Le Sang de la cité, de Guillaume Chamanadjian

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, nous allons plonger ensemble dans l’un des deux premiers romans d’un formidable cycle de Fantasy.

Le Sang de la cité, de Guillaume Chamanadjian


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Aux Forges de Vulcain, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Guillaume Chamanadjian est un auteur français né en 1980. Le Sang de la cité est son premier roman, et s’intègre dans la trilogie Capitale du Sud, elle-même intégrée au cycle La Tour de garde, qui comprend une autre trilogie, Capitale du Nord, écrite par Claire Duvivier, et dont le premier tome, Citadins de demain, paraîtra en Octobre 2021.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Enfermée derrière deux murailles immenses, la cité est une mégalopole surpeuplée, constituée de multiples duchés. Commis d’épicerie sur le port, Nox est lié depuis son enfance à la maison de la Caouane, la tortue de mer. Il partage son temps entre livraisons de vins prestigieux et sessions de poésie avec ses amis. Suite à un coup d’éclat, il hérite d’un livre de poésie qui raconte l’origine de la cité. Très vite, Nox se rend compte que le texte fait écho à sa propre histoire. Malgré lui, il se retrouve emporté dans des enjeux politiques qui le dépassent, et confronté à la part sombre de sa ville, une cité-miroir peuplée de monstres. »

Dans mon analyse du roman, je montrerai que le personnage de Nox permet à l’auteur de décrire toute l’étendue de la cité de Gemina et les complots qui s’y trament.

L’Analyse


Nox et Gemina


Le Sang de la cité nous fait suivre le personnage de Nohamux, dit Nox, à la première personne et au passé. Il s’agit donc d’un récit rétrospectif, comme le montrent certaines tournures proleptiques, telles que

Bien sûr, je n’imaginais pas que le simple fait de le laisser m’accompagner ce jour-là allait sceller son destin.

Nox travaille pour l’épicerie Saint Vivant, dirigée par Eustaine, son patron et ami. Par ailleurs, il est rattaché au duc Servaint de la Caouane, qui l’a recueilli avec sa sœur, Daphné, plusieurs années auparavant, alors qu’il croupissait dans une cave sans avoir jamais vu la lumière du jour, ce qui lui a valu le surnom de « Suceur d’Os ». Le lecteur suit donc les livraisons et les affaires commerciales que Nox effectue pour le compte de Saint Vivant, mais aussi sa formation de « négociateur », c’est-à-dire de diplomate et assassin, par Tyssant, le conseiller (et assassin, oui oui) de Servaint.

Le roman de Guillaume Chamanadjian relate donc l’initiation de Nox et sa plongée dans les jeux de pouvoir de sa cité, ce qui peut le rapprocher d’un certain Fitz Chevalerie Loinvoyant dans L’Assassin Royal de Robin Hobb. Cependant, si la formation de Nox passe par l’apprentissage du meurtre de diverses manières, ce dernier est conçu comme un ultime recours par son précepteur, là où le personnage de Robin Hobb n’a pas d’autres choix qu’éliminer ses cibles. Par ailleurs, Nox se refuse à tuer.

– Je ne veux pas avoir à tuer pour Servaint, Tyssant. Je ne veux même pas avoir à tuer pour moi.

– Il y a fort à parier que tu n’auras jamais à le faire. Le meurtre est le dernier de nos recours, lorsque l’éloquence et la corruption ne suffisent plus. Mais je ne peux décemment pas te laisser accompagner le duc sans te former un minimum au combat. »

On observe que Nox est doté d’un sens moral qui peut faire de lui un roublard en affaires, mais doté de certaines limites, puisque le personnage refuse de tuer qui que ce soit. Il compte davantage sur son sens de la rhétorique et sa capacité à (con)vaincre ses adversaires, ce qui lui permet d’éviter les confrontations physiques, bien qu’il soit formé à celles-ci.

[…] je ne sais toujours pas vraiment pourquoi tu as accepté cette position d’apprenti assassin.

– Je pensais que l’essentiel du travail consistait en éloquence et pots-de-vin ? lançai-je, narquois. Là, je suis dans mon élément, et je peux supporter la demi-douzaine de fois où je devrai me servir de ces choses.

– Tu n’es déjà pas mauvais en éloquence, Nox. Tu sais esquiver un sujet. »

La provocation de Nox, en réaction à l’explicitation de Tyssant d’une partie du travail d’un « négociateur », sans aucune précaution oratoire ou euphémisme, suivie de la mise en évidence de ses capacités rhétoriques, comprises par son mentor. L’échange entre les deux personnages laisse toutefois entrevoir un aspect particulièrement violent de la vie de la Cité, à savoir les conflits entre les différentes Maisons Nobles qui la composent.

