Averoigne et autres mondes, de Clark Ashton Smith

Te souviens-tu de Clark Ashton Smith, lecteur ? Je t’avais précédemment parlé de lui, en évoquant les deux premiers volume de l’intégrale que les Éditions Mnémos lui ont consacré. Aujourd’hui, je vais te parler du dernier volume de cette intégrale, avec

Averoigne et autres mondes

 

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Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Mnémos, que je remercie chaleureusement pour leur envoi ! Ensuite, cette chronique est classée dans la catégorie des Exhumations, qui sont des articles dans lesquels je vous parle d’œuvres et d’auteurs que je pense un peu trop oubliés, alors n’hésitez pas à les consulter. Vous pouvez également lire les chroniques que j’avais consacrées aux deux autres volumes, Zothique et Hyperborée et Poséidonis.

Clark Ashton Smith est un auteur de fantasy et de fantastique américain né en 1893 et mort en 1961. Il était également poète et a bénéficié d’une grande reconnaissance pour sa poésie, qui était reprise dans des manuels scolaires. En tant qu’auteur d’imaginaire, il s’est fait connaître dans le magazine Weird Tales, un pulp des années 1920-1930. Les pulps étaient des magazines de littérature dite (et j’insiste sur le dite, qui ne reflète en aucun cas mon opinion) populaire au début du 20ème aux États-Unis, et qui ont contribué à faire connaître beaucoup de grands auteurs de science-fiction ou de fantasy, avec en tête de liste Robert E. Howard (le créateur de Conan, mais pas que), H. P. Lovecraft (l’auteur des récits du Mythe de Cthulhu et des Contrées du rêve), et bien sûr Clark Ashton Smith.

Lovecraft et Ashton Smith étaient d’ailleurs amis, comme le prouve leur abondante correspondance, qui montre qu’ils échangeaient beaucoup d’idées narratives, telles que les Grands Anciens, l’utilisation de livres occultes et interdits comme le Livre d’Eibon ou le Necronomicon.

En France, les récits de Clark Ashton Smith ont été traduits et publiés en recueils dans les années 1980 aux Nouvelles Éditions Oswald. Ces recueils sont aujourd’hui introuvables ou presque, et l’auteur commençait à tomber dans l’oubli, malgré la publication d’essais à son sujet aux éditions La Clé d’Argent, avec Les Mondes perdus de Clark Ashton Smith de Jean Marigny ou Clark Ashton Smith, poète en prose de Donald Sidney-Fryer, ou encore une intégrale de ses poèmes en prose dans Nostalgie de l’inconnu. Les éditions Mnémos, quant à elles, ont décidé de retraduire et de publier des intégrales raisonnées des nouvelles de Clark Ashton Smith, rassemblées en fonction des univers dans lesquels elles se déroulent pour plus de clarté, avec des cartes, des préfaces et des postfaces. Les deux premiers volumes de cette intégrale, Zothique, puis Hyperborée et Poséidonis (que j’ai d’ailleurs déjà chroniquées) s’étaient d’abord attardées sur le dernier continent de la Terre, puis sur des régions datant de l’époque glaciaire ou de la fin de l’Atlantide.

Le recueil dont je vais vous parler aujourd’hui, Averoigne et autres mondes, s’intéresse à Averoigne, une région hors du temps dans une France médiévale, ainsi qu’aux récits consacrés à Mars, à Xiccarph, et à d’autres mondes auxquels l’auteur n’a pas donné de noms.

Voici la quatrième de couverture du recueil :

« Avec ce nouveau cycle, Clark Ashton Smith met en scène une Auvergne médiévale fantasmée, comme seul cet auteur pouvait le faire. Il nous emporte dans une contrée mystérieuse où monastères et cités aux murs crénelés ont émergé des antiques ruines romaines, où des légendes préchrétiennes s’incarnent dans la vaste forêt centrale, où l’ impressionnante cathédrale de la cité de Vyones domine les esprits et où, surtout, une très ancienne famille aristocratique voit ses pouvoirs disparaître, entre corruption et magie noire.

