Les Dystopies du Numérique, de Marc Atalah et Frédéric Jaccaud

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un recueil qui regroupe deux essais traitant de science-fiction.

Les Dystopies du numérique, de Marc Atallah et Frédéric Jaccaud

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Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions ActuSF, que je remercie pour l’envoi du recueil !

Marc Atallah est un enseignant-chercheur en littérature qui enseigne à l’université de Lausanne, né en 1978. Il est spécialiste de la science-fiction et des littératures de l’imaginaire.

Il est le directeur de la Maison d’Ailleurs, un musée situé à Yverdon-les-Bains, centré sur la SF, les voyages extraordinaires et l’utopie. Ce musée a été fondé par Pierre Versins, un encyclopédiste de l’imaginaire, dont les collections de livres et d’objets rattachés à la SF font partie.

Frédéric Jaccaud est un auteur né en 1977. Il est l’actuel conservateur de la Maison d’Ailleurs. Il est également auteur de romans noirs, notamment Monstre (une enfance) et La Nuit.

Les deux auteurs ont écrit deux essais sur les dystopies du numérique, à l’occasion de l’exposition de la Maison d’Ailleurs consacrée aux « Mondes (im)parfaits ». Ces deux essais ont été regroupés dans un recueil intitulé Les Dystopies du numérique, qui comporte également des reproductions d’illustrations de couverture et d’affiches d’œuvres évoquées par les deux auteurs.

Voici la quatrième de couverture de ce recueil :

« Ce volume est un recueil de deux essais inédits, qui visent à montrer comment les récits de science-fiction problématisent les impacts de la révolution numérique sur notre condition humaine. Du cyberpunk des années 1980 aux romans de l’extrême contemporain, la science-fiction s’est passablement focalisée sur le parcours d’individus atomisés dans un monde devenu rhizomatique. Ces récits, dont le point commun est de superposer deux mondes – un réel et un virtuel –, se caractérisent en effet par la création de métaphores originales, dont une des propriétés est d’évoquer les transformations vécues par l’être humain dans le monde actuel. Alors que le numérique fait naître quantité d’utopies, la science-fiction, elle, refuse la foi aveugle des discours chimériques pour inspecter, esthétiquement, l’aliénation qui y est dissimulée : voilà ce que sont les dystopies du numérique. »

Comme à chaque fois lorsque que je vous parle d’ouvrages théoriques, ma chronique prendra la forme d’une synthèse du propos des auteurs.

 

L’Analyse

 

Dystopies, utopie, numérique ?

 

Les deux essais interrogent la notion de dystopie, et la manière dont un récit dystopique interagit avec l’utopie. Pour Marc Atallah, un récit dystopique permet « d’éprouver les utopies, à les vivre, à en éprouver la violence, à les penser », parce qu’il met en scène la manière dont une société fictive se donne et se pense comme utopique. Cette pensée utopique entre cependant en contradiction avec l’aliénation vécue par les personnages, de manière conscientisée ou non. En effet, l’auteur explique que les mondes mis en scène dans ces récits sont totalitaires, et englobent toute la vie de l’individu.

Dans le cas des dystopies du numérique, le totalitarisme frappe le citoyen dans sa vie réelle comme dans sa vie virtuelle, puisque les réseaux assimilables à Internet sont surveillés par le pouvoir dominant. Ainsi, malgré l’aspect utopique qu’elles présupposent, les dystopies englobent les individus et les privent de leurs libertés, et c’est précisément ce que les récits dystopiques mettent en scène, des individus privés de liberté et aliénés par les rouages de sociétés qui tracent les moindres aspects de leur vie. Les personnages de ces récits, malgré leur bonheur qu’on leur vend, apparaissent alors totalement dépossédés de leurs libertés, ce qu’on peut par exemple observer dans les romans de Jean Baret, dont les personnages ne vivent plus que par leur consommation effrénée (BonheurTM) ou leur vie virtuelle (VieTM), ce qui les détruit peu à peu.

