Sunk, de Sabrina Calvo, Fabrice Colin et Arnaud Crémet

Salutations, lecteur. Tu n’es pas sans savoir que j’apprécie beaucoup la plume de Sabrina Calvo. Aujourd’hui, je vais donc te parler d’un roman qu’elle a co-écrit avec Fabrice Colin. 

Sunk, de Sabrina Calvo, Fabrice Colin et Arnaud Crémet


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Les Moutons Électriques, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Sabrina Calvo est une autrice française de science-fiction, de fantasy et de fantastique née en 1974. Elle est également dessinatrice, scénariste, et travaille dans le domaine du jeu-vidéo, notamment dans le game-design.

Ses œuvres mêlent souvent science-fiction, fantastique et réalisme magique, genre qui se différencie du fantastique par son aspect plus onirique et moins horrifique.Elle a reçu le prix Julia Verlanger en 2002 pour Wonderful, et le prix Bob Morane en 2016 pour Sous la Colline, avant de remporter le Grand Prix de l’imaginaire et le prix Rosny Aîné pour Toxoplasma. Ses trois derniers romans, Elliot du Néant (2012), la Colline (2015) et Toxoplasma (2017), sont disponibles chez La Volte. Son cycle de Fantasy Bertrand Lacejambe est en cours de réédition aux éditions Mnémos, Délius, une chanson d’été est paru en 2019 et La Nuit des labyrinthes a été republié en Novembre 2020 (je vous en parlerai bientôt).

Fabrice Colin est un auteur français né en 1972. Il s’est fait connaître avec le cycle Arcadia, publié en 1998, et Confessions d’un automate mangeur d’opium, co-écrit avec Mathieu Gaborit, en 1999. Il écrit également des pièces radiophoniques pour Radio France, et travaille avec Le Canard Enchaîné.

Arnaud Crémet est un illustrateur français né en 1973, diplômé de l’école des Arts Décoratifs de Strasbourg. On lui doit plusieurs couvertures de romans des littératures de l’imaginaire, dont celles de la première édition de Délius, et de La Saison des conquêtes et du Fils des ténèbres de Fabrice Colin par exemple.

Il a également réalité la couverture de la première édition de Sunk, paru à l’origine en 2005 chez Les Moutons Électriques. Il s’agit de la deuxième collaboration entre Sabrina Calvo et Fabrice Colin, la première étant Atomic Bomb, paru en 2002 aux éditions Le Bélial’. Cette réédition de Sunk est publiée dans la collection Bibliothèque Dessinée des Moutons Électriques, qui accueille également Tout au milieu du monde et Ce qui vient la nuit de Melchior Ascaride, Julien Bétan et Mathieu Rivero, que je vous recommande vivement.

En voici la quatrième de couverture :

« Sunk est un monde qui coule. Un monde de fantasy, hein ? Avec des épées et tout ça. Et aussi des parcmètres. Et des citations de Périclès. En fait, on ne sait pas très bien si c’est l’eau qui monte ou si c’est l’île qui descend mais soyons honnête, ça ne change rien au problème : les habitants paniqués grimpent vers des hauteurs toujours plus étroites et mal fréquentées, et le processus de destruction suit inexorablement son cours…

Inspirée par quelques écrivains français oubliés, parfaitement documentée sur la vie sexuelle des loutres, hantée par les fantômes de Jacques Tati, Marcel Pagnol et Robert E. Howard, cette fable initiatique, tragi-comique et contenant de vraies recettes de pizza inédites, trimballera le lecteur de villes boueuses en révélations fracassantes, avec au cœur une seule devise : si le naufrage est inévitable, détends-toi et reprends donc un picon-bière. »

Mon analyse du roman portera sur la manière dont les auteurs mobilisent un humour noir et grotesque au sein d’un monde de Fantasy pour en subvertir certains topoi.

