Interview de Charlotte Bousquet

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de te proposer une interview de Charlotte Bousquet, autrice de Shahra, diptyque composé des romans Les Masques d’Azr’Khila et Les Voiles d’Azara aux éditions Mnémos !

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Je remercie chaleureusement Charlotte Bousquet d’avoir accepté de répondre à mes questions, et sur ce, je lui laisse la parole !

Interview de Charlotte Bousquet



Marc : Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?

Charlotte Bousquet : Je suis autrice et scénariste. J’ai écrit et publié près d’une cinquantaine de titres pour adultes et adolescents, principalement. J’écris dans des genres très différents – roman graphique, fantasy, récit historique, fiction intimiste, anticipation, etc.


Marc : Avez-vous toujours voulu devenir écrivaine ? Qu’est-ce qui vous a amenée à l’écriture, et aux genres de l’imaginaire particulièrement ?

Charlotte Bousquet : Écrivaine ou vétérinaire, d’après mes souvenirs…

J’écris depuis toujours. Ce qui m’a amenée aux genres de l’imaginaire, ce sont d’abord les livres dont vous êtes le héros, puis les lectures, films et les jeux de rôles, comme beaucoup d’auteur.ice.s , je crois !


Marc : Vous êtes l’autrice d’un diptyque de Fantasy orientale, Shahra. Comment vous est venue l’idée de l’univers de ce cycle ?

Charlotte Bousquet : Au départ, j’étais partie sur une fresque plus guerrière, plus brutale en fait. J’ai bifurqué sur un récit type Mille et une nuits (l’histoire dans l’histoire dans l’histoire. Et puis, entre le moment où Shâhra est né, où j’ai pu bénéficier du dispositif « auteur-associé » de la DRAC  Lorraine, en partenariat avec mes chères Imaginales, l’histoire a encore évolué. Au final, je pense que ce récit intimiste et initiatique est ce qui correspond le plus à mon évolution personnelle aujourd’hui.  On y trouve de la magie (exponentielle, parce que j’adore ça quand même), des quêtes d’identité, du chamanisme et de l’amitié… !

Et un dieu fou – qui je m’en rends compte est le même dans tous mes univers, sous différents noms, simplement. 

Chaos, haine, volonté de puissance, perversion – d’aucun.e.s diraient que c’est une représentation du système patriarcal et du modèle capitaliste…


Marc : Shahra n’est cependant pas votre premier cycle de Fantasy, puisque vous avez écrit Le Cœur d’Amarantha, publié aux éditions Nestiveqnen, et L’Archipel des Numinées aux éditions Mnémos. Comment voyez-vous Shahra par rapport à ces deux autres cycles ?

Charlotte Bousquet : Shâhra est le plus intimiste des trois, les Numinées, le plus sombre et Amarantha, le plus héroïque. En dehors de cette divinité maléfique assimilée au néant, au chaos (le côté obscur de la Force lol), je dirai qu’il y a dans Amarantha les germes des deux autres, peut-être. 


Marc : Vous écrivez également des romans jeunesse et les adolescents, avec par exemple Des œillets pour Antigone publié chez Scrinéo et Proie idéale aux éditions Rageot. Différenciez-vous l’écriture pour un public adulte et un public plus jeune ? Comment ces romans sont-ils perçus par le jeune public ? Et par le public adulte ?

Charlotte Bousquet : J’écris principalement pour les adolescents et les jeunes adultes, très peu pour les plus jeunes. Je ne fais aucune différence thématique. Ma façon d’écrire est tout aussi sincère. Et ça me fait toujours rire – avec une pointe d’agacement quand même – quand je lis des chroniques du genre : « c’est bien écrit pour un roman jeunesse » ou « j’aurais aimé que ce soit plus approfondi mais ce n’est qu’un roman jeunesse », deux faces d’une même pièce si vous voulez qui témoignent d’une vision biaisée et condescendante de la littérature destinée à public jeune ou jeune adulte. C’est malheureusement une vision héritée d’une époque où la littérature « pour enfants » comme la fantasy, le merveilleux d’ailleurs étaient le domaine des bonnes femmes – c’est-à-dire, dans une société patriarcale avec une combo héritage des Lumières+ Code Napoléon, tout juste bonne à moucher le nez des enfants et si possible en silence. Il y a de la bonne et de la mauvaise littérature ; il y a aussi de bonnes ou mauvaises rencontres avec des livres. Là encore, peu importe le genre ou le public visé.


