Opération Lorelei, de Nicolas Texier

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler du dernier volume de Monts et Merveilles.

Opération Lorelei, de Nicolas Texier

Introduction


Nicolas Texier est un auteur français né en 1969. Avant d’écrire des romans s’inscrivant dans les genres de l’imaginaire, il a écrit des romans de littérature dite générale parus chez Gallimard, avec notamment L’Acteur (2006) et Pôle Sud (2008). Il réalise également des travaux d’histoire militaire.

Il est l’auteur de la trilogie Monts et merveilles, composée d’Opération Sabines, Opération Jabberwock et Opération Lorelei, dont je vais vous parler aujourd’hui parus chez les Moutons Électriques et repris en poche dans la collection « Folio SF » de Gallimard. Il signe également une série des Saisons de l’Etrange, Deadcop, qui a débuté avec Les Atlantes sont parmi nous.

Voici la quatrième de couverture d’Opération Lorelei :

« Rapportant l’épée Excalibur, Collin et Julius ont trouvé à leur retour une Europe à feu et à sang par le Nouvel-Empire, qui vient de mettre au point la poudre à canon. Un dernier espoir peut-être : partir à la recherche de l’île enchantée d’Avalon, afin d’en ramener le roi Arthur. Accompagnés d’une fière navigatrice et d’un automate enchanté, nos deux héros entament leur périple à bord d’un vaisseau fantôme capable de croiser sur les mers les plus inattendues… »

Dans mon analyse du roman, je traiterai de la manière dont Nicolas Texier décrit une uchronie qui semble marquer la fin du merveilleux dans un contexte de guerre totale. Comme il s’agit d’un troisième tome, je ne reviendrai pas sur l’univers du roman.

L’Analyse


Une Seconde guerre Mondiale transposée dans un monde de Fantasy uchronique


Opération Lorelei reprend là où Opération Jabberwock s’était arrêté, alors que le Nouvel Empire a déclaré la guerre aux autres forces européennes, vaincu puis envahi la France, et bombardé une Bretagne qui ne parvient que peu à résister aux assauts et repousser les forces impériales. Le Nouvel Empire dispose également d’un avantage technologique écrasant, puisqu’il dispose de la poudre à canon, et donc d’armes à feu, d’artillerie lourde, mais aussi de blindés et de tanks, dont les peuples des Royaumes ne disposent pas, ce qui les désavantage complètement. Ils ne peuvent compter que sur des moyens tactiques et matériels dépassés, tels que les charges de cavalerie et d’infanterie, et des armes blanches, d’hast et d’arcs, et perdent peu à peu leur territoire.

Et je m’étais mieux expliqué dès lors ce que j’avais lu jusqu’ici au sujet des combats qui s’étaient déroulés en Pannonie puis en France : les pétarades, les fumées, les éclats, les boulets de métal et les brusques éclairs qui avaient fait des carnages dans les rangs de nos braves, et auxquels j’avais eu un peu de mal à croire, avant de constater de mes yeux les ravages de cette invention démoniaque appelée poudre à canon, ou désormais dans les journaux « la poudre ».

Nicolas Texier transpose donc la Seconde guerre Mondiale dans son univers de Fantasy uchronique, le Nouvel Empire correspondant aux forces de l’Axe, tandis que les Royaumes Unis et la France constituent les Alliés, timidement aidés par les américains qui hésitent à pleinement s’engager dans le conflit, ce qui correspond à la réalité historique d’avant l’attaque de Pearl Harbor en 1941.

Ce parallèle avec la Seconde guerre Mondiale est renforcé par une transposition explicite de la Waffen SS de l’Allemagne hitlérienne, avec la Garde Noire de Brutus Korps, alias Eochaidh Braes, un corps d’armée et de police extrêmement puissant et brutal. L’auteur évoque aussi des personnages clés de cette guerre dans notre réalité, à savoir Charles de Gaulle, qui dirige les Forces Françaises Libres, et Winston Churchill, Premier Ministre contesté par les autorités royales et militaires, notamment à cause de sa stratégie pour inverser le cours de la guerre (j’y reviens plus bas). Le roman décrit aussi la France occupée, au sein de laquelle des réseaux secrets de résistance tentent de lutter du mieux qu’ils le peuvent contre les envahisseurs impériaux. À noter qu’un certain Arsène Lupin (oui oui), marié à une gorgone, en fait partie. Dans la même catégorie de clins d’œil métalittéraires, l’auteur désigne l’auteur du Seigneur des anneaux par un groupe nominal, « un professeur d’Oxford », associé à l’un de ses travaux qui relève plutôt de son travail d’universitaire que de sa fiction.