Une nouvelle fois, Clark Ashton Smith, par son style unique, baroque et chatoyant, a forgé les lettres de noblesse de la fantasy.

Ce volume est complété par Autres mondes, l’ensemble des textes de fantasy de l’écrivain qui ne sont pas liés aux cycles précédemment publiés dans les deux premiers opus de l’intégrale fantasy de Clark Ashton Smith. »

Comme d’habitude lorsque je vous parle de recueils de nouvelles, je n’analyserai pas les nouvelles une à une, mais j’essaierai de vous donner les caractéristiques de tel ou tel segment du recueil, mais je ferai cette fois-ci une exception pour les cinq dernières nouvelles du recueil, dans la partie « Autres mondes », parce que je tiens tout de même à vous en parler.Notez également que cette approche générale permet d’éviter de spoiler chaque récit. Je vous parlerai donc d’abord d’Averoigne, puis de Mars, de Xiccarph, et enfin des autres mondes. Je ne parlerai pas des poèmes en prose et des fragments et synopsis, même s’ils m’ont semblé très intéressants. Je conseille quand même leur lecture, d’une part pour la beauté du style de l’auteur dans les poèmes, et les richesses de ses idées dans les fragments.

L’Analyse

 

Averoigne

 

À travers les récits d’Ashton Smith, on peut voir qu’Averoigne se situe dans une France Médiévale qui semble hors du temps, puisque malgré le fait que la plupart des récits se déroulent à des époques différentes ( 1789 pour « La fin de l’histoire », 1185 pour « Saint Azédarac », 1138 pour « Le Faiseur de Gargouilles » ou encore 1369 pour « La Bête d’Averoigne »), leur cadre ne semble pas changer, sans aucune évolution technologique ou architecturale dans un monde où la forêt semble omniprésente, et où le paganisme semble éternellement s’opposer à un christianisme qui finit de s’étendre. Le fait qu’Averoigne se situe en France s’observe dans le nom même du monde, qui rappelle l’Auvergne, mais également l’Aveyron, mais également dans les noms des personnages des nouvelles. Ainsi, on retrouve des « Bernard », des « Ambroise », des « Gaspard », et des « Stéphane » dans Averoigne !

Averoigne est donc un monde où les forces chrétiennes et païennes, sataniques, ou même pré-sataniques s’opposent. Ainsi, les prêtres sont des personnages assez récurrents, l’Église est mentionnée de nombreuses fois au cours des nouvelles, et est opposée à des sorciers ou des phénomènes surnaturels inexplicables (certains récits, comme « La Bête d’Averoigne », vont plus loin que la sorcellerie dans leur utilisation de surnaturel) par eux. « La Fin de l’Histoire », « Saint Azédarac », « Les Mandragores », « La Bête d’Averoigne » et « La Vénus exhumée » mettent en scène une chrétienté frappée à des horreurs assez violentes qui viennent l’ébranler. Par exemple, « Saint Azédarac » met en scène un prêtre renvoyé dans le passé par un sorcier, tandis que « La Bête d’Averoigne » met en scène une créature extraterrestre qui dévore la moelle osseuse de ses ennemis. La présence des prêtres et de l’Église en Averoigne est ainsi contrebalancée par celle des sorciers et d’entités magiques ou extérieures à la terre, ce qui donne à ce monde l’image d’une terre de magie et de surprises, puisque pas encore complètement évangélisé et porteur de lieux assez mystérieux, telle que la forêt présente dans « Le Satyre », ou le château de « FaussesFlammes » décrit dans « La Fin de l’histoire ».

