Interview de Vincent Mondiot

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de te proposer une interview de Vincent Mondiot, l’un des auteurs des Mondes-miroirs, publié en Août 2018 chez Mnémos !

Je remercie chaleureusement l’auteur pour ses réponses extrêmement détaillées et très intéressantes.

Je vous rappelle aussi que vous pouvez retrouver toutes les autres interviews en suivant ce tag, mais aussi dans la catégorie « Interview » dans le menu du blog !

Sur ce, je laisse la parole à Vincent Mondiot !

 

Interview de Vincent Mondiot

 

Marc : Peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?

Vincent Mondiot : Je m’appelle donc Vincent Mondiot, j’ai trente-cinq ans, j’habite en région parisienne et j’écris des romans. J’ai aussi un niveau pas dégueulasse quand il s’agit de jouer à des shoot ‘em up, et j’aime à dire que mon film favori est Donnie Darko, mais finalement, je n’en suis plus totalement sûr. Ça dépend des jours, je crois.

En résumé, je suis écrivain, quoi.

 

Marc : Comment t’est venue l’idée des Mondes-miroirs et de l’univers dans lequel le roman se déroule ?

Vincent Mondiot : Les Mondes-miroirs est une histoire qui, en réalité, a plus de dix ans. Elle est née d’un travail commun avec Raphaël Lafarge (co-autrice du roman) et Matthieu Leveder (qui s’est chargé des illustrations intérieures).

On s’était tous les trois rencontrés sur un forum de jeux vidéo, on avait sympathisé, et finalement décidé de travailler ensemble à la création d’un univers et d’une histoire. De fait, contrairement à la quasi-totalité de mes autres romans, Les Mondes-miroirs découlent d’un travail conscient et volontaire, où on s’est (métaphoriquement comme littéralement) posés autour d’une table pour réfléchir à nos personnages, aux éléments de leur monde, aux aventures qu’ils allaient vivre… D’habitude, mes idées me viennent de façon plus instinctive et mystérieuse. C’est par exemple le seul roman sur lequel j’ai travaillé avec un plan.

 

Marc : Comment s’est déroulée la rédaction du roman ? As-tu des anecdotes à faire partager ? Quels sont tes meilleurs et pires souvenirs de rédaction ?

Vincent Mondiot : Là encore, pour bien te répondre, il faut que je remonte un peu dans le temps !

En fait, Les Mondes-miroirs a eu trois vies : d’abord, autour de 2008 je crois, Raphaël, Matthieu et moi avons partagé cette histoire sur un site internet créé pour l’occasion. Nous n’avions en réalité que très, très peu de lecteurs, mais c’était un moyen de se rôder, d’apprendre à mieux écrire, à construire une intrigue… À ce moment-là, la rédaction était organisée ainsi : nous préparions le scénario à trois, en concevant un plan relativement précis du roman, puis Raphaël et moi nous chargions d’un chapitre sur deux, en alternance.

Par la suite, en 2011, le roman a été publié par Pygmalion, dans une version très proche de ce qui était disponible sur internet. Il s’appelait alors Teliam Vore, et n’a pas eu un destin éditorial particulièrement intéressant (c’est un euphémisme pour dire qu’il est sorti dans l’indifférence générale). Ça a marqué, à l’époque, la fin du projet, et nous sommes tous partis dans des directions différentes.

Ce n’est que des années plus tard que, nos droits récupérés, Raphaël a proposé de relancer cette histoire. Mnémos s’est montrée intéressée, mais ne voulait pas publier une simple réédition, et d’ailleurs, nous non plus. J’avais publié plusieurs romans depuis Teliam Vore, mon écriture s’était améliorée, et nous avons décidé de partir sur une réécriture quasi-intégrale plutôt que sur une réédition.

