Ecotopia, d’Ernest Callenbach

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de science-fiction écologique qui conserve toute son actualité.

Ecotopia, d’Ernest Callenbach

Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Folio SF, que je remercie pour l’envoi du roman !

Ernest Callenbach est un écrivain, journaliste et critique de cinéma américain né en 1929 et mort en 2012.

Son roman Ecotopia, dont je vais vous parler aujourd’hui, est originellement paru en 1975, et a été traduit par Brice Matthieussent pour la collection Stock, qui a publié la version française de l’œuvre en 1978. Les éditions Rue de l’échiquier l’ont rééditée en 2018, et en 2021, la collection Folio SF de Gallimard a repris le roman en poche. Cette édition est dotée d’une préface du traducteur.

En voici la quatrième de couverture :

« Trois États de la côte ouest des États-Unis — la Californie, l’Oregon et l’État de Washington — décident de faire sécession et de construire, dans un isolement total, une société écologique radicale, baptisée Écotopia. Vingt ans après, l’heure est à la reprise des liaisons diplomatiques entre les deux pays. Pour la première fois, Écotopia ouvre ses frontières à un journaliste américain, William Weston.
Au fil des articles envoyés au Times-Post, il décrit tous les aspects de la société écotopienne : les femmes au pouvoir, l’autogestion, la décentralisation, les vingt heures de travail hebdomadaire et le recyclage systématique. D’abord sceptique, voire cynique, William Weston vit une profonde transformation intérieure. Son histoire d’amour intense avec une Écotopienne va le placer devant un dilemme crucial : choisir entre deux mondes. »

Mon analyse du roman traitera de la manière dont Ernest Callenbach décrit une utopie palpable et frappante.


L’Analyse


Utopie écologique, roman précurseur


Ecotopia met en scène le personnage de William Weston, un journ   aliste américain qui travaille pour le Times Post. C’est à travers son regard que le lecteur découvre Ecotopia, un pays qui a fait sécession des États-Unis vingt ans avant le début de la diégèse. Ernest Callenbach met donc en scène un personnage de candide pour faire découvrir Ecotopia à son lecteur. Néanmoins, William Weston est un faux personnage candide, puisqu’il n’est pas un véritable naïf, ce qu’on remarque dans les idées préconçues qu’il nourrit vis-à-vis de la société qu’il visite, mais aussi dans l’intérêt diplomatique que sa visite constitue, puisqu’il est chargé par le gouvernement des États-Unis de faire en sorte que les relations diplomatiques entre les deux pays reprennent (du bon pied, de préférence), tout en documentant sa visite. Le roman prend alors une forme de double journal, avec d’une part, les articles de presse que Weston rédige, et qui traitent de point précis de la société écotopienne, tels que l’économie, la gestion des entreprises, l’éducation, les médias, les rôles genrés, et d’autre part, son journal personnel, dans lequel il relate son quotidien en Ecotopia, avec les discussions, et les rencontres plus ou moins charnelles qu’il fait. Ce journal et les articles de Weston permettent au lecteur de découvrir le fonctionnement du pays et la manière dont les écotopiens pensent la société, et montre l’évolution de la perception de Weston, qui s’intègre peu à peu au pays. S’il prenait les écotopiens pour des naïfs utopistes de prime abord, il se rend vite compte que chaque mesure, qu’elle soit écologique, économique ou a été pensée de manière très rationnelle.

Le roman traite également de l’Histoire d’Ecotopia, marquée par l’isolationnisme vis-à-vis des États-Unis et une guerre plus ou moins tacite et connue des populations des deux pays. Ainsi, Weston pensait que les écotopiens avaient recours à une forme de violence brutale et primitive ritualisée, et c’est le cas dans une certaine mesure, mais ils ne tentent d’envahir et de détruire des pays qui ne partagent pas leurs idées politiques. Le journaliste observe donc que les stéréotypes qui courent à propos d’Ecotopia sont faux et visent à diaboliser ses habitants. Par exemple, les jeux de guerre auxquels ils se livrent en lieu et place des compétitions sportives s’arrêtent au premier sang, et ne sont donc pas la cause de la baisse démographique énorme du pays, comme peuvent le prétendre les américains. En revanche, on peut observer que la plupart des citoyens écotopiens disposent d’armes anti-aériennes pour détruire des hélicoptères en cas d’attaque des États-Unis.