Marc : Shahra est composé de deux romans, Les Masques d’Azr’Khila et Les Voiles d’Azara. Est-ce que le format du diptyque vous est venu naturellement à l’esprit ?

Charlotte Bousquet : Non. J’étais partie sur un gros volume, avec des batailles, du sang, de l’héroïsme.

J’ai bifurqué en chemin.


Marc : Comment se sont déroulées les rédactions et les processus éditoriaux des deux romans ? Avez-vous des anecdotes à partager ?

Charlotte Bousquet : Très lentement. D’habitude, j’écris vite. Là, il m’a fallu plus d’un an pour chaque volume. Fred Weil a assuré la direction littéraire. Et Mélanie a dessiné ces deux magnifiques couvertures…


Marc : Trois des quatre personnages principaux de votre récit, Aya Sin, Djiane et Tiyyi, sont des femmes. Le quatrième personnage principal, Arkhane, est une personne intersexe qui a subi des mutilations génitales. Est-ce que ces personnages se sont imposés à vous, ou est-ce que vous avez choisi de mettre en avant des personnages féminins ? Pourquoi mettre une scène une personne intersexe ?

Charlotte Bousquet : Dans certaines tribus, aux États-Unis, il existe un troisième genre. Ces personnes sont sacrées, considérées comme gardiennes de l’invisible et capables de servir d’intermédiaire avec les esprits. J’ai repris cet archétype avec Arkhane. Je l’ai appelée androgyne en référence au mythe éponyme raconté dans Le Banquet (et parce qu’elle part en quête de sa moitié mutilée, non par les dieux mais sur ordre d’une rivale malfaisante). Djiane est née dans une nouvelle restée inachevée. Elle s’est réveillée avec ce récit. Tiyyi était là. Juste là. Quant à Aya Sin, elle est apparue pour la première fois dans « La Voix des renards pâles », une nouvelle publiée dans l’anthologie des Imaginales 2017 (Natures, dirigée par Stéphanie Nicot).


Marc : Le diptyque traite d’ailleurs de l’émancipation de ses personnages, qui luttent pour échapper à un passé particulièrement douloureux ou à des emprises toxiques. Est-ce que vous qualifierez votre roman de féministe ?

Charlotte Bousquet : Tous mes romans sont féministes.


Marc : Shahra appartient au genre de la Fantasy orientale. Pourquoi avoir choisi ce genre de la Fantasy ? Dans les remerciements des Masques d’Azr’Khila, vous affirmez vous inspirer des cultures « scythe, animiste, arabe et perse ». Pourquoi ces inspirations ? Est-ce que ce sont des cultures dont vous êtes familière ? Avez-vous fait des recherches à leur sujet ?

Charlotte Bousquet : J’aime le désert. J’aime les montagnes et les paysages lunaires du Maroc. Les teintes parfois pourpres des roches. Les vents de sable. Les étoiles qui brillent comme des diamants dans la nuit. Les aboiements des chacals dans le lointain. Le souffle d’un cheval, qui grignote son foin à quelques pas de là. J’ai puisé les paysages de Shâhra dans des pays que j’ai visité, où j’ai vécu. J’ai effectué des recherches, comme chaque fois que j’écris. Contes. Histoire. Poésie. Films. Chamanisme. J’ai mélangé tout cela, et voilà…


Marc : Votre diptyque se situe donc dans une veine plus moderne de la Fantasy, qui prend appui sur des mondes extra-européens. Que pensez-vous de cette évolution du genre ?

Charlotte Bousquet : Ce qui est intéressant surtout, c’est que de nouvelles voix émergent – ou plutôt, se rendent audibles. Et ces nouvelles voix sont des femmes racisées, comme Nnedi Okorafor par exemple.