Ce coup-ci, il n’y a donc pas eu d’organisation de type « un chapitre chacun ». Nous avons écrit, Raphaël et moi, selon nos sensibilités, nos motivations et nos envies, sans chercher à nous répartir le travail de façon mathématique. Nous savions à quoi nous en tenir concernant l’écriture à quatre mains, et nous avons essayé d’éviter les difficultés que cela induisait, et que nous avions déjà rencontrées par le passé.

Ce chantier de réécriture a été, en lui-même, mon meilleur et mon pire souvenir, en fait ! C’est un travail qui s’est avéré assez titanesque, plus prenant, finalement, que l’écriture pure d’un nouveau roman, tant il s’agissait de garder certaines choses, d’en oublier d’autres, de ressusciter des émotions et des personnages vieux de dix ans… Mais ça a aussi été l’occasion de faire apparaître de nouvelles choses. Par exemple, le personnage de Nolita, dans Les Mondes-miroirs, est entièrement nouveau, elle n’existait pas du tout dans la version Teliam Vore du roman. Elle s’est imposée d’elle-même comme l’une des figures les plus symboliques, à mon sens, de cette nouvelle version, et ce qu’elle incarne dans Les Mondes-miroirs, la façon dont elle a pris de la place, presque à mon insu, a été une belle expérience d’écriture. Il y a toujours quelque chose de puissant, pour un écrivain, quand l’un de nos personnages nous échappe, impose son existence propre à notre clavier.

 

Marc : Quels personnages et scènes as-tu préféré écrire ? Lesquels t’ont posé le plus de problèmes ?

Vincent Mondiot : Elsy est, de tous mes personnages, tous romans confondus, mon préféré. Aucune de ses actions, aucun de ses dialogues, ne m’a jamais ennuyé ni posé problème à écrire. Dès qu’elle est dans une scène, je sais que je vais passer un bon moment face à mon écran.

C’est d’ailleurs marrant de constater, via les chroniques qui ont été faites du roman, que c’est une héroïne qui semble ultra clivante. Elle est autant adorée que détestée, ce que j’imagine être plutôt un compliment !

Quant aux éléments qui m’ont posé problème, j’aborde toujours avec prudence les scènes dans lesquelles je sais que je vais devoir placer pas mal d’éléments « explicatifs », notamment sur la magie ou le monde de Mirinar, où se déroule l’histoire. C’est l’un des grands enjeux de la littérature imaginaire, par rapport à la littérature réaliste : réussir à donner vie à des mondes fictifs, en expliquer le fonctionnement sans pour autant verser dans un style trop laborieux. Comme les personnages eux-mêmes n’ont pas de raison de s’étonner ou d’expliciter l’organisation d’un monde qui leur est naturel et normal, il faut trouver le moyen de fournir aux lecteurs des explications sans que cela semble artificiel. Je crois qu’on ne s’en est pas trop mal tirés, mais ça demande à chaque fois de bien réfléchir à la mise en scène et au style.

 

Marc : Le roman Teliam Vore, paru en 2011 chez Pygmalion, se situait aussi dans l’univers des Mondes-miroirs. Comment te positionnes-tu par rapport à lui ? Est-ce que toi et Raphaël Lafarge avez repensé l’univers, la narration et les personnages ? Quelles sont les différences majeures entre les deux romans selon toi ?

Vincent Mondiot : Comme je te disais, Teliam Vore n’était pas « une autre histoire dans le même univers » ou quelque chose comme ça : c’était une version 1, un brouillon, de ce que sont aujourd’hui devenus Les Mondes-miroirs.

Nous avons tout repensé, tout réécrit ou presque. Il ne reste de la première version que des passages isolés et, surtout, le canevas général. L’intrigue elle-même est restée globalement la même.

C’est d’ailleurs pour ça qu’aujourd’hui, je déconseille franchement aux gens qui ont aimé Les Mondes-miroirs de se pencher sur Teliam Vore. Ils ne découvriraient qu’une version moins aboutie, moins claire, moins bonne, tout simplement, d’une histoire qu’ils ont déjà lue. J’en profite d’ailleurs pour saluer Coralie David, notre éditrice, qui nous a accompagnés tout du long, et aidés à transformer ce brouillon en un vrai bon roman. Les Mondes-miroirs lui doivent énormément.