La société écotopienne mêle haute technologie, souci écologique et accessibilité sociale. On le remarque à travers les descriptions des nombreuses innovations qui parsèment le récit. Les écotopiens disposent donc de trains à suspension et propulsion magnétique, de « vidéophone » qui fonctionnent grâce à un écran de télévision. Les transports publics sont gratuits ou peu chers et écologiques, avec des trains et tramway mais aussi un usage largement démocratisé du vélo, les engrais chimiques et les vêtements synthétiques sont interdits, et des tapis roulants permettent l’alimentation des magasins par des réseaux souterrains.  

On remarque que la philosophie du Do It Yourself est extrêmement répandue chez les écotopiens, qui fabriquent et réparent énormément d’objets eux-mêmes, de leurs vêtements et outils, jusqu’à leurs maisons et leurs véhicules électriques (oui oui). Ernest Callenbach décrit aussi la miniaturisation des technologies et l’emploi généralisé d’énergies renouvelables, avec la géothermie, l’hydroélectricité, les panneaux solaires, les pompes à chaleur, des carburants végétaux et sans pétrole et même la captation des radiations solaires. Ecotopia conçoit également du plastique véritablement écologique à partir de bois et digérable par des micro-organismes pour ne pas le laisser polluer la nature. Cet usage du plastique soulève cependant des débats, puisque certains écotopiens rejettent totalement l’utilisation de matières artificielles, notamment pour la construction des maisons, ce qu’on observe lorsque Marissa, la forestière que rencontre Weston, rejette les maisons modulables en plastique à cause de leur déconnexion de la nature. Les habitants d’Ecotopia recherchent donc un lien direct avec la nature et veulent établir un rapport harmonieux avec les écosystèmes, ce qui se remarque dans leur volonté de réduire leur pollution, en interdisant l’éclairage de nuit et les voitures individuelles, remplacées par un système de transports en commun particulièrement efficace.

Cet attrait pour le DIY se remarque également dans l’emploi écologique de certaines technologiques, avec des radios qui fonctionne grâce à des roues à aubes par exemple (oui oui), mais aussi le nombre faramineux de publications amateur rendu possible grâce à des presses offset portatives. On remarque donc que les écotopiens rejettent en partie les procédés industriels de transformation du monde, qu’ils cherchent alors à façonner à leur échelle.

Le DIY interroge également le rapport des écotopiens à l’art et à l’artisanat. En effet,  la plupart des habitants du pays fabriquent eux-mêmes leurs meubles, leurs vêtements, leurs instruments de musique et se consacrent aux arts, mais  ils déclarent « nous ne connaissons pas le mot art, nous nous contentons de faire de notre mieux », et Weston affirme que les objets fabriqués par les écotopiens ne sont « pas tout à fait de l’art et pas tout à fait autre chose non plus ». La création et la fabrication d’objets semblent s’inscrire dans une démarche de l’utile, de l’agréable et de l’esthétique, mais pas dans une intellectualisation qui pourrait transformer les productions écotopiennes en art, malgré leur beauté.

Le mode de vie écotopien s’articule autour de la disparition de la famille nucléaire au profit d’une famille étendue, ce qui fait que plusieurs amis et couples peuvent vivre sous le même toit et élever leurs enfants en commun, par exemple. Ada Palmer mettra plus tard en scène une société où la cellule familiale est étendue, avec les « bash » qui regroupent des individus qui forment une famille non nucléaire dans Terra Ignota, composé des excellents Trop semblable à l’éclair, Sept Redditions, La Volonté de se battre et Peut-être les étoiles, que je ne peux que vous recommander. Les deux univers peuvent également être rapprochés par leur vision du travail, puisqu’Ernest Callenbach montre que la semaine de travail est de vingt heures en Ecotopia, comme dans les romans d’Ada Palmer. Les deux auteurs décrivent des sociétés qui remettent en question notre manière contemporaine d’envisager le travail, en lui opposant des modèles plus humains et moins soumis aux impératifs de productivité.

Le monde que décrit Ernest Callebach est écologique, mais il est également marqué par des mesures sociales fortes, qui le rendent radicalement différent de la société de production et de consommation (et d’exploitation) telle qu’on la connaît. En effet, la fiscalité d’Ecotopia s’appuie sur les impôts sur la production des entreprises, dont les déclarations ne sont pas confidentielles, ce qui empêche les fraudes, les entreprises sont possédées par les travailleurs, les médias ne sont pas aux mains de trusts qui contrôlent l’opinion, la publicité est grandement réduite, l’état garantit à vie l’accès à la nourriture, aux soins médicaux et au logement, et les écoles sont adaptées à tous les types d’élèves. Le système éducatif enseigne autant la survie dans la nature et la biologie, que des matières plus théoriques, ce qui fait que les enfants sont bien plus instruits, mais elle inculque également des valeurs de solidarité, puisque les élèves s’entraident et n’entretiennent pas de rivalité. On remarque d’ailleurs que l’entraide et la sollicitude sont au cœur de la société écotopienne. Weston décrit en effet des moments de solidarité spontanée, qui s’appuient sur des critiques constructives et montrent les émotions de ceux qui les émettent ou les reçoivent.

