou la relance économique que procurent les nécessités de reconstruction. Ainsi, même des activités hautement destructrices et meurtrières sont perçues comme bénéfiques dans le roman de Jean Baret, qui opère donc une recatégorisation de la guerre comme un bienfait pour l’économie, et par extension, pour l’humanité. Cette absence de morale (j’y reviendrai encore) et cette libéralisation extrême ancrent d’une part le roman dans une féroce fiction d’anticipation sociale, mais également dans le genre et l’esthétique du cyberpunk.

Dans le monde de Bonheurtm, la littérature et la musique (et probablement l’art en général) sont produits par des IA, la musique est « algorithmique » et les romans lus par les personnages sont écrits par des IA, selon des logiciels qui calibrés à la perfection pour convenir aux goûts du public. L’Homme du roman de Jean Baret est ainsi dépossédé de l’une de ses spécificités, l’art, au profit de machines qui produisent du contenu qui ne donne pas de surprise (puisque formaté et fait pour plaire), mais qui créent mieux que lui. L’esprit critique et le raisonnement humains sont également fortement amputés, puisque les pseudo-science et théories du complot d’aujourd’hui (Terre creuse ou plate, créationnisme, pastafarisme…) sont légitimées et mises au même rang que les sciences tels que la physique ou la chimie, et trouvent leur place dans les manuels scolaires, parce qu’elles peuvent « apporter du confort moral » à certaines parties de la population, qui choisissent les croyances qui leur conviennent le mieux. Cette perte de l’art et de l’esprit critique contribue à la mise en scène de la déshumanisation de la population dans le roman, et l’ancrent à la fois dans le roman d’anticipation sociale, mais également dans le cyberpunk.

Ce libéralisme économique et cette déshumanisation font que le réel, dans le roman de Jean Baret, est très codifié et catégorisé à l’extrême (j’y reviendrai plus bas), si bien que même ses marges (communautés parallèles et univers virtuels) sont intégrées au système et phagocytées par lui à travers leur participation à l’économie. Seuls les terroristes qui se lancent dans des « killing spree » y échappent quelque peu. Bonheurtm met donc en scène un cyberpunk extrême, où le marché avale toute la société ou presque, même ses marges les plus profondes, et c’est pour cela que Jean Baret se distance selon moi du cyberpunk traditionnel, parce qu’il le pousse jusque dans des extrémités, mais également parce que les personnages principaux (Toshiba et Walmart, les « chasseurs d’idées »), ne sont pas des marginaux, mais des parties intégrantes de la société.

Individualisation et catégorisation

 

Bonheurtm met en scène une société catégorisée à l’extrême, selon des profils psychologiques, psychiatriques, et surtout en fonction de la consommation de chaque individu, si bien que chaque individu rentre dans une catégorie, un « profil type ». Il est impossible qu’un individu ne puisse correspondre à aucun profil type, et par conséquent, lorsque cela arrive, c’est considéré comme suspect. Jean Baret présente un monde où chaque individu peut être ce qu’il veut, en « pliant la réalité pour qu’elle corresponde à ses désirs », et dans lequel la technologie et la génétique permettent à chaque individu d’être ce qu’il veut, sans aucune limite. Ceux qui souhaitent d’ailleurs poser des limites à ce type de limites sont qualifiés de « fascistes » qui veulent restreindre la liberté des individus, qui est « leur droit le plus absolu ». Je m’explique.

On croise beaucoup de transhumains dans le roman, qui appartiennent tous à des catégories parallèles (n’y voyez aucun jugement de valeur de ma part) à l’humanité contemporaine, c’est-à-dire des personnages qui se revendiquent d’appartenir à telle ou telle catégorie (ou profil) et qui ont subi des opérations plus ou moins complexes pour y appartenir. Ces transhumains se répartissent en différentes catégories, avec par exemple les « furry » (des personnes qui ont subi des opérations pour ressembler à des animaux anthropomorphes), des cyborgs (des personnes possédant des prothèses mécaniques), des « surhumains » (des personnes qui cherchent à dépasser leur condition grâce à des substances chimiques), des vampires (des personnes qui sont littéralement devenues des vampires grâce à des opérations chirurgicales complexes)… ces catégories sont extrêmement nombreuses et je ne peux pas toutes vous les donner sans gâcher votre plaisir de lecture. Cette catégorisation extrême et ces changements permis grâce à la technologie ont rendu possible la matérialisation de tous les désirs jusqu’à l’extrême, ce qui fait que tout ce qui peut être considéré comme bizarre et marginal devient (ou peut devenir) une norme, sans aucune limite morale ou éthique (qui sont d’ailleurs vues comme des barrières imposées par une sorte de fascisme). On pourrait croire que cela permet à chacun d’être ce qu’il veut, dans un individualisme sain, mais l’auteur montre que l’injonction de la population à se définir n’est qu’une sorte de besoin de marché, qui « s’autorégule en répondant aux désirs de tous », tout en permettant d’établir un nombre incalculable de catégories et de profils de consommation qui n’ont finalement rien d’unique. Autrement dit, cette catégorisation extrême et cette exhortation des individus à se définir ou à se revendiquer cause la mort de l’individu en tant que tel. L’individu peut être ce qu’il veut, du moment qu’il consomme, parce que c’est là (et seulement là) que peut s’exprimer toute sa liberté dans une société qui n’a plus aucun tabou (l’émission The Shot Heard Round the World et les débats qu’elle présente permettent d’en témoigner) et dans laquelle plus rien ne peut choquer. Encore une fois, même les catégories qu’on pourrait penser comme les plus marginales et étranges (et croyez-moi, ce roman en présente beaucoup) sont phagocytées et intégrées dans le système, parce qu’elles participent à l’économie. La mort de l’individu se présente également dans le fait que personne n’interagit socialement en utilisant son nom, puisque tous les personnages ou presque s’adressent les uns aux autres en utilisant leurs noms de sponsor.