Au rang des nouveautés, je te parlais du personnage de Nolita, mais plus globalement, on a pas mal revu le positionnement d’Elsy dans les quartiers ouest, et son statut de mercenaire. On en a fait une femme plus débrouillarde, moins « en place » que dans Teliam Vore, où elle avait dès le départ un statut plus affirmé. Dans Les Mondes-miroirs, on assiste, je pense, à une ascension plus intéressante, au début d’un parcours personnel dans lequel chaque bagarre, chaque contrat, chaque rencontre a une importance plus grande.

Nous avons également pas mal repensé la mise en scène de certains éléments, notamment en ce qui concerne les motivations des terroristes. Elles étaient déjà peu ou prou les mêmes dans la première version, mais elles étaient données en bloc, beaucoup plus tôt dans le récit, là où désormais elles constituent une sous-intrigue supplémentaire dans Les Mondes-miroirs.

 

Marc : En dehors des Mondes-miroirs, tu es connu pour tes romans classés en jeunesse (Terrortriste, Nightwork, Tifenn : 1 Punk : 0…). Au-delà des questions génériques et du public, quelles différences as-tu vues entre l’écriture d’un roman de Fantasy et celle de tes autres œuvres ?

Vincent Mondiot : D’un pur point de vue de ressenti personnel, il y a peu de différences : quand je me lance dans l’écriture d’un roman, celui-ci devient, tout le temps que dure le chantier, la chose la plus importante dans ma vie, qu’il s’agisse d’un roman réaliste ou d’un roman de fantasy.

Après, si on rentre dans les aspects plus techniques, je pense que la différence majeure quand on se lance dans une histoire de fantasy ou de SF, elle va se situer dans ce dont je parlais un peu plus haut : la difficulté supplémentaire, et assez conséquente, de devoir présenter au lecteur un monde nouveau dont il ne connaît pas les règles. Et tout ça sans sacrifier la profondeur des personnages, le rythme, le style, l’intrigue… Dans un roman réaliste, tu n’as pas à expliquer à quoi ressemble un arbre, un immeuble, l’organisation d’une ville, d’une école… Le lecteur connaît tout ça, c’est son monde, n’importe quel mot recouvrira déjà, dans sa culture personnelle, un ensemble de concepts. Lorsqu’il s’agit d’un monde imaginaire, chaque aspect de la vie quotidienne peut poser de nouvelles questions et rendre nécessaires quelques explications…

C’est un élément à prendre en compte, mais dans lequel, à mon sens, il faut faire attention à ne pas se perdre. C’est aussi dû à mes goûts de lecteur, mais j’ai fait tout ce que je pouvais pour éviter les séquences de dix pages expliquant en détails tel ou tel point de l’univers. La recherche de naturel est, je crois, primordiale pour rendre cet aspect agréable et intéressant. On écrit des romans, pas des encyclopédies.

 

Marc : As-tu été en contact avec Qistina Khalidah, l’illustratrice qui a réalisé la couverture ? Que peux-tu nous dire des illustrations intérieures du roman ?

Vincent Mondiot : Nous n’étions pas en contact avec Qistina pendant son travail sur la couverture, Mnémos faisait l’intermédiaire, mais nous avons tout de même pu suivre l’avancée du chantier, et réorienter certaines idées, demander des modifications… D’ailleurs, au départ, elle avait proposé quatre couvertures complètement différentes, c’est nous, avec Mnémos, qui avons arrêté notre choix sur la composition que vous connaissez.