Le surnaturel et l’environnement d’Averoigne sont donc propices à l’horreur et au gore présents chez Clark Ashton Smith, ce qui fait chuter le compteur de happy ends, qui est très bas (3 ou 4, il me semble). L’auteur met en scène des récits sanglants, macabres, avec un bestiaire gothique (« lamies », « vampires », « gargouilles »), mais également des créatures qu’il invente, telles « La Bête d’Averoigne », « Le Colosse d’Ylourgne » ou « La Mère des crapauds ». L’horreur présente dans les récits se teinte parfois d’une dimension psychologique, dans « Le Satyre » ou « Les Mandragores ». Cette présence du macabre et du sanglant montrent qu’Averoigne est un monde qui est loin d’être paisible. En plus des fins tragiques, les nouvelles d’Averoigne comportent un certain nombre de fins plus nuancées, que l’on pourrait qualifier de douces-amères, car ne se soldant pas par la mort du personnage principal, mais restant trop ambiguës pour faire un véritable happy end. C’est notamment le cas pour les nouvelles « L’Enchanteresse de Sylvaire », « La Fin de l’Histoire », « La Bête d’Averoigne », « Saint Azédarac »., dont la fin est notamment nuancée, sauf dans le cas de « La Bête d’Averoigne » grâce (ou à cause ?) d’un personnage féminin disposant de pouvoirs magiques et usant de tentation sur un personnage principal masculin qui finit presque toujours par céder. Ce motif est repris plusieurs fois par l’auteur, mais avec des modes et des thématiques différentes, ce qui rend ces récits plaisants et intéressants à lire.

Les nouvelles d’Averoigne présentent également un caractère intertextuel avec celles d’Hyperborée et de Zothique, puisque le « Livre d’Eibon », ainsi que son « anneau », provenant d’Hyperborée, sont mentionnés dans les nouvelles « Saint Azédarac » et « La Bête d’Averoigne », tandis que des lamies, présentes dans le monde de Zothique, sont présentes dans « La Fin de l’histoire » et dans « L’enchanteresse de Sylvaire ». Cette intertextualité permet d’observer une sorte de continuité entre les différents mondes créés par Clark Ashton Smith grâce à une récurrence d’artefacts provenant des « Mondes premiers ». L’auteur fait également quelques clins d’œils à H. P. Lovecraft en évoquant « Iog-Sotot » et « Sodagui », qui sont en fait les noms qu’il donne à Yog-Sothoth et Tsathoggua, ce qui nous permet d’observer la complicité entre les deux auteurs à travers leur partage de motifs.

 

Mars

 

Ce segment du recueil comprend trois nouvelles, « Les Caveaux de Yoh-Vombis », « L’Habitant du gouffre », et « Vulthoom ».

Clark Ashton Smith y dépeint une planète rouge désertique, assez mystérieuse et hostile en raison de siècles d’Histoire qui ont laissé des vestiges et des souterrains chargés de monstres plus qu’inquiétants, comme le constateront les personnages des trois récits, qui impliquent tous l’exploration d’une caverne ou d’un souterrain de Mars. Ainsi, le danger sur Mars ne vient pas tant de son état présent que de son passé chargé de cultes et de créatures horribles. Dans cette description de Mars chargée par un passé qui continue d’influer sur elle, on peut également retrouver les récits que Leigh Brackett a consacré à la planète rouge (dont j’ai parlé ici).

Par ailleurs, soyez prévenus, tous les récits de Clark Ashton Smith de déroulant se terminent très mal et se soldent par des morts affreuses et violentes impliquant des entités surnaturelles et/ou extraterrestres. Ces morts ne sont pas exemptes d’un aspect horrifique, qui se distingue dans chacun des récits. Dans « Les Caveaux de Yoh-Vombis », l’auteur joue sur des morts attendues par le lecteur par le biais d’un récit cadre (ce qui n’empêche pas les morts en question d’être assez atroces et d’évoquer un certain Huitième Passager de Ridley Scott), tandis que « L’Habitant du gouffre » est plus psychologique et halluciné (les personnages sont drogués) et se base sur un enfermement souterrain en compagnie de créatures sans yeux. « Vulthoom », quant à lui, décrit l’arrivée sur Terre, presque inéluctable d’un être d’outre-espace assimilable aux Grands Anciens. Il en est toutefois différent parce que sa nature est végétale. L’horreur et le surnaturel de ces récits ne sont évidemment pas exempts de scènes et de descriptions macabres et assez gores, ce qui m’a personnellement plutôt plu !