Sans rentrer dans les détails, Nicolas Texier crée aussi un équivalent surnaturel et mythique à notre appel du 18 juin, lors duquel Charles de Gaulle appelle les français à résister face à l’envahisseur allemand, avec l’appel de Samhain (c’est-à-dire le 30 octobre). Lors de celui-ci, le roi Arthur en personne (oui oui) appelle les peuples féeriques de l’outre-monde à venir en aide aux Royaumes Unis face au Nouvel Empire (oui oui).

J’ai omis de parler de l’appel aux peuples fés lancé à la BBC par le Haut-Roi. Le message est bref et l’on en connaît le texte. Les phrases les plus marquantes (Les Royaumes ont perdu une bataille, mais ils n’ont pas perdu la guerre… Moi, Arthur Pendragon, j’invite les elfes de Terre, de Mer et de l’Air qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à me rejoindre, etc.) font à présent partie de la mémoire nationale. Elles figurent, traduites, dans la plupart des livres d’Histoire et insistent sur l’heure grave, la fidélité à la parole donnée et les vertus d’honneur.

Le parallèle avec l’appel du 18 Juin est explicite, puisqu’il est effectué sur les ondes de la BBC, et reprend des termes clés du texte de Charles de Gaulle, telles que « Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, […] à se mettre en rapport avec moi. », par exemple. L’appel d’Arthur mobilise cependant le surnaturel, puisqu’il est effectué pendant la fête de Samhain, qui fait le lien entre le monde des vivants et celui des dieux et des mânes dans la culture celtique, et s’adresse à des « Elfes ». On remarque par ailleurs que l’évocation de l’appel est rétrospective, puisque Julius Khool, le personnage narrateur écrivain de Monts et merveilles, mentionne des « livres d’Histoire », ce qui montre l’importance de ce discours, tout en mettant en évidence le fait que le majordome de Colin Wizard écrit son histoire alors que tout est fini. Ce caractère rétrospectif du récit apparaît aussi dans la mention de travaux d’historiens, mais aussi dans la manière dont il rend hommage à la figure de Colin Wizard, qui devient peu à peu un héros. À noter que parmi les œuvres qui mettent en scène une Seconde guerre Mondiale dans un univers de Fantasy, on peut citer Frankia de Jean-Luc Marcastel, dont je vous parlerai sans doute un jour.

Vous l’aurez peut-être compris, l’un des enjeux du récit est le retour en Bretagne du roi Arthur Pendragon, censé sauver son pays et éliminer la menace impériale. Julius Khool et Colin doivent donc le retrouver sur l’île perdue d’Avalon pour le ramener (oui oui), et effectuent leur recherche à bord d’un navire fantôme (oui oui). Pour ce faire, ils doivent naviguer dans les « outre mers », équivalent marins de l’outre-monde et utiliser un « altérimètre », un outil qui permet d’atteindre certains points précis de l’outre-monde, aligné sur la « fréquence » d’Excalibur, et adapté par des calculs complexes à la relativité temporelle (oui oui, mais je ne vous en dirai pas plus sur le retour d’Arthur). On remarque donc que Nicolas Texier mobilise de la technomagie, parce qu’il mobilise explicitement la théorie de la relativité d’Einstein et sa compréhension du temps pour l’adapter à un monde surnaturel.

De la même manière, le roman présente Fulgence Bienvenüe, l’inventeur du métro de Paris, comme un « enchanteur » qui a du négocier avec les catacombes de la ville, qui sont conscientes, fabriquent des golems à partir de ce qu’on leur sacrifie, et modifient leur architecture et leurs tunnels (oui oui). Le métro parisien est donc un élément technomagique dans l’univers de Monts et Merveilles. Sans rentrer dans les détails, l’auteur décrit aussi un personnage qui semble être devenu une Intelligence Artificielle.

— Cette machine suis moi. Je est cette machine. Entrez votre requête. »

Par ailleurs, Georges McKey, l’automate au parler marqué par la polyphonie des âmes qui le transportent et le composent, peut être considéré comme un personnage technomagique, parce que c’est une machine dotée de conscience créée par un enchanteur. On peut aussi affirmer que la main d’argent d’Eochaidh Braes fait de lui une sorte de cyborg transféerique, au même titre que Yan dans la nouvelle « Bonne chasse », présente dans le recueil Jardins de poussière de Ken Liu. Le roman de Nicolas Texier décrit donc des transpositions d’éléments science-fictifs ou technologiques dans un univers de Fantasy, malgré l’opposition entre merveilleux et industrialisation qu’il met en scène.