C’est, je pense, de toutes mes expériences éditoriales, celle sur laquelle j’ai eu le plus de poids concernant la couverture… Ce qui, cependant, ne me rend en aucune façon responsable de sa qualité finale ! Qistina est une artiste incroyable, je suis totalement fan d’elle et extrêmement fier de sa couverture. Nous avons depuis échangé plusieurs fois grâce à Instagram (Qistina est malaisienne, donc l’idée de se prendre un verre pour discuter « en vrai » n’est pas exactement réalisable dans l’immédiat), et sans aller jusqu’à dire que nous sommes devenus amis, c’est quelqu’un pour qui j’ai un grand respect et une réelle affection. J’ai hâte de pouvoir de nouveau travailler avec elle.Concernant les six illustrations intérieures du roman, elles sont quant à elles l’œuvre de Matthieu Leveder, qui, comme je l’expliquais, est autant à l’origine des Mondes-miroirs que Raphaël ou moi. Il est l’auteur direct de plusieurs concepts (les cavalins, les rebuts…), et il me paraissait important qu’il puisse être présent dans cette nouvelle version de notre histoire. Nous avons décidé ensemble, Matthieu, Raphaël, notre éditrice Coralie et moi, des scènes et personnages qu’il nous semblait intéressant d’illustrer, et les dessins de Matthieu ont ensuite fait partie du processus éditorial normal, nous suivions leur avancée pas à pas et suggérions des modifications ou des idées… Mais très franchement, les propositions de départ étaient déjà excellentes, et nous nous sommes surtout bornés à enchaîner les compliments ! Le niveau technique de Matthieu s’est amélioré de façon incroyable, je trouve, et là aussi, je suis très fier d’avoir des illustrations de lui dans ce roman. J’espère que ça pourra lui permettre de travailler aussi pour d’autres auteurs, il a énormément de choses à proposer, les illustrations des Mondes-miroirs ne sont que la surface émergée de son talent.

 

Marc : Sans trop rentrer dans les détails, l’intrigue traite de sujets qui s’inscrivent dans l’actualité (mensonges et endoctrinement politiques et religieux, actualité faussée, la question des découvertes scientifiques…). Pourquoi avoir choisi de traiter de ces thématiques dans un roman de Fantasy ?

Vincent Mondiot : Un truc amusant, sur ces questions, c’est qu’en fait, tout ça était déjà présent dans la première version du roman, il y a dix ans… Et qu’à l’époque, aucun de nos quelques lecteurs n’en a fait grand cas, alors qu’aujourd’hui, c’est quelque chose qui est relevé dans presque toutes les chroniques ! Je ne vais pas faire le fier en disant « on était en avance sur notre temps », mais… On était en avance sur notre temps ! Désolé, je plaisante.

Je crois qu’accidentellement, et fort malheureusement, le terrorisme, la surveillance étatique, le contrôle des médias… Tout ça fait bien plus écho à notre actualité aujourd’hui qu’à l’époque. Le dernier chapitre du roman, d’ailleurs, a encore un sens supplémentaire depuis les Gilets jaunes…

Pour ce qui est de savoir pourquoi on a choisi de traiter ces thèmes, honnêtement, j’aurais du mal à te répondre. Je ne crois pas que ça ait été conscient de notre part. Peut-être que ça partait d’une envie d’écrire des « complots », c’est un thème qui nous plaisait, et qui est principalement incarné dans le roman par Isobelle Latima, la ministre des renseignements. On voulait, je crois, avoir des personnages en nuances de gris, qui auraient des motivations « bonnes », mais emprunteraient pour les concrétiser des chemins « mauvais ».

Qu’au final, on fasse reflet à pas mal d’aspects pour le moins problématiques de notre société réelle, c’est franchement accidentel.

 

Marc : Les personnages du roman sont marqués par leur humanité, leur préoccupations quotidiennes (Elsy et ses compagnons veulent avoir de quoi se loger et se nourrir décemment), ou leurs idéaux (les supposés terroristes sont en réalité de jeunes idéalistes qui veulent changer le monde). D’après toi, est-ce que ce genre de personnage est dur à écrire ?