L’Analyse


Fantasy, grotesque, et humour noir


Comme d’autres romans de Sabrina Calvo, Sunk joue avec les codes. Ceux de la Fantasy et de la quête initiatique sont détournés (j’y reviendrai plus bas), mais aussi ceux de la construction du monde. En effet, Sunk est un monde qui disparaît peu à peu, englouti par les eaux et les Requins qu’elle abrite. Cependant, un doute subsiste sur la nature de la fin de ce monde, puisque les personnages ne savent pas si c’est Sunk qui coule ou si c’est l’eau qui monte, au point que cela engendre des débats insolubles. À ce titre, le nom de ce monde, qui donne d’ailleurs son titre au roman, signifie « coulé », apparaît ironique et donne déjà une clé de lecture. Le monde décrit pae Sabrina Calvo et Fabrice Colin apparaît médiéval de prime abord, puisque son niveau de technologie ne semble pas industriel, les personnages se déplacent à pied, utilisent des armes blanches et non des armes à feu, si on omet un personnage de la Ville « Cinquante-Cinquante », un « Phacolier » qui porte un tromblon, mais dont il ne s’est jamais servi. De la même manière, l’architecture du « Village » dans lequel vivent les personnages et les « Villes » qu’ils visitent ne semblent pas modernes, ce qui pourrait montrer que l’univers de Sunk est pré-industriel. Toutefois, ce monde de Fantasy présente des realia assimilables à notre réalité contemporaine, avec notamment le Picon-bière consommé à outrance par Arnaud, les pizzas cuisinées et mangées par le Sémaphore, ou encore le fait que la monnaie en vigueur dans le roman soit l’euro (oui oui). Ces realia contemporaines viennent questionner l’ancrage temporel du roman.

Sunkest donc un monde en perdition, et le roman décrit une véritable apocalypse que tentent de conjurer les personnages principaux, Arnaud et Sébastien, dépêchés par leur Village en perdition pour atteindre le sommet de l’île, au-delà de la Barrière de Nuages, pour supposément trouver de l’aide et sauver leur village, mais aussi leur monde. Sabrina Calvo et Fabrice Colin retracent donc la montée des deux personnages à travers les différents niveaux de l’île, alors que l’eau engloutit les habitations de plus en plus vite.

Les deux personnages et leurs alliés (j’y reviendrai) se rendent dans des lieux fantasques, qui marquent l’étrangeté et l’aspect surréaliste de leur monde. Ils découvrent ainsi « Nécros », une Ville où vivent les morts, dans un état de décomposition avancée, en compagnie des vivants qui se droguent au point de croire qu’ils sont morts eux aussi, et ne se nourrissent que d’aliments périmés (oui oui). Ils se rendent également à « Caillasse sur Mer », une Ville qui se focalise sur la pierre, au point que la nourriture, les vêtements et la culture des habitants soient littéralement minérale. D’autres environnements, tels qu’un sanctuaire de vénération de Canards marxistes révolutionnaires (oui oui) sont également à l’honneur dans Sunk. Tous ces lieux traversés par les personnages, qui ne sont jamais que de passage, montrent l’aspect particulièrement barré du monde mis en scène par les deux auteurs.

Les personnages, notamment ceux qui accompagnent Arnaud et Sébastien, sont tout aussi barrés que l’univers au sein duquel ils évoluent. Certains d’entre eux sont des clichés de personnages typiques de Fantasy que les auteurs réinvestissent pour les détourner. On a par exemple Borg, un chevalier qui vit en permanence dans un armure au point qu’on peut douter de sa véritable nature et qui affronte les adversaires les plus puissants, mais aussi Médée, une femme guerrière en bikini (oui oui) qui peut rappeler les héroïnes hypersexualisées des récits d’Heroic Fantasy. Elle dispose d’une lance qui lui parle, ce qui peut évoquer les relations entre Elric et sa Stormbringer. À noter que le nom du personnage, et la manière dont elle se présente, « avant de naître, j’étais pas née », peuvent évoquer le personnage mythique de Médée, qui déclare « Maintenant, je suis Médée », lorsqu’elle s’apprête à commettre un infanticide qui marque sa naissance en tant que personnage mythique et tragique. Le groupe des personnages principaux comprend également un « gros nain barbu (classique) », Elvis. Cette mention, « classique » entre parenthèses peut être perçue comme un clin d’œil explicite au topos de la figure du nain en Fantasy, présent par exemple dans Le Seigneur des anneaux d’un certain J. R. R. Tolkien. Pross, « diplômé du Quartier Latin Village », semble quant à lui renvoyer aux figures d’érudits présents dans les récits du genre, ainsi qu’à une certaine université française, présente dans le Quartier Latin de Paris. Arnaud et Sébastien sont aussi accompagnés par Bob, un paysan lambda qui semble immortel (je ne vous dirai pas plus), mais aussi Bien Bien, un homme atteint de troubles psychiatriques qui font qu’il a deux fois la même personnalité (oui oui), ainsi que Gadd, une Taupe, qui sert de soutien à Sébastien, qui en a particulièrement besoin.