En effet, cette opposition transparaît dans les batailles qui opposent le roi Arthur et toues les créatures féeriques venus au secours de la Bretagne dans le quinzième chapitre, avec une description incroyablement riche des différents peuples, avec leurs souverains, leurs troupes et parfois leurs navires. Cette description peut rappeler le catalogue des vaisseaux de L’Illiade.

De longues oriflammes les faisaient paraître immenses. Ils brillaient comme le passé révolu d’un Âge d’or, et à leurs têtes allaient des souverains et leurs escortes, dans une splendeur antique et trompeuse.

Obéron, Puck et les princes des collines menaient tout d’abord les Sidhes, sortis pour la guerre de leurs palais souterrains et dont les masses, chatoyantes de lanternes et de lucioles, se creusaient çà et là des pâleurs marines et inquiétantes des Sangres venus de l’île de Man sur ordre du roi tord. S’y discernaient mal les chevaux des gobelins et des elfes, tant les fés aimaient ressembler à leurs bêtes et celles-ci à leurs maîtres. Portant à leurs gants des reptiles ou sur leurs casques des essaims d’abeilles, des princesses y entonnaient des chants de guerre, juchées sur des montures qui ne semblaient avancer que par l’effet de leur métamorphose, de dragons en hippogriffes, de griffons en gazelles, de lions en porcs et de tigres en manticores.

Le début de cette description compare les peuples féeriques au « passé révolu d’un âge d’or », ce qui marque leur déclin et leur appartenance à une époque sur le point de se terminer. D’ailleurs, la grande bataille qui les oppose à l’armée impériale et notamment à la Garde Noire montre de manière écrasante qu’ils sont dépassés par  une technologie qui les broie. La guerre contre le Nouvel Empire revêt donc un aspect sanglant et tragiquement héroïque et questionne le possible désenchantement du réel. Ce désenchantement se retrouve dans l’île d’Avalon, abandonnée et laissée en ruines par ses habitants, dans l’apparence physique de certaines divinités, telles qu’Eithne O’Diancecht ou Nuadha, (très) marqués par le temps, ainsi que dans le personnage d’Arthur.

« Il ne veut pas le reconnaître, mais il n’ignore pas, comme moi, que c’est la fin… Il faut s’y faire, que voulez-vous. On ne peut plus tout contrôler, et puis il fallait bien ça arrive un jour. Nous avons tous vu le trépas de Finvarra, d’Obéron, et même du roi Sil. Nous savions bien que le retour d’Arthur signerait l’achèvement d’un cycle, et le début d’un autre.

En effet, le Haut Roi est tiré de son sommeil en Avalon pour vaincre le Nouvel Empire grâce aux forces féeriques. Cependant, le personnage est marqué par une forme de tragique, puisqu’il est projeté dans une époque dont il ne sait rien et dont il doit maîtriser les codes et la langue. Il doit ainsi se mettre à jour pour parler l’anglais moderne, ce qui est retranscrit avec humour dans les dialogues.

« Faites ce que doit, sénéchaux ! Ils partent en quête ! Moi, roi Arthur, je dis…

— Déclare ? hasarda Misty Pikes.

— Déclare ! Déclare ordre des chevaliers de la Table Ronde retourné…

— Rétabli ? intervint-elle encore.

— Oui, rétabli, merci, amour ! Ordre Table Ronde rétabli, et eux sont deux premiers chevaliers ! » acheva-t-il d’une joyeuse voix de stentor, tout en dégainant Excalibur.

Arthur apparaît ainsi comme une figure d’Elu dépassée, qui lutte tant bien que mal contre le déclin qu’il représente. Nicolas Texier traite donc du thème du déclin, canonique en Fantasy, à travers un Elu qui doit transmettre son flambeau à d’autres héros, à savoir Julius Khool et Colin Wizard.

Le mot de la fin


Opération Lorelei signe la fin de la série Monts et merveilles de Nicolas Texier. L’auteur y met en scène une opposition entre des peuples féeriques en déclin, ralliés par un roi Arthur lui-même récemment revenu d’Avalon, et le Nouvel Empire et ses technologies meurtrières, dans un cadre qui évoque explicitement la Seconde Guerre Mondiale.

Julius Khool et Colin Wizard se joignent aux forces merveilleuses, aux réseaux de résistance et tentent tant bien que mal de vaincre les impériaux et leurs armes destructrices. Leurs aventures sont portées par un style toujours aussi riche.

Si vous aviez aimé les deux premiers volumes de la série, je vous recommande Opération Lorelei !

J’ai également lu et chroniqué d’autres œuvres de Nicolas Texier, Opération Sabines, Opération Jabberwock, Les Atlantes sont parmi nous, Les Ménades

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