Vincent Mondiot : Honnêtement non. Je ne vois pas comment les écrire autrement, ni même pourquoi je le ferais ! La littérature, à mon sens, qu’elle soit imaginaire ou non, sert principalement à ça : offrir à nos tourments personnels un miroir permettant de nous comprendre un peu mieux nous-mêmes, par le truchement de personnages.

J’ai donc essayé au maximum de donner naissance à des personnages humains, cohérents, qui avaient des idéaux, des buts, des passés, des sentiments… Mais, non, en fait, c’est faux, je n’ai pas « essayé » de faire ça, c’est venu naturellement.

Pour l’avoir déjà fait, il m’est plus difficile, en réalité, d’écrire un personnage « autre », par exemple un sociopathe, ou une créature qui serait d’une nature tellement non humaine qu’elle penserait totalement différemment de nous. Mais les humains, non, ça va. J’en suis un, et j’en connais au moins trois ou quatre autres !

Là où se trouve la difficulté potentielle, je pense, c’est quand on essaie de glisser dans un personnage individuel une parabole plus générale, genre « Elsy est le symbole du féminisme et de l’ambition ». Non, Elsy, comme n’importe quel autre personnage, est d’abord un individu, avec son parcours et ses motivations propres. Les paraboles, les métaphores, les symboles, je crois qu’il faut laisser ça aux lecteurs. C’est à eux de les y voir ou non. Vouloir, en tant qu’auteur, les imposer, serait assez artificiel et potentiellement dangereux. Chacun est libre d’interpréter les actions et les pensées d’un personnage comme il le voudra.

 

Marc : Il y a un aspect très pulp dans le roman, notamment vis-à-vis des monstres (rebuts et blasphèmes), des magazines que lisent certains personnages (Almien Conquérant, avec des couvertures souvent très explicites), et de l’humour ou de la morale de certains personnages. Est-ce que cette composante est intentionnelle ? Que penses-tu de la résurgence de la littérature pulp dans certains courants des littératures de l’imaginaire d’aujourd’hui, ou de la réédition (ou traduction) des œuvres d’auteurs fondateurs (les travaux sur Lovecraft, les récits d’Ashton Smith) de cette culture ?

Vincent Mondiot : J’avais lu avec passion (et, évidemment, vanité) la chronique tu avais faite au sujet du roman, et qui était axée sur cet angle… Et j’en étais ressorti en me disant que, finalement, je n’y connaissais pas grand-chose en pulp !

En fait, de mon côté, je ne sais pas si c’est dû aux illustrations de Matthieu, qui m’ont toujours beaucoup aidé à me plonger dans Les Mondes-miroirs, ou si c’est plus simplement le fruit de mes goûts et de mes lectures, mais j’ai toujours vu des liens entre ce roman et les esthétiques narratives de certaines bandes dessinées, surtout japonaises. D’ailleurs, je suis content, bien que je n’en aie jamais parlé avant, ça a été relevé dans deux ou trois chroniques !

Pour moi, les héros des Mondes-miroirs sont presque des personnages de mangas, et je ne parle pas là de leurs looks (même si Elsy a une mèche devant l’œil, ça compte dix points, ça), mais de leur dynamique, de leur façon de « chercher les problèmes », d’aller au devant de l’intrigue, d’en être les moteurs plutôt que les victimes.

Et si je te parle de ça, c’est parce que les mangas, comme la littérature pulp, sont des cultures fictionnelles souvent mises au ban du bon goût, considérées comme des sous-genres cantonnés au pur divertissement décérébré. Mais les générations sont en train de changer, et les influences majeures qui sous-tendent la fiction aussi. On le voit dans le cinéma, dans la littérature, dans tout, et la résurgence du pulp dont tu parles fait peut-être également partie de ça. Je crois que les artistes de demain, et même ceux d’aujourd’hui, sentent bien qu’ils n’ont plus à chercher l’approbation d’autorités artistiques qui ne respectent pas ce qu’ils aiment. Il n’y a plus de raisons pour nous de nous excuser ou de nous rendre présentables, et c’est désormais sans la moindre honte ou gêne que je dis « Les Mondes-miroirs sont influencés par les mangas », et que je prends avec fierté que, toi, tu y vois une influence du pulp.

