L’Académie de l’éther, de Johan Heliot

Salut à tous ! Avez-vous envie de découvrir un grand auteur de l’imaginaire français ? Est-ce que vous connaissez le genre de l’uchronie ? Dans ce cas, l’œuvre dont je vais parler aujourd’hui va très probablement vous intéresser. Aujourd’hui, je vous présente…

L’Académie de l’Éther (Grand Siècle, tome 1), de Johan Heliot

 

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Introduction

 

Johan Heliot est un auteur français né en 1970. Il pratique des genres assez divers et écrit pour la jeunesse comme pour les adultes. Il a été reconnu au début des années 2000 pour sa Trilogie de la Lune, dont les deux premiers tomes, La Lune seule le sait et La Lune n’est pas pour nous, ont respectivement reçu les prix Rosny Aîné et Bob Morane en 2000 et 2005.

Outre la Trilogie de la Lune (parue en intégrale chez Mnémos en 2011), il a également écrit Françatome: Aujourd’hui l’atome, demain l’espace (paru chez Mnémos en 2013), ou encore Bloodsilver (paru en 2006 chez Mnémos puis réédité chez Folio SF), écrit en collaboration avec Xavier Mauméjean, un autre auteur de l’imaginaire français dont je vous reparlerai dès que j’aurai lu l’intégrale de La Ligue des Héros (parue en 2016 chez Mnémos). La petite bibliographie de Johan Heliot que je viens de vous donner n’est absolument pas exhaustive, mais les œuvres que j’ai mentionnées présentent toutefois un point commun. Elles peuvent toutes être rattachées au genre de l’uchronie, tout comme L’Académie de l’éther (paru chez Mnémos en 2017) , l’œuvre de Johan Heliot dont je vais vous parler aujourd’hui.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« L’ambitieux lieutenant de frégate Baptiste Rochet présente au jeune Louis XIV une étrange météorite sphérique, rapportée de son dernier périple en mer. Médusé, le mathématicien et penseur Blaise Pascal y trouve alors une terrifiante source d’inspiration. Ses découvertes bouleverseront à tout jamais le destin du Roi-Soleil et de son royaume, ainsi que les vies d’une fratrie tentant d’échapper à la misère et impliquée bien malgré elle dans les drames à venir.

Nobles comploteurs, inventions géniales de Pascal, imprimeurs libellistes, malfrats sans pitié de la cour des Miracles et mousquetaires désenchantés peuplent le théâtre d’un monde sur le point de basculer dans un Grand Siècle futuriste, entre ombre et lumière, entre la terre et les étoiles. »

L’Académie de l’éther nous transporte donc dans le XVIIème siècle français, au début du règne de Louis XIV, alors qu’il doit faire face à la Fronde (une révolte de la noblesse contre le pouvoir royal) dont fait partie son cousin le prince de Condé), mais aussi à la guerre franco-espagnole qui bat alors son plein. On suit donc le futur Roi-Soleil mais également d’autres personnages, qu’ils soient historiques comme Mazarin ou Blaise Pascal, ou inventés comme la fratrie de Pierre, Jeanne, Marie, Estienne et Martin, qui viennent à Paris pour sortir de la misère et avoir une vie meilleure. Le lecteur dispose donc du point de vue de plusieurs personnages aux destins très divers dans l’histoire du Grand Siècle de Johan Heliot.

Mon analyse portera sur la façon dont est employée l’uchronie dans L’académie de l’éther pour observer l’originalité de l’œuvre et les thèmes qu’elle permet d’aborder. Je ne ferai pas de partie avis pour cet article, puisque j’ai adoré le roman et que je l’ai dévoré ! Je préfère donc vous livrer quelques points d’analyse qui vous expliqueront ce que j’ai aimé dans l’œuvre. Comme d’habitude, je vous préviens du risque de spoilers si vous n’avez pas lu le livre, même si les informations que je donne sont hors contexte et ne vous dévoilent pas grand-chose de l’intrigue en elle-même. Je rappelle également que mon analyse découle de mes propres réflexions sur le roman. Vous pouvez ne pas être d’accord avec celles-ci, et si c’est le cas, je vous invite à poster les vôtres en commentaire.

 

L’Analyse

 

Le but de cette analyse sera de vous montrer à quoi sert l’uchronie dans L’Académie de l’éther. Cependant, il convient d’abord de définir ce qu’est l’uchronie. Je vais vous en donner une définition. D’après le dictionnaire Larousse en ligne, l’uchronie est « une reconstruction fictive de l’histoire, relatant les faits tels qu’ils auraient pu se produire ». Pour préciser cette définition, on peut y ajouter celle du Guide de l’uchronie, paru en 2015 chez ActuSF, qui dit que « L’uchronie consiste donc en une réécriture de l’histoire à partir d’un point de divergence précis ».

L’uchronie est donc un genre littéraire où l’auteur peut réécrire l’Histoire pour créer une sorte d’histoire alternative, à partir d’un autre déroulement possible des faits historiques, pour créer un « point de divergence » qui rend son récit complètement différent de l’Histoire connue. Par exemple, dans Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick, le point de divergence utilisé par l’auteur est la victoire de l’Axe durant la Seconde guerre Mondiale.

Maintenant que j’ai défini ce qu’est l’uchronie, je vais à présent parler de L’Académie de l’éther.

Beaucoup de détails du roman nous donnent à voir le XVIIème siècle historique français.

Le roman de Johan Heliot prend place dans la jeunesse de Louis XIV, à l’époque de la Fronde du Prince de Condé et de la guerre franco-espagnole. On peut donc chronologiquement situer l’action entre le début des années 1650 et le début des années 1660, puisque le dernier chapitre donne une date, celle de la mort de Mazarin, le « 9 mars 1661 », qui est également la date de la mort du personnage historique. Le contexte de la guerre franco-espagnole et de la Fronde est souvent mentionné par les personnages, qui s’en préoccupent, ce qui permet au lecteur de s’immerger dans une période historique et de comprendre ses enjeux, expliqués par les personnages.

D’autres éléments permettent au lecteur de s’immerger dans l’époque que dépeint l’auteur. En premier lieu, les personnages et le narrateur adoptent le parler de l’époque et utilisent un langage parsemé de tournures et de mots qui paraissent archaïques aujourd’hui. Cela s’observe en particulier dans les prises de parole de Louis XIV et des aristocrates. Il est également fait mention de plusieurs personnages historiques de l’époque sans qu’ils agissent, tels que René Descartes, Cyrano de Bergerac, ou encore Théophraste Renaudot. Ces mentions renforcent l’aspect historique du roman. La « Voix de Paris » de Jeanne, avec le vocabulaire qu’elle emploie et le jeu typographique du titre, disposé en cul-de-lampe, permet de montrer l’impact des faits et gestes de ses frères sur la société parisienne.

Le contexte historique et les personnages permettent donc au lecteur de plonger dans le XVIIème siècle français, grâce à un effet de couleur locale. Johan Heliot reprend des traits particuliers de cette époque pour mieux la modifier par la suite, grâce au point de divergence principal qu’il utilise pour former son récit.

Dans une uchronie, on appelle le point de divergence la partie du récit qui permet à l’auteur de créer son histoire parallèle. Dans L’Académie de l’éther, le point de divergence se forme avec le contact entre le Royaume de France et une entité extraterrestre assez mystérieuse, l’UEC, qui va donner à Louis XIV des rêves de conquête spatiale. De ce contact vont découler d’autres points de divergence majeurs, tels que la maîtrise de « l’effluve » et l’invention des « effluvines », qui sont des générateurs électriques qui vont permettre toujours plus de progrès grâce à l’ingéniosité de Blaise Pascal. Grâce au contact avec l’UEC, la France se développe bien plus vite qu’historiquement, avec un armement supérieur et une industrialisation qui risque d’apparaître bien avant le XIXème siècle. Ce côté rétro-futuriste permet de créer une esthétique qui est proche du steampunk, mais différente, puisqu’elle se place à une autre époque. Cela confère une touche d’originalité au roman, en plus de donner beaucoup de possibilités pour la suite du récit. L’uchronie et le rétro-futurisme permettent également d’explorer certains thèmes de manière originale, et c’est ce dont je vais parler à présent, de manière non exhaustive.

L’Académie de l’éther donne à voir au lecteur une société française qui est ébranlée dans ses convictions religieuses, puisque la conquête de l’espace peut remettre en question la place et l’existence même de Dieu, ce qui fait que le « pape rouge » (qui aura sans doute une grande importance dans les tomes suivants) et d’autres personnages considèrent les vues du roi comme impies. Le scepticisme de Blaise Pascal appuie cette remise en question de la religion. L’impiété de ses vues sur « l’éther » participe à la construction du personnage du jeune Louis XIV, qui doit se confronter de nombreuses fois à l’opinion publique, représentée par ses conseillers et La Voix de Paris qui le prennent pour un inconscient, alors qu’il n’a pas encore totalement assis son pouvoir sur le trône de France. Le lecteur observe donc à travers le combat du jeune roi contre l’opinion publique et les troubles politiques, mais également via les yeux de ses valets dévoués, les Bontemps. On perçoit donc Louis XIV dans la sphère publique, mais également dans la sphère privée et intime, ce qui donne au personnage du jeune monarque un côté très humain, sans sombrer dans le pathétique. Cela permet de souligner le fait que Louis est un dirigeant en devenir, tout en montrant ses passions et ses incertitudes face à la Fronde et à l’UEC. À travers les troubles du roi et ceux de la société, le lecteur peut observer les enjeux politiques et sociaux des avancées scientifiques, mais aussi un monarque qui n’est pas tout-puissant.

L’œuvre de Johan Heliot traite également du « pouvoir de la science » et du premier contact d’une manière originale, puisque ces deux thèmes s’inscrivent parfaitement dans le contexte de la Fronde et de la guerre franco-espagnole. En effet, par le biais de l’UEC, le roi va exploiter les découvertes que l’entité extraterrestre permet de faire, grâce à l’aide de Blaise Pascal qui construit les « effluvines ». Pascal est alors confronté aux désirs de victoires militaires et de conquête spatiale de son jeune roi, mais également à son idée de progrès, notamment son envie d’améliorer les transports parisiens. Estienne, l’apprenti de Pascal, se rend compte du pouvoir parfois controversé de la science à cause de circonstances tragiques, puisque le progrès peut autant servir les guerres qu’améliorer la vie du peuple. Le fait que Louis XIV ait foi dans le progrès semble appuyer ce propos, puisqu’il souhaite faire « un grand pas pour l’humanité » en se lançant à la conquête de l’éther. Cependant, cette conquête est motivée par l’Unité d’Exploration Conscientisée, l’entité extraterrestre dont les buts et l’identité exacte restent mystérieux. L’UEC découvre l’Homme du XVIIème et semble se servir de lui pour repartir chez elle, le considérant comme une « interface primitive », dont elle relève les préjugés et les croyances qu’elle semble juger avec dédain dans les chapitres qui lui sont consacrés. Le lecteur observe donc un extraterrestre affaibli qui doit traiter avec les humains, mais dont l’espèce semble être largement supérieure technologiquement, ce qui est original puisque l’être venu d’ailleurs, qui semblerait plus fort au premier abord apparaît comme faible. Tout porte à croire qu’elle sera plus exploitée dans les prochains tomes ! Personnellement, j’apprécie beaucoup les méthodes qu’emploie l’UEC sur les Hommes. Elles m’ont beaucoup fait penser à la Seconde Fondation, ou encore à Gaïa de l’univers de Fondation d’Isaac Asimov.

Le roman aborde également des questions sociales. L’auteur place les personnages de la fratrie des Caron dans divers milieux sociaux pour montrer les conséquences des actions du pouvoir royal sur chacun de ces milieux, avec par exemple la science pour Estienne ou l’imprimerie pour Jeanne. Chacun des membres de cette fratrie vit les événements différemment de ses frères et sœurs et offre un point de vue sur les événements (Jeanne n’approuve pas les ambitions du roi alors qu’Estienne les soutient). Leurs actions (ou celles du roi) ont souvent des conséquences sur les autres personnages, ce qui permet de justifier le système de différents points de vue et de montrer les conséquences immédiates de leurs décisions, en plus d’approfondir et de dynamiser l’action.De plus, certains personnages risquent d’être plus exploités dans les prochains tomes pour obtenir encore plus de points de vue, mais je ne vous en dirai pas plus !

 

Le mot de la fin

 

Pour conclure cette analyse, je dirais que L’Académie de l’éther est un très bon premier tome qui pose les bases de ce qui sera très probablement une excellente trilogie. Johan Heliot utilise avec brio les ressorts de l’uchronie pour nous dépeindre un Grand Siècle bien différent de ce qu’il a été, mais qui possède une cohérence propre et qui regorge de mystères ! En tout cas, je vous conseille très vivement L’Académie de l’éther si vous voulez découvrir l’histoire du XVIIème d’une manière ludique, si vous appréciez l’uchronie, l’Histoire, ou la SF, et surtout, si vous êtes curieux !

J’ai également lu et chroniqué les tomes 2 et 3 de la trilogie, L’Envol du Soleil et La Conquête de la sphère

Vous pouvez également consulter les chroniques de L’Ours l’Inculte, Boudicca, Lhisbei, Ombrebones, Joyeux Drille, Aelinel