La dystopie permettrait donc, d’après Marc Atallah, de mettre en évidence les travers de l’utopie à travers la mise en scène d’une société qui se pense comme telle, ce qui signifie qu’elle ne serait qu’elle ne serait pas « le contraire de l’utopie », mais son « reflet inverse ». L’auteur explique ainsi que si l’utopie se découvre d’un point de vue externe à celle-ci, c’est-à-dire par le biais d’un personnage qui la découvre avec des yeux innocents. A ce titre, Un souvenir de Loti de Philippe Curval est un bon exemple, puisque les deux personnages principaux du récit, Loti et Marjorie, se présentent comme de nouveaux habitants de la planète Nopal, qu’ils découvrent donc peu à peu. On peut également citer Résolution de Li-Cam, qui dépeint une utopie avec le point de vue sensible et terriblement sensé de sa fondatrice, capable de s’extérioriser pour analyser les interactions humaines. Je vous invite d’ailleurs à lire l’article très détaillé d’Hyper Empathe à propos de cette novella, qui explore la profondeur de la psychologie du personnage de ce récit.

La dystopie, au contraire explore une société supposément idéale par le biais d’un personnage qui y est intégré, et dont la vie quotidienne va mettre en lumière les travers du monde dans lequel il vit, mais également la façon dont sa perception est biaisée, puisque les personnages de Jean Baret croient être heureux, par exemple.

L’aspect numérique des dystopies récentes, du cyberpunk de Neuromancien de William Gibson et des films Matrix des sœurs Wachowski, à Toxoplasma de Sabrina Calvo, La Voie Verne de Jacques Martel ou La Cité de l’Orque de Sam J. Miller, permet alors de montrer que l’être humain peut se trouver non seulement aliéné par un système politique, mais aussi par la technologie censée faciliter sa vie. Les dystopies puisant dans le cyberpunk, ou dépeignant une technologie développée et omniprésente permettent alors aux auteurs de démontrer les dangers qu’elles constituent lorsqu’elles sont au service de certaines idéologies, mais également de briser les illusions de certains lecteurs, qui verraient la dématérialisation et la cybernétique comme des portes grandes ouvertes vers un avenir radieux. Sans aller vers un manichéisme total (la technologie n’est pas un mal absolu, de même que l’absence de technologie ne constitue pas un havre de paix), les dystopies liées au numérique montrent que les univers virtuels peuvent constituer des espaces d’oppression, au sein desquels des luttes sociales se jouent. En effet, des personnages de hackers peuvent tout à fait se battre contre un système dominant au sein de réalités virtuelles, par le biais du piratage notamment. Le personnage de Kim de Toxoplasma pirate ainsi les données de banques et d’entreprises privées, de même que Hiro dans le Samouraï virtuel de Neal Stephenson, par exemple.

Frédéric Jaccaud note cependant la matérialité paradoxale du numérique. Ainsi, quels que soient les pouvoirs que les récits peuvent prêter à la technologie ou à la virtualité, elles restent rattachées à une incarnation physique, sous la forme du « hardware », qui peut donc être « débranché », au contraire de la réalité tangible, au sein de laquelle l’aliénation peut rester présente. Ainsi, si la réalité virtuelle permet à certains personnages de s’évader, si la technologie peut rendre des riches bourgeois immortels dans le futur noirissime du Goût de l’immortalité de Catherine Dufour, les classes laborieuses sont presque littéralement à vivre éternellement dans un monde où plus aucun espoir n’est possible.

 

Le mot de la fin

 

Les Dystopies du numérique est un recueil qui regroupe deux essais, dans lesquels Marc Atalah et Frédéric Jaccaud traitent du caractère aliénant des dystopies mettant en jeu les technologies numériques et cybernétiques, en interrogeant la notion de dystopie, dans sa définition et ses liens avec l’utopie.

Les deux auteurs mettent en jeu, en mobilisant des œuvres contemporaines de science-fiction, la manière dont les auteurs réfléchissent aux utilisations et aux dérives de la technologie au sein de systèmes faussement utopiques.

Si vous vous intéressez aux notions de dystopies, d’utopies, mais aussi au cyberpunk, assez présent dans cet ouvrage, je vous le recommande !

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