Ce qui vient la nuit, de Julien Bétan, Mathieu Rivero et Melchior Ascaride

Salutations, lecteur. Je t’ai tout récemment parlé de Tout au milieu du monde, un roman de Julien Bétan, Mathieu Rivero et Melchior Ascaride, qui se site dans une Fantasy préhistorique et mêle textes et illustrations. Aujourd’hui, je vais te parler d’une œuvre des mêmes auteurs.

 

Ce qui vient la nuit

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Introduction

 

Mathieu Rivero est un auteur français. Il étudie et pratique la traduction et enseigne également les langues. Il écrit majoritairement de la Fantasy, comme en témoignent son roman Or et Nuit, paru pour la première fois en 2015 chez les Moutons Électriques et réédité dans une version corrigée en 2019 dans la collection Hélios des Indés de l’Imaginaire, ainsi que sa série Chimère Captive, qui comprend deux romans, Chimère Captive (2016) et Songe suspendu (2017), publiés dans la collection Naos des Indés de l’Imaginaire. Récemment, son roman Madharva  a été réédité dans une version revue par les Projets Sillex.

Julien Bétan est un essayiste et traducteur français. Il est l’auteur de plusieurs essais publiés chez les Moutons Électriques, avec notamment Jack l’éventreur, les morts, en collaboration avec André-François Ruaud en 2017, ou encore Zombies, en collaboration avec Raphaël Colson en 2013. En tant que traducteur, il a traduit les nouvelles de Zothique et d’Averoigne de Clark Ashton Smith.

Melchior Ascaride est le graphiste principal des Moutons Électriques. Il réalise ainsi les couvertures des romans, essais, et recueils qui paraissent chez cet éditeur, ainsi que leurs illustrations intérieures. Il est également le directeur des Saisons de l’Étrange, une maison d’édition qui publie des récits marqués par la culture pulp et les films de série B.

Après avoir écrit ensemble Tout au milieu du monde, qui a remporté le prix spécial du jury des Imaginales en 2018, les trois auteurs ont de nouveau collaboré pour Ce qui vient la nuit, dont voici la quatrième de couverture :

« Plonger l’épée au cœur des ténèbres, voilà le serment de Jildas lors de son départ en croisade. Lorsqu’il revient en Bretagne, meurtri, il découvre que dans propre terre, les légendes du vieux monde sont encore là, nichées dans les forêts. Accompagné de Marie de France, une poétesse aux mots aussi acérés que sa lame, il traquera les loups qui ont pris forme d’homme. »

Mon analyse du roman s’intéressera d’abord à la narration et aux personnages, puis je vous parlerai des interactions entre le texte et les illustrations.

 

L’Analyse

 

Loups-garous, traumatisme des croisades

 

L’intrigue de Ce qui vient la nuit prend place en Bretagne, alors que le chevalier Jildas rentre de croisade sur ses terres de Baorg-Maen. On comprend donc que le récit se situe à l’époque de la Deuxième Croisade, au milieu du 12ème siècle, à l’époque médiévale. Jildas, tout juste sorti des horreurs qu’il a vues et vécues pendant son périple, va être confronté à des monstres impies, en compagnie de la poétesse Marie de France, qui est la première femme de lettres Européenne à écrire en langue vulgaire, c’est-à-dire en utilisant une langue qui n’est pas le latin, prédominant en Europe à cette époque dans le monde des lettres. Les auteurs dépeignent un antagonisme fort entre Jildas et Marie de France, sur lequel je reviendrai plus bas. On peut observer que le monde dans lequel vit Jildas est fortement marqué par les croisades et le décalage entre l’image qu’elles inspirent et la réalité de ce que les chevaliers ont vécu en Orient et qui les ont changés, par le contact avec la violence. Le roman va ainsi explorer les changements qui s’opèrent chez l’être humain lorsqu’il adopte des comportements violents, et la manière dont il peut devenir un véritable monstre.