 

Marc : Comment est venue l’idée des Arches, des rebuts et des blasphèmes ?

Vincent Mondiot : Les Arches, qui sont donc une immense méga-structure recouvrant le pays principal du roman, sont en fait un résidu esthétique qui date de l’origine de cette histoire, il y a dix ans ! Raphaël, Matthieu et moi étions membres d’un forum spécialisé dans les jeux vidéo Legacy of Kain… Pour ceux qui ne connaissent pas, ces jeux parlent d’un univers tournant autour des « Piliers de Nosgoth », neuf colonnes infinies qui sont plus ou moins à l’origine du pouvoir. Nos Arches à nous sont un hommage à ça, au forum qui a permis notre rencontre !

Les rebuts sont principalement une idée de Matthieu. Il s’agissait de créer les conséquences d’une épidémie ravageuse qui, trente ans avant le roman, a mis le pays à feu et à sang. L’une des Arches suscitées s’est écroulée, et des décombres s’est échappée une spore préhistorique, qui a contaminé et transformé tout être vivant à proximité. Nous voulions éviter d’en faire de simples zombies, et Matthieu a travaillé sur une tonne de concepts et de monstres tous plus dégueulasses les uns que les autres, avec comme fil rouge cette idée qu’ils semblent tous exsuder des braises orangées… J’ai sur mon disque dur des dizaines de dessins de lui, et il serait légitime que vous pleuriez des larmes de sang à l’idée de ne pas y avoir droit.

Et enfin, concernant les blasphèmes, les énormes tas de boue qu’utilisent les terroristes pour leurs attentats, il s’agit là d’une inspiration clairement lovecraftienne. On voulait nous aussi notre créature indescriptible, gigantesque et susceptible de susciter une terreur primitive !

 

Marc : Le système de magie de l’univers du roman, à base de contrecoups physiques, de présences de particules dans l’air et de différentes disciplines qui touchent à la physique du monde (les miroitistes qui peuvent explorer les mondes derrière les miroirs, les bacillaires qui peuvent soigner les blessures, les matiéristes qui manipulent la matière…) peut être perçu comme un marqueur de modernité. Pourquoi avoir choisi ce système de magie ?

Vincent Mondiot : Là aussi, comme pour les thématiques sociales présentes dans le roman, il s’agit d’un heureux accident plus que d’autre chose ! Nous voulions simplement, au départ, éviter le syndrome « pose pas de questions, c’est magique », trop souvent présent dans la fantasy traditionnelle. Si éléments « surnaturels » il devait y avoir, nous voulions leur donner un semblant d’explication et de cohérence.

Après, pour les détails précis de l’utilisation de la magie, c’est venu petit à petit. Nous n’avons pas tout planifié au départ. C’est plutôt qu’au fil du récit, à chaque fois qu’une scène faisait naître une question nouvelle sur ce sujet, nous prenions le temps de faire une pause et d’imaginer une réponse permettant à la scène écrite de se justifier… Nous avons un document Word de près de cent pages sur le fonctionnement du monde de Mirinar ! Mais c’est toujours le récit, l’intrigue, qui ont dicté leurs impératifs. L’univers soutient l’histoire, pas le contraire. On en revient à cette idée d’écrire un roman et pas une encyclopédie.

 

Marc : Pourquoi avoir choisi de donner un ceste, qui est une arme que l’on voit assez peu, à Elsy ?

Vincent Mondiot : Dans ma tête, Elsy a toujours été une bagarreuse de rue plutôt qu’une combattante martiale et disciplinée. C’est une mercenaire qui traîne dans les bars, fume des joints, connaît chaque recoin sombre de son quartier… En faire une guerrière trop propre sur elle aurait été hors de propos, à mon sens.