 

Xiccarph

 

Le segment du recueil consacré à Xiccarph comprend deux récits, « Le Dédale de Maal-Dweb » et « Les Femmes-fleurs ».

Le monde de Xiccarph semble assez vaste, composé de plusieurs planètes, sur lesquelles règne le sorcier Maal-Dweb, qui est très puissant et qui possède des « automates » (des robots, en quelque sorte), ce qui est assez original, je trouve. La puissance de Maal-Dweb est montrée au lecteur au fil des deux récits, puisqu’il confronte l’un de ses opposants dans « Le Dédale de Maal-Dweb » et accomplit une quête sans utiliser d’artefacts magiques dans « Les Femmes-fleurs ». Xiccarph est un monde assez exotique, puisqu’on peut y croiser des femmes vampires végétales, mais également des arbres dont les feuilles semblent faites de métal. Cet exotisme ressort (comme dans tous les autres récits du recueil, au passage) grâce au style très riche de l’auteur, qui réalise des descriptions que je trouve magnifiques.

Le personnage de Maal-Dweb semble également en proie à l’ennui et à la mélancolie face à sa propre puissance, ce qui peut rappeler le récit « La Dernière Incantation » présent dans le nouvelles de Poséidonis, dans lequel le personnage de Malygris, un mage au sommet de sa puissance, s’ennuie.

 

Autres mondes

 

Ce segment du recueil comprend des nouvelles qui se déroulent chacune dans des mondes indépendants. Je vais donc faire une exception et vous parler brièvement de chacune d’entre elles.

« Les Abominations de Yondo » est une nouvelle dans laquelle on suit l’errance d’un personnage dans un désert bardé de créatures (ou d’apparitions) grotesques, ce qui crée un climat anxiogène et assez étouffant.

« Une Nuit dans Malnéant » a pour principales thématiques le deuil et l’oubli, avec un personnage qui se retrouve dans un lieu de deuil qui semble en dehors du temps et de l’espace. Ce n’est pas une nouvelle d’horreur, mais qui est assez étrange et mélancolique.

« Le Monstre de la prophétie » met en scène un poète désargenté et au bord du suicide sauvé par un extraterrestre du système venu du système d’Antarès qui l’emmène sur sa planète. Sans trop vous en dévoiler, l’auteur dresse ici une satyre de la religion et de l’intolérance, dans un monde exotique où les plantes sont mi-animales, mi-végétales, et dont les habitants possèdent trois yeux, cinq bras et trois jambes. La nouvelle est donc un récit à message, et surtout, elle comporte un happy end complet (que je ne vous dévoilerai pas), ce qui est assez rare chez l’auteur.

« Le Démon de la fleur » dépeint un monde, « Lophaï » dans lequel les végétaux règnent en maître sur les humains, et dans lequel les hommes offrent des sacrifices à une gigantesque plante démoniaque, le « Voorqual » (qui peut d’ailleurs s’apparenter à Vulthoom, d’une certaine façon). Le personnage principal va tenter de s’opposer au sacrifice de sa bien-aimée, mais va déclencher quelque chose de surprenant, et d’assez inattendu.

Enfin, « La Planète défunte » met en scène une exploration de la planète mourante de Phandiom, dont le soleil va bientôt s’éteindre, à travers le regard de l’un de ses habitants qui a rêvé qu’il menait une existence sur Terre. Cette nouvelle est très mélancolique et dépeint à merveille le climat apocalyptique et orgiaque d’une civilisation.

Le mot de la fin

 

Averoigne et autres mondes complète parfaitement les deux autres recueils précédemment publiés par Mnémos, Zothique et Hyperborée et Poséidonis, en nous plongeant cette fois-ci dans une France hors du temps, une Mars pleine d’horreurs et de mystères, et d’autres mondes toujours magnifiquement dépeints par la plume de Clark Ashton Smith.

J’espère sincèrement que ces recueils inciteront le lectorat français à s’intéresser à cet auteur de talent !

Vous pouvez aussi consulter les chroniques de Scribouillard , Nebal

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