Marc : Les deux romans de Shahra montrent des « dyns », des poèmes spontanés marqués par l’oralité et qui transmettent les sentiments des personnages qui les prononcent. Pourquoi avoir intégré des poèmes à votre narration ? Comment les avez-vous rédigés ?

Charlotte Bousquet : Les dyns sont des poèmes-chants. Comme les Joik saamis dont j’adore le principe… Et les transes chamaniques amérindiennes transcrites en poèmes . Je me suis imprégnée de ces deux cultures et je me suis mise à écrire des dyns et amusée, également, à leur donner une forme, une direction.


Marc : Shahra donne une importance particulière à la nature, ce qu’on observe dans le fait que les personnages évoluent dans des milieux peu ou pas urbanisés, mais également dans leurs rapports avec les animaux, puisque Tiyyi est accompagnée par le loup-papillon Enno, Arkane est accompagnée par un âne, Fhul, et aidée par des vautours, tandis que Djianne tisse des liens forts avec ses chevaux. Pourquoi lier vos personnages à la nature ? Ce lien avec les forces naturelles s’observe également dans les pouvoirs de Tiyyi et d’Arkane. Pourquoi lier les pouvoirs surnaturels à la nature ?

Je ferai (sans modestie aucune) miens ces mots de Stting Bull : « La terre n’appartient pas à l’homme. C’est l’homme qui appartient à la terre. » Et tout aussi vrai dans l’univers de Shâhra. Les humains sont des animaux, au même titre que les lycaons, les ânes, les grenouilles et les vautours. Enno, Fhul et Âmel ont leur propre histoire, et cheminent aux côtés de celles qu’ils ont choisies comme famille. Dans Shâhra, il existe même des renards pâles doués de magie. Quant à la magie, elle est évidente pour moi, parce que je suis d’une culture et tradition qui considère les éléments en magie (sans compter les innombrables jeux de rôles qui s’y réfèrent aussi…).


Marc : Les personnages principaux du diptyque apparaissent Élus par une « prophétie » qui est manipulée, tandis qu’Aya Sin est choisie par la déesse Azara. Sans rentrer dans les détails, Malik, l’antagoniste du récit, est manipulé par une puissance occulte. Pourquoi mobiliser la figure de l’Elu(e) ? 

Charlotte Bousquet : C’est l’approche qui m’a parue la plus juste.


Marc : Shahra traite également d’immortalité, à travers la quête de Malik, qui cherche à obtenir un corps capable de vivre éternellement. À l’inverse, Kele’r Kwambe est un immortel qui cherche à devenir humain. Pourquoi montrer des trajectoires et des comportements exactement inverses ? Pourquoi traiter du thème de l’immortalité ?

Charlotte Bousquet : Kele’r Kwambe n’est pas juste le gentil Immortel qui veut devenir humain. En deux cents ans, il a eu le temps de faire pas mal de dégâts – et d’enfants… dont Malik. Ce qui m’intéresse, c’est de parler de vieillissement, de rapport au corps et à la mort, à la peur de vieillir et à la peur de mourir. Les humains sont capables du pire pour échapper à la finitude. Ils construisent des prisons pour ne pas voir leurs « vieux », ils se perdent dans l’immédiateté de la surconsommation, ils sont tellement avides qu’ils engloutissent le monde, ils détruisent ce qui les effraie au lieu d’essayer de comprendre, ils ont tellement peur qu’ils finissent par rejeter leur propre nature.

Il serait peut-être temps d’arrêter cette course qui ne mène à rien, sinon au côté obscur de la Force (oui, je suis inconditionnellement fan de Star Wars, aussi).


Marc : Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?

Charlotte Bousquet : Une série de romans sur les relations interspécifiques, pour Scrinéo. Un récit pour Glénat. Et un énorme projet à six mains, avec Fabien Fernandez et ma chère Christine Féret-Fleury.


Marc : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs ?

Charlotte Bousquet : Écrire. Écrire. Écrire. Croire en soi (c’est le plus difficile). Ne pas signer n’importe quoi n’importe comment. Être sincère. Et si on est ok avec les relectures en amont, foncer chez les grenouilles du collectif Cocyclics ! 

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