Et je trouvais que le ceste (qui est un « poing américain », pour faire simple) représentait bien ce style, cette idée de grosses patates sales placées en traître dans la mâchoire de l’ennemi. Bien plus, en tout cas, qu’une belle épée scintillante destinée à des duels nobles et épiques. Elsy est quelqu’un qui souhaite gagner. C’est son objectif primordial. Et quand on veut gagner, plus que tout, alors il faut oublier l’idée de « gagner avec panache ». Il faut être prêt à tricher.

 

Marc : Peux-tu nous en dire plus sur les futures suites des Mondes-miroirs ? Est-ce qu’elles mettront toujours en scènes Elsy et Élodianne ? Va-t-on pouvoir observer les autres provinces et pays du monde des Arches (et en apprendre plus sur les Arches) ?

Vincent Mondiot : Je vais essayer, au maximum, de faire en sorte que les différents romans (que je signerai désormais seul) soient indépendants les uns des autres. Ils auront toujours comme fil rouge les trajectoires jumelles d’Elsy et Élodianne, mais ils proposeront à chaque fois une intrigue différente, une histoire qui pourra être lue sans besoin de connaître les livres précédents. Du moins, c’est le projet !

Le deuxième roman sortira normalement en fin d’année, et est déjà terminé. Sans trop en dévoiler pour le moment, il prendra place un an après les évènements du premier, et permettra aux lecteurs de découvrir les autres provinces du pays… Il n’y a qu’une petite poignée de scènes qui s’y déroulent à Mirinèce, la capitale où se passe la majorité du premier roman.

Et Elsy y aura les cheveux plus longs, et Élodianne un petit-ami. Ça vaut ce que ça vaut, comme teaser !

 

Marc : Aurais-tu des conseils pour les jeunes auteurs ?

Vincent Mondiot : Tout dépend de leur progression sur ce chemin.

S’il s’agit de donner un conseil à ceux qui cherchent à écrire, ce sera celui-là : écrivez. Beaucoup, souvent, tout ce qui vous passe par la tête. « Forgez pour devenir forgeron » et ce genre de phrases toutes faites. Même si vous vous trouvez nuls à chier pour le moment, vous serez de bien meilleurs écrivains dans mille pages, je vous le garantis. Le format de la nouvelle est un bon exercice pour ça, d’ailleurs, ça permet de s’essayer à des ambiances, des tons et des genres différents sans s’embourber dans des chantiers énormes.

J’ajouterai également qu’il me semble important de finir ses histoires, même lorsqu’elles nous semblent bancales. Pour tirer un enseignement de quelque chose, même d’un échec, je crois qu’il faut le consommer, aller au bout, être sûr d’avoir échoué. Le doute, l’impression de ne pas avoir fini quelque chose, l’idée que « peut-être, si… », c’est un truc qui peut être incroyablement immobilisant. Finissez vos histoires. Tirez-en les leçons. Et passez aux suivantes.

Et s’il s’agit de donner un conseil à des auteurs qui auraient terminé un roman et chercheraient à se faire éditer : persistez. Même vos écrivains favoris ont chez eux une collection surréaliste de lettres de refus. Nous en sommes tous passés par là. N’abandonnez pas. Si vos histoires sont bonnes, un jour, quelqu’un d’autre que vous s’en rendra compte. Frappez à toutes les portes. Plusieurs fois. L’édition est un monde difficile, cruel, et l’une des qualités les plus importantes à y avoir est la persévérance.

 

Marc : Quelles sont tes prochaines dates de dédicaces ?

Vincent Mondiot : Je serai aux Imaginales du 23 au 26 mai prochain, à Épinal. J’aurai d’ailleurs a priori une nouvelle dans l’anthologie de cette année, dont le thème est « Natures », avec un S.

Après ça, je pense que je vais me reposer un peu. J’ai pas mal enchaîné les salons, ces derniers mois, ça m’a permis de voir que le roman avait trouvé ses lecteurs… Il est temps maintenant de leur préparer la suite.

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