Par ailleurs, mais sans rentrer dans les détails, Nox peut utiliser une forme de magie, puisqu’il peut voyager dans le « Nihilo », une sorte de ville qui existe en parallèle de la Cité, ce qui lui permet de se déplacer plus rapidement dans Gemina, malgré les dangers qui règnent dans cet autre monde. Il doit ainsi prendre garde à une brume capable d’engloutir les visiteurs du Nihilo. Ce mystérieux pouvoir surnaturel singularise Nox et constitue un mystère qu’il doit élucider, mais aussi un atout dont il peut se servir pour échapper au danger. L’apprentissage de Nox inclut donc une forme d’initiation à la magie qu’il ne peut apprendre que par lui-même, puisque personne ne peut le renseigner sur les pouvoirs qu’il se découvre. À noter qu’une autre forme de magie est présente dans le roman, avec les pouvoirs de « la Recluse », qui permettent aux « Maçons » de manipuler et façonner la pierre pour construire des bâtiments et des infrastructures. Les membres de la Recluse constituent donc un corps de mages dont les pouvoirs sont employés pour l’amélioration et le maintien de la Cité, dont les quartiers et l’architecture semblent perpétuellement mouvants, comme le montrent les inadéquations entre les plans de la ville et la connaissance qu’en a Nox.

Gemina est en effet une mégalopole gigantesque, entourée par des murs, ce qui fait que ses habitants vivent en quasi autarcie, sans trop interagir avec d’autres entités géographiques ou politiques, malgré le cosmopolitisme qui y règne. Différentes Maisons nobles, dotées de noms et d’emblèmes animaliers (la Caouanne, le Lapin, la Jubarte, l’Hirondelle, le Chien, le Magot, la Rainette…) s’y affrontent de manière plus ou moins ouverte pour le contrôle de la cité, lors des séances du Conseil de la Cité, par le biais d’alliances, mais aussi de manœuvres politiques qui peuvent s’avérer particulièrement sournoises et violentes. Chaque Maison dispose de son propre territoire, et peut disposer d’une fonction particulière. Par exemple, celles qui sont rattachées au port, telles que la Jubarte et le Crabe, sont chargées de la défense de la Cité contre les invasions venues de la mer. On remarque que les positions sociales des différents clans différent, puisque les Maisons du Massif, tels que le Magot ou le Lapin par exemple, opèrent le transport de marchandises entre le Sud portuaire et le Nord agricole de la Cité comptent parmi les plus riches. Cela qui leur permet de peser sur les projets d’autres Maisons, parmi lesquels on peut compter le canal qu’ambitionne de construire le duc Servaint de la Caouane pour naviguer plus facilement en ville et optimiser le transport des biens et des personnes.

Le personnage de Servaint apparaît à ce titre comme un personnage particulièrement ambitieux qui échafaude des plans afin de parvenir à ses fins, c’est-à-dire la construction du canal, qui demande des fonds très importants, qui pourraient endetter sa famille pour plusieurs générations (oui oui), mais aussi des alliances avec d’autres Maisons pour contrer celles qui s’opposent à lui. Ainsi, mais sans rentrer dans les détails, il se sert des membres de son entourage pour étendre son influence, mais aussi obtenir des victoires symboliques, comme le permet le tournoi de la Canopée, lors duquel s’affrontent des champions issus de toutes les Maisons. Cependant, les ambitions de Servaint frappent littéralement les individus rattachés à son clan, visés par des tentatives d’assassinat ou des complots de ses rivaux, ce dont souffre Nox, qui refuse d’être un outil pour son duc, qui le voit pourtant comme un membre de sa famille.

Les ambitions de Servaint le rendent donc ambivalent, puisqu’il apparaît comme un père pour Nox, mais aussi comme l’ambitieux planificateur de réformes qui peuvent transformer sa Cité. Toutefois, si Servaint est « un homme droit, mais manipulateur », Daphné, la sœur de Nohamux, semble totalement amorale et sadique, comme on peut l’observer lorsqu’elle frappe ou menace sans aucun remords.

Elle prit son air de chattemite mais dissimula mal son amusement. Je m’engageai dans l’escalier, elle me retint par la main et m’attira vers elle jusqu’à ce que mon oreille soit à quelques centimètres de sa bouche.

« Daphné est prisonnière du Souffleur et son cœur est fait de ronces, susurra-t-elle. La prochaine fois que la petite Guenaillie reverra mes épines, c’est son œil gauche que je prendrai. »

Je m’arrachai à son étreinte. Son visage était souriant, confiant, comme si elle venait de m’adresser un compliment.