Il est intéressant de noter que ces catégories et leurs noms viennent d’un mélange de science, de pop-culture (« furry », « Moreau », « Vampires »…) et de religion, soutenues par une technologie qui semble extrêmement avancée mais qui va toujours plus loin dans la valeur choc (bien que celle-ci n’existe pas dans le roman), et qui sert des émissions de télé-réalité telles que « Pump my bride », par exemple, dans laquelle des hommes font cybernétiser leur femme pour qu’elles puissent créer de la bière avec leurs seins (je ne plaisante même pas). Les individus peuvent également avoir plusieurs « couches identitaires », définies en fonction de leur appartenance à une catégorie, mais aussi leurs croyances ou leur doctrine, qui sont toutes autorisées par la société. Dans Bonheurtm, il est autant accepté d’être catholique, que de croire aux Grands Anciens de Lovecraft ou aux dieux de la destruction de Dragon Ball, qu’être nazi ou penser que la Terre est creuse (l’absence de morale ou d’éthique, vous vous souvenez ?).

Enfin, la disparition de l’individu s’observe dans les rapports entre les personnages et chez les personnages eux-mêmes. Personne ne répond réellement aux messages qu’il reçoit, puisqu’il est possible d’installer des IA qui répondent aux messages de manière automatique en simulant une personnalité (c’est ce que font Toshiba et Walmart). On peut également constater que les rapports réels entre les personnages sont très effacés, puisque Toshiba et Walmart sont amis, mais on ne sait pas s’ils se connaissent réellement, et surtout, ils sont en proie à des névroses et des psychoses très fortes. Toshiba est dépressif, prend beaucoup de médicaments et bat sa femme (qui est par ailleurs un robot), tandis que Walmart prend des stéroïdes et est alcoolique. Ces deux personnages apparaissent finalement comme des exemples d’individus en proie à des crises, enfermé dans des schémas de consommation qui les brise peu à peu sans qu’ils comprennent exactement pourquoi. C’est là aussi que se situe la différence entre Bonheurtm et des romans de cyberpunk plus traditionnels, puisqu’au lieu de mettre en scène des personnages issus des marges dans une révolution, Jean Baret nous montre des personnages aliénés jusqu’à ne pas ne comprendre l’existence et le besoin de révolution.

Le mot de la fin

 

Vous l’aurez compris, Bonheurtm est une gigantesque claque, un coup de poing dans l’estomac. Jean Baret dépeint non sans humour (noir et crasse) une anticipation sociale et cyberpunk poussée jusqu’à l’extrême, tout en prenant soin de donner (plus ou moins violemment) quelques pistes de réflexion sur la société actuelle. Cette phrase sonne comme un cliché, mais dans le cas de ce roman, je peux vous assurer que ce n’en est pas un. Personnellement, j’ai adoré, et j’espère que ce sera également votre cas !

Pour aller plus loin, voici une interview de l’auteur , et une chronique du deuxième volume de la trilogie Trademark, VieTM.

Vous pouvez également consulter les avis de Yogo,de Dionysos, de Lorkhan, de Célindanaé, de Gromovar, Yuyine, Soleil Vert, Vladkergan, François Schnebelen, Lune,  Chut Maman Lit,

46 commentaires sur “Bonheur TM, de Jean Baret

  1. J’ai lu ta chronique en diagonale parce que je compte le lire dans les semaines à venir mais en tout cas ce que j’ai pu en lire donne sacrément envie ! Je reviendrai lire en détail ton article une fois ma lecture achevée. 🙂

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  2. Très intéressante chronique et particulièrement bien écrite.
    Ce livre semble faire écho à notre « société » de plus en plus éclatée, soit disant « multiculturelle » mais qui dissimule en réalité des identités fragmentées dans un monde sans repère…

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