Opération Jabberwock, de Nicolas Texier

Salutations, lecteur. Je t’ai dernièrement parlé d’Opération Sabines, le premier roman de Fantasy de Nicolas Texier. Je vais aujourd’hui de parler de sa suite,

Opération Jabberwock

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Introduction

 

Nicolas Texier est un auteur français né en 1969. Avant d’écrire des romans s’inscrivant dans les genres de l’imaginaire, il a écrit des romans de littérature dite générale (sans jugement de valeur de ma part) parus chez Gallimard, avec notamment L’Acteur (2006), Pôle Sud (2008). Il participe également à des travaux d’histoire militaire.

Ses deux premiers romans de Fantasy, Opération Sabines, et Opération Jabberwock, ont respectivement été mis en lumière lors des Pépites de l’Imaginaire des Indés de l’Imaginaire, par les Moutons Électriques, en 2018 et 2019. Ils font partie d’une série, Monts et Merveilles, dont le troisième volume devrait paraître l’an prochain.

Je tiens à préciser que j’ai reçu les deux romans dans le cadre du dernier financement participatif de l’éditeur. Leurs couvertures sont signées par Melchior Ascaride, qui fait un travail graphique de toute beauté qui donne une véritable identité graphique à la série (et à tous les romans dont il crée la couverture de manière générale) !

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Après une première mission pour les services secrets britanniques, le jeune enchanteur Carroll Mac Mael Muad revient dans le château familial en Irlande. Lorsqu’il retrouve le vieil automate construit par son père, c’est l’occasion pour lui d’apprendre enfin la vérité sur la disparition de ses parents et sur l’incroyable quête dans laquelle ils s’étaient lancés, à leurs risques et périls !

Carroll décide alors de tout abandonner pour gagner l’Amérique, toujours accompagné de son fidèle maître d’armes Julius Khool. Ce périple, entrepris alors que la Deuxième Guerre mondiale allume ses premiers feux, les mènera des sombres bois de Providence aux ruelles de Chicago hantées par des gangsters revenus d’entre les morts, puis des villes de l’Ouest sauvage, jusqu’aux territoires de chasse des Cheyennes, où veillent d’étranges créatures. Confrontés à un empire du crime séculaire, Carroll devra déployer tous ses dons d’enchanteur, et Julius tous ses talents de sabreur, afin d’espérer réussir l’opération Jabberwock, dont dépend l’issue de la guerre, le sort de l’Europe et sans doute des outres-mondes. »

Mon analyse évoquera dans un premier temps le mélange des genres opéré dans Opération Jabberwock, puis je vous parlerai des personnages et de l’intertexte que l’on peut observer dans le récit.

L’Analyse

 

Uchronie, Western, Fantasy, Aventure

 

Opération Jabberwock se déroule dans sa