Quelqu’un a demandé à Ruth pourquoi elle n’avait pas appelé à l’aide dès qu’elle s’était sentie dépassée par le rythme des commandes. Elle a rougi avant de répondre, en lançant un regard mauvais aux autres cuisiniers, que c’était son boulot et qu’elle n’avait besoin de personne pour le faire. Un autre client, qui semblait connaître Ruth, a dit qu’il savait très bien qu’elle ne solliciterait pas l’aide des autres cuisiniers, eux-mêmes très occupés ; mais pourquoi ne pas reconnaître que, de temps en temps, elle était débordée et qu’elle pouvait demander de l’aide ?

D’autres clients ont alors déclaré qu’ils se seraient volontiers mis aux fourneaux pour lui filer un coup de main. Honteuse ou bien soulagée, Ruth a soudain fondu en larmes. Deux clients sont entrés dans la cuisine, l’ont serrée dans leurs bras et ont entrepris de l’aider dans ses tâches ; elle a sans doute arrosé de larmes salées ses deux ou trois commandes suivantes, mais tout le monde est retourné s’asseoir à sa table, apparemment très content de cet épisode, et le plaignant a mangé avec appétit les œufs brouillés qu’on lui a resservis, après avoir remercié mille fois Ruth qui avait pris la peine de les lui apporter elle-même, tandis que de nombreux sourires se tournaient vers elle.

On remarque donc que les écotopiens laissent libre cours à leurs émotions, ce qui choque Weston dans un premier temps. Cependant, cette liberté de montrer ses émotions, même pour les hommes, permet de rendre les rapports sociaux plus authentiques et fraternels. La relation amoureuse que noue Weston avec Marissa et les amitiés qu’il tisse avec les journalistes du Cove, marquées par la sollicitude des écotopiens envers lui malgré ses réticences, montre alors la manière dont sont envisagées les rapports sociaux en Ecotopia, c’est-à-dire sans l’angle de la domination. À ce titre, les rapports genrés sont égalitaires, puisque des femmes occupent des postes de pouvoir autant que des hommes, ce qu’on observe dans le fait que le pays soit dirigé par une certaine Vera Alwen. Le roman d’Ernest Callenbach décrit donc une société égalitaire en termes de rapports genrés.

La solicitude des écotopiens les uns envers les autres est aussi implantée dans le système médical, où chaque patient est accompagné par une infirmière en permanence, qui se charge de soigner son corps, mais aussi son psychisme, ce qu’on observe lorsque Weston se trouve à l’hôpital, choyé par Linda, une infirmière particulièrement dévouée. C’est la solicitude des écotopiens, mais aussi la fraternité et l’amour de ses amis et de Marissa qui conduit Weston à reconsidérer ses préjugés sur Ecotopia. Il se trouve alors transformé par son expérience.

Ecotopia semble avoir résolu les tensions entre les peuples qui composent la population des États-Unis, ce qu’on peut voir avec le modèle de Soul City, l’enclave noire indépendante présente sur le sol écotopien. Soul City constitue une utopie, puisque la condition noire y est largement plus aisée qu’aux États-Unis, ce que soulève Weston.


Le mot de la fin


Ecotopia est un roman de science-fiction utopique d’Ernest Callenbach, dans lequel l’auteur met en scène un pays fictif composé d’états ayant fait sécession des États-Unis. Ce pays permet de mettre en scène une véritable société écologique et sociale, comme un possible envisageable et sans doute nécessaire. Les écotopiens vivent ainsi dans une société en harmonie avec la nature, où les énergies sont renouvelables, et dans lequel l’état et le travail sont considérablement transformés pour créer un monde égalitaire et emprunt de sollicitude. Le journaliste américain William Weston, qui découvre Ecotopia, est peu à peu transformé par le mode de vie de ce pays.

J’ai beaucoup aimé ce roman, parce que le traitement des questions sociales par Ernest Callenbach rendent son propos encore toujours très actuel, quarante-cinq ans après sa parution initiale !

Vous pouvez consulter les chroniques de Charybde, Touchez mon blog monseigneur,

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11 commentaires sur “Ecotopia, d’Ernest Callenbach

  1. C’est vrai que le propos est intéressant, plein de bon sens, peut-être un peu radical mais finalement assez lucide. Et le livre a le mérite d’inviter à se pencher sur des questions environnementales de plus en plus essentielles.

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