En effet, Arnaud et Sébastien, les personnages principaux du roman, deux frères orphelins et miséreux, s’avèrent profondément drôles mais aussi terriblement tragiques. Sans rentrer dans les détails, leurs échanges, d’abord marqués par une tonalité comique, deviennent de plus en plus violents à mesure que le récit avance et que leurs trajectoires psychologiques s’éloignent l’une de l’autre pour finalement s’opposer, ce que montre la fin du roman. À travers ces deux personnages, Sabrina Calvo et Fabrice Colin opèrent une subversion du topos de l’Elu orphelin qui effectue une quête pour sauver son monde en compagnie d’un groupe d’aventuriers, parce qu’ils n’ont pas une attitude héroïque, et surtout parce qu’ils entraînent toujours plus de chaos (je ne peux pas vous dire plus sans spoiler).  Le chaos se remarque dans l’omniprésence de la mort, à travers les « bastons générales » qui éclatent partout où se rendent les personnages et se terminent parfois très mal mais aussi certains événements particulièrement brutaux. Le comique du récit est donc souvent particulièrement noir à cause de la violence qui s’en dégage.

Un métadiscours littéraire se trouve dans Sunk et culmine avec la fin du récit, mais on observe dans la digeste plusieurs occurrences de moments lors desquels les personnages évoquent la possibilité qu’ils soient dans un roman. Cela marque une prise de distance de la narration sur elle-même. On remarque aussi que le personnage du Sémaphore, qui devrait être une sorte d’oracle, n’est jamais véritablement compris par les personnages, ce qui accentue l’inexorabilité de la montée des eaux et l’incompréhension qu’elle suscite.

Je terminerai cette chronique en évoquant l’aspect graphique du roman, avec les illustrations d’Arnaud Crémet et les jeux avec la typographie, qui mettent en valeur et se couplent à l’intrigue, aux lieux et aux personnages pour en montrer toute l’étrangeté et l’humour (souvent très noir). À noter que comme dans le cas de Ce qui vient la nuit et Tout au milieu du monde, la fin du roman est majoritairement prise en charge par l’illustration, ce qui ne la rend que plus tragique.

Le mot de la fin


Sunk est un roman de Fantasy co-écrit par Sabrina Calvo et Fabrice Colin, illustré par Arnaud Crémet.

Les auteurs y décrivent Sunk, un monde en perdition, peu à peu englouti par les eaux. Sébastien et Arnaud, deux frères orphelins d’un Village sur le point d’être noyé, accompagnés par un groupe de personnages aussi fantasques les uns que les autres, tentent d’atteindre le sommet de leur monde pour le sauver.

Le roman joue et détourne avec un humour souvent très noir les codes de la Fantasy dans un univers barré, doté de Villes où les vivants se prennent pour des morts, où les canards sont marxistes et révolutionnaires, et où les taupes naissent de manteaux qui éclatent.

Si vous aimez l’humour noir et la Fantasy, si vous appréciez l’œuvre de Sabrina Calvo et/ou celle de Fabrice Colin, je vous recommande ce roman !

J’ai lu et chroniqué d’autres romans de Sabrina Calvo, Toxoplasma, Délius, une chanson d’été, Elliot du Néant,

12 commentaires sur “Sunk, de Sabrina Calvo, Fabrice Colin et Arnaud Crémet

      1. J’ai surtout lu des ouvrages qu’il a co-écrit : je n’ai pas du tout accroché à « Arcadia » avec Sabrina Calvo justement, par contre j’ai bien aimé « Confession d’un automate mangeur d’opium » avec Mathieu Gaborit. J’avais aussi lu « Vengence » il y a très longtemps et je n’en garde aucun souvenir… Mais tu as attisé ma curiosité avec « Sunk » 😉

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