(Un personnage sympathique, vous en conviendrez)

Le roman présente aussi des personnages truculents, à l’image d’Eustaine, le patron de l’épicerie Saint Vivant, qui matérialise une caractéristique de la Cité décrite par Guillaume Chamanadjian.   

Il ne vivait que pour la satisfaction de son palais et celui de ses clients. Ses produits fins, ses épices, ses sucreries enchantaient les connaisseurs de la Cité. La sélection à l’entrée de son magasin était drastique. Tout nouveau produit devait satisfaire ses sens. Il les aimait comme ses propres enfants, en témoignait sa bedaine proéminente.

Et dans une ville dont on disait que le sang des habitants était fait de vin, un épicier dévoué était plus précieux qu’un corps de garde dans son entier.

Gemina est ainsi marquée par le goût de ses habitants pour la bonne chair, ce qui transparaît dans la comparaison qui caractérise le rapport d’Eustaine à ses produits, ainsi que la dernière phrase de l’extrait, qui montre que ce qui prime dans la Cité, c’est le plaisir gustatif et les personnes aptes à le satisfaire, et non la sécurité ou la puissance martiale. La mégalopole décrite par l’auteur est donc vouée aux plaisirs du corps.

On observe l’importance de ces derniers grâce aux descriptions pittoresques des plats et des sucreries que commandent et mangent les habitants, à travers les parcours de livraisons de Nox, qui se livre lui-même à des expériences culinaires, avec notamment les « canelons à la fègue ». Le déambulations de Nox et sa connaissance des rues de la Cité permettent donc à l’auteur de montrer l’étendue et la culture culinaire de celle-ci. À la gastronomie s’ajoute la culture littéraire, artistique et ludique, avec d’abord le jeu de la tour de garde (qui donne son nom au cycle co-écrit par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier, ce qui montre son importance capitale pour le cycle), un jeu de plateau nécessitant des figurines fabriquées par des artisans et un fort sens stratégique, pratiqué par une population large. La tour de garde constitue ainsi un divertissement pour ses joueurs, mais aussi un moyen d’émancipation pour certains d’entre eux, puisque l’un des amis de Nox, Cax, cherche à gagner assez de renommée et d’argent grâce au jeu pour quitter la Cité. Les habitants de Gemina s’intéressent aussi à la littérature, ce qu’on remarque dans le fait que des chansons et des poèmes évoquent le destin de certains personnages du récit et font office de mémoire de la Cité, avec par exemple l’histoire de Nox et de sa sœur, libérés par le duc Servaint, le destin de Lotharie, maîtresse d’armes de la Caouane autrefois ébouillantée par son père (oui oui), ou le mystérieux recueil de poèmes obtenu par Nox.

Les vers et les lettres trouvent leurs échos dans l’importance des joutes verbales et des jeux de pouvoir qui passent par le discours des personnages, qu’il soit verbalisé ou non.

Quant à la première question du duc, je ne pouvais croire qu’il s’imaginait un instant que Daphné puisse regretter son acte de violence. Dans ce cas, sa question n’avait-elle pas été un moyen de me tester, moi ? De savoir si je prenais le parti de ma sœur ou si mon honnêteté justifiait que l’on s’encombre de moi pour une mission diplomatique ?

À la fois j’admirais la manière dont Servaint s’était joué de moi, tout en flattant mes sentiments, et j’enrageais de constater que l’on m’avait proprement manipulé.

Les personnages du récits sont ainsi rompus à l’art et l’analyse du discours, ce qui ajoute une tension particulière à leurs échanges, également marqués par les obligations sociales de chacun d’entre eux. On remarque donc que même si Nox voit très clair dans le jeu de son duc, il ne peut que se plier à ses ordres.

Le mot de la fin


Le Sang de la cité est un roman de Fantasy de Guillaume Chamanadjian qui inaugure le cycle de La Tour de garde, composé de deux trilogies, Capitale du Sud et Capitale du Nord, écrite par Claire Duvivier.

Ce premier volume de Capitale du Sud présente la Cité de Gemina, à travers le regard de Nohamux, dit Nox, un jeune homme sauvé plus jeune par le duc Servaint de la Caouane, pour lequel il travaille. Les courses d’épicier et l’apprentissage de Nox comme négociateur, c’est-à-dire comme rhéteur et assassin permettent d’observer l’étendue de la mégalopole décrite par l’auteur et sa culture portée sur les arts et les lettres, le jeu de la tour de garde, la bonne chair, mais aussi les conflits politiques qui l’agitent.

J’ai beaucoup apprécié les descriptions pittoresques de Gemina, ainsi que les personnages de Nox et Servaint. Je vous recommande vivement ce roman, et j’ai hâte de découvrir la suite du cycle de La Tour de Garde !

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