L’Envolée des Enges, de Claire Krust

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler de l’un des romans de la Rentrée de la Fantasy française, celui que je n’avais pas encore lu,

L’Envolée des Enges, de Claire Krust

 

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Introduction

 

Avant de commencer, je tiens à préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions ActuSF, que je remercie pour leur envoi ! J’avais également discuté avec l’autrice lors de sa dédicace à La Dimension Fantastique en Septembre, c’était très intéressant.

Claire Krust est une autrice française, passionnée depuis longtemps par l’écriture et les littératures de l’imaginaire. Son premier roman, Les Neiges de l’éternel était paru en 2015 chez ActuSF et est disponible depuis peu en poche dans la collection Hélios à l’heure où j’écris ces lignes. Son deuxième roman, L’Envolée des Enges, est le premier tome d’un diptyque, et est paru dans le cadre de la Rentrée de la Fantasy Française de 2018 des Indés de l’Imaginaire, dans la collection Bad Wolf d’ActuSF, qui est dédiée à la Fantasy française.

Pour rappel, la Rentrée de la Fantasy Française est une opération menée par les Indés de l’Imaginaire (ActuSF, Mnémos, Les Moutons Électriques), durant laquelle ils présentent de nouveaux romans et auteurs français de Fantasy à l’occasion de la rentrée littéraire. À noter que j’ai aussi chroniqué les deux autres romans de cette Rentrée de la Fantasy Française de cette année, à savoir Les Mondes miroirs de Vincent Mondiot et Raphaël Lafarge et Le Dompteur d’avalanches de Margot Delorme.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Depuis des décennies, les Enges vivent en paix en haut de leur pilier, en totale communion avec le vent, exilés du reste du monde dont ils n’ont que faire. L’Envolée est proche, ce rite qui leur permet d’acquérir leurs ailes d’or et de s’élancer vers les cieux. Mais le coeur de Céléno n’est pas à la fête. Rejetée par ses pairs, privée de ce droit, elle est sur le point d’assister au départ de l’homme qu’elle aime en secret. C’est alors que l’impensable se produit. Les hommes, ces êtres qu’ils ne connaissent que dans les légendes, surgissent et mettent leur pilier à feu et à sang.

Précipitée sur la terre ferme, parachutée dans un monde qu’elle ne comprend pas et qui veut sa mort, Céléno est sauvée in extremis par Sujin l’Être de l’eau. Ensemble, ils vont remonter les traces des derniers Enges captifs et tenter de les libérer. Mais que peuvent deux parias contre la folie des hommes ? »

Mon analyse portera d’abord sur l’univers développé par l’autrice, puis je vous parlerai de la création du tragique dans cet univers. Je ne parlerai volontairement pas ou peu de l’intrigue, de peur de trop spoiler.

 

L’Analyse

 

Un univers pré-industriel en crise

 

Claire Krust place L’Envolée des Enges dans un monde secondaire que l’on peut qualifier de pré-industriel, puisque l’Homme ne maîtrise pas encore l’électricité ou les moyens de production de masse, mais commence tout de même à les appréhender, de par son utilisation du mystérieux et fameux « métal rouge », qui semble avoir de nombreuses propriétés et utilisations. Il est par exemple utilisé pour construire des échafaudages, des carrosses autonomes ou encore des armes. Le monde du roman semble donc en passe de s’industrialiser, ou du moins d’entrer dans une ère de progrès technologique comparable à l’ère industrielle du monde réel, à travers l’utilisation du « métal rouge », et surtout, du développement des « vaisseaux aériens » de la « péninsule » pour créer des échanges commerciaux avec les pays voisins, autrement inaccessibles par la mer ou la terre (j’y reviendrai plus loin). Ces « vaisseaux aériens » sont des sortes de bateaux volants, créés à partir de techniques de pointe. Ils symbolisent donc l’entrée de l’univers de Claire Krust dans une ère de progrès technologique, et on observe une rupture énorme entre la première partie du roman et la seconde, qui sont séparées par dix ans (l’une se passe en 94, l’autre en 104). L’autrice dépeint donc un univers médiéval en phase de changement, ce qui explique un certain nombre de tensions au sein de celui-ci.

En effet, le monde de L’Envolée des Enges est habité par des humains, des « créatures mythiques » capables de se métamorphoser, mais également par les « Enfants d’Hélias », qui sont êtres humains possédant une apparence et des pouvoirs particuliers en raison de leur ascendant, le mystérieux Hélias. Les Enfants d’Hélias peuvent être donc considérés comme une forme évoluée de l’Humanité au sens classique du terme. Il existe trois catégories « d’Enfants d’Hélias », les « Êtres de l’eau », qui sont capables de se liquéfier et de manipuler l’eau, les « Elbes » qui sont liés à la terre, provoquer des secousses et vraisemblablement manipuler la lumière et les ombres, et les « Enges », capables de voler, de devenir immatériels et de manipuler le vent. Les citations de début de chapitre, ainsi que certaines phases de la narration nous permettent d’en apprendre plus sur les « Enfants d’Hélias », ce qui donne une épaisseur au lore du roman de Claire Krust. Il est important de noter que là où les Elbes et les Êtres de l’eau vivent parmi les humains, les Enges, eux, refusent tout contact avec eux et vivent au sommet d’un « pilier », en autarcie. Les Enfants d’Hélias et les créatures mythiques appartiennent donc à la Surnature, mais également à un ordre ancien, celui de la magie.

La phase de crise du monde du roman passe par une fracture immense et irréductible entre l’ordre nouveau de l’Humanité, à travers son progrès technologique, et l’ordre ancien et magique, symbolisé par les Enfants d’Hélias et plus particulièrement les Enges. En effet, les hommes organisent un véritable génocide des Enges, à travers la destruction de leur habitat, leur déportation dans la ville de Rania, puis leur exécution systématique dans la première partie du roman. Certaines scènes s’avèrent assez dures et donnent à voir une déshumanisation complète des Enges, qui ne sont vus que comme des bêtes ou des cobayes. La deuxième partie du roman, quant à elle, met l’accent sur les discriminations subies par les Elbes et les Êtres de l’eau, ainsi que les « demis », c’est-à-dire les métis Enfants d’Hélias-humains, qui sont victimes d’une quasi ségrégation de la part de l’Humanité, puisque certaines auberges et bains publics leur sont interdits, ils paient plus cher pour certains services, par exemple. On voit que les humains cherchent à éliminer une supposée « tyrannie » des Enges et des Enfants d’Hélias, pour entrer dans une nouvelle ère de progrès. Le roman de Claire Krust montre donc une instrumentalisation complète de discriminations et d’actes atroces perpétrés contre une population par un pouvoir, celui du « Raniarque », pour justifier un basculement d’une société dans une ère industrielle. Toute cette instrumentalisation, ainsi que les discriminations sont observés par le lecteur à travers le point de vue d’Enfants d’Hélias (Céléno l’Enge, Sujin l’Être de l’eau et quelques autres dans la seconde partie), ce qui permet de montrer l’étendue des horreurs qu’ils subissent.

La crise de la « péninsule » du monde de L’Envolée des Enges est également due au fait qu’elle est totalement isolée du reste du monde à cause d’un « cataclysme » (à partir duquel on compte les années) ayant causé l’apparition de tornades dans les mers, empêchant complètement la navigation, et bloquant complètement les échanges entre la péninsule et les autres pays, notamment celui des « Fens », parce que les voies maritimes étaient leurs seules voies de communication. La péninsule a donc été contrainte à vivre en autarcie, ce qui aboutit à des problèmes de famine ou d’économie, et pousse la péninsule à focaliser ses avancées technologiques sur le fait de faciliter les échanges commerciaux avec les pays voisins. Ces avancées technologiques, qui consistent en la construction de vaisseaux volants, se heurtent métaphoriquement, puis réellement, aux Enges, qui sont perçus comme les maîtres du ciel et du vent, ce qui conduit à des conséquences extrêmement graves, puisqu’ils sont perçus, comme les Enfants d’Hélias d’une manière générale, comme des causes du cataclysme qu’il faut faire disparaître de la société. La seconde partie du roman, montre quant à elle un autre type de crise, avec une opposition entre les forces internes de la péninsule, concentrées à Rania, et le peuple des « Fens », avec qui des échanges ont lieu, alors que des complots à grande échelle semblent s’ourdir. Les Enfants d’Hélias sont toujours un enjeu dans cette seconde partie, mais leur rôle ne sera révélé que dans le prochain tome du diptyque de Claire Krust, qui multiplie les sous-intrigues et développe une tension narrative élevée.

La création du tragique

 

Toute la situation de crise de L’Envolée des Enges est porteuse de tragique, parce qu’elle est imbriquée dans un climat de fin d’époque et de société. L’autrice décrit le fonctionnement de la société des Enges avant qu’elle ne soit annihilée par l’Humanité, puis ce qu’ils subissent avant d’être massacrés. Elle décrit également les discriminations subies par les autres Enfants d’Hélias et les « demis », et montre également dans la seconde partie l’existence de l’esclavage dans son univers. Le tragique est alors créé par une certaine brutalité de la société du monde du roman, qui est bien moins progressiste qu’elle n’y paraît et qui crée des marges.

Les personnages du roman sont alors porteurs de tragiques parce qu’ils sont issus de ces marges. La quatrième de couverture les qualifie de « parias », et c’est exactement ce que sont Céléno, parce qu’elle est l’une des dernières Enges encore en vie alors qu’elle a été rejetée par eux, Sujin, parce qu’il a vécu longtemps en ermite, et parmi les personnages de la seconde partie, on peut citer Arhan, un esclave exploité par un maître et évoluant dans les marges criminelles de la société. Les personnages de L’Envolée des Enges sont tous des marginaux ou presque, soit à cause de leur ethnie, soit parce qu’ils sont exploités. Le lecteur possède cependant les points de vue de beaucoup de personnages, même celui du Raniarque, ce qui permet d’observer que Claire Krust n’épargne aucun d’entre eux, puisqu’ils ont tous motivés par des raisons légitimes (faire le bien, sortir de la misère, améliorer la condition de vie des Enfants d’Hélias…), mais utilisent tous des moyens allant du discutable à l’absolument extrême pour parvenir à leurs fins.

 

Le mot de la fin

 

L’Envolée des Enges fut une lecture intéressante pour moi. Claire Krust dépeint un monde en proie à des transformations profondes, poussant l’Humanité à s’attaquer à des créatures surnaturelles pour pouvoir supposément subsister, alors que d’autres troubles se préparent. Les personnages sont attachants, mais souvent terribles dans leurs agissements, qui créent un contraste avec leurs motivations. J’attendrai la suite du diptyque.

Vous pouvez également consulter les chroniques de Boudicca, L’Ours inculte, BlackWolf, Fantasy à la carte, Dreambookeuse, Rose, Acherontia

7 commentaires sur “L’Envolée des Enges, de Claire Krust

  1. Mmh, le côté pré industriel est en train de monter ces derniers temps dans la Fantasy actuelle. Un côté qui me botte pas vraiment mais vu comment tu détailles le bébé, je vais me pencher dessus avec plus d’intérêt mais je ne suis pas certain qu’il entre dans mon cercle de lecture favori. Nous verrons s’il peut figurer à la Wishlist ^^ Belle chronique comme toujours.

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