Les auteurs montrent une opposition entre les croyances anciennes et païennes, incarnées dans les superstitions des habitants de Baorg-Maen et le personnage de Marie de France, qui recueille des légendes et raconte des légendes, et la religion catholique, portée par Jildas, qui continue de lutter contre l’impiété sur ses terres. Cette opposition entre paganisme et christianisme témoigne d’une certaine manière de la façon dont enquêtent les deux personnages sur les morts mystérieuses, puisque Jildas cherche d’abord un coupable humain ou animal, tandis que Marie de France interroge le surnaturel. Sans rentrer dans les détails, on apprend assez vite que les coupables sont des « versipelles », c’est-à-dire des loups-garous issus d’une tribu impie, assujettis à une puissance ancienne. Ces loups-garous sont donc supposément de véritables monstres, mais la manière dont ils sont décrits et leur affrontement avec Jildas font ressortir la bestialité du chevalier et pas la leur. Jildas apparaît ainsi comme un chevalier tiraillé entre son humanité et une véritable monstruosité, à l’opposé de la rationalité de Marie de France, qui malgré son statut de poétesse férue de légendes, est capable de raisonner grâce à sa connaissance du monde dans lequel elle vit grâce à la part de vérité contenue dans les récits.

La narration du roman s’effectue à travers plusieurs points de vue, celui de Jildas, mais aussi celui de sa femme, Clervie, qui ne supporte plus son mari à cause de son comportement et de son attitude toxique envers elle, puisqu’il cherche à la dominer. Elle cherche donc à s’émanciper, notamment à travers la gestion de l’administration en l’absence de son mari, mais également à travers la création de tableaux de broderies en s’inspirant de sa vie et de ses sentiments. Le récit donne également le point de vue de Marie de France, qui s’avère être une femme indépendante et érudite. Ce qui vient la nuit fait donc la part belle à des personnages féminins émancipés, qui tentent de lutter contre la monstruosité d’hommes pervertis par la violence.

La violence, à travers la Deuxième Croisade a ainsi marqué Jildas au fer rouge. Le personnage a en effet vécu et commis des massacres et des exactions lors du sac de Lisbonne après sa libération, et traversé la mer et le désert dans des conditions extrêmement éprouvantes. Les souvenirs de la croisade viennent par conséquent régulièrement le hanter, au point qu’on pourrait presque parler de syndrome de stress post-traumatique, et se trouvent en opposition totale avec l’image des croisades véhiculée par la population, convaincue qu’elles sont le lieu d’actes héroïques et chevaleresques, ce que pensait également Jildas avant de s’engager. Le chevalier est donc à la fois victime d’une forte désillusion, des idées reçues sur les croisades et du traumatisme qu’elles ont engendré, ce qu’on peut observer dans les illustrations de Melchior Ascaride, qui montrent les horreurs des croisades sur des doubles pages mettant en scène les exactions des chevaliers.

Ainsi, comme dans Tout au milieu du monde, on observe un jeu entre les illustrations et le texte de Julien Bétan et Mathieu Rivero. Elles complètent et explicitent la narration, en situant les personnages lorsqu’ils sont à l’église, ou à transmettre dans toute leur horreur les récits de Marie de France sur la légende des versipelles, ceux de Clervie, ou encore les souvenirs douloureux et les actes monstrueux de Jildas. Melchior Ascaride donne également une grande puissance à certaines scènes, lorsque le chevalier est confronté aux loups-garous, ou lors d’autres situations que je ne peux pas vous dévoiler mais que la bichromie et les nuances de gris mettent complètement en valeur. Les auteurs jouent également avec l’acte de lecture de leur roman, puisque certaines parties du récit doivent être lues en retournant l’objet livre, mais également avec celui de leurs personnages, au moyen d’allusions graphiques aux lectures très grivoises de certains personnages !

 

Le mot de la fin

 

Avec Ce qui vient la nuit, Julien Bétan, Mathieu Rivero et Melchior Ascaride créent un récit dont la narration tient autant par le texte que par l’illustration dans une Bretagne médiévale du 12ème siècle, après la Deuxième Croisade.

Jildas, un ancien croisé marqué par ce qu’il a vécu à Lisbonne et en Orient, va devoir affronter les versipelles, une tribu de loups-garous meurtrière, mais également se confronter à sa propre monstruosité, que lui renvoient sa femme Clervie et la poétesse Marie de France.

Les trois auteurs s’intéressent ainsi à la manière dont la violence et la guerre peuvent rendre l’humanité monstrueuse, tout en jouant avec la figure du loup-garou, qui devient une créature impie, plus placée sous le signe de divinités tentaculaires que sous celui de la pleine lune d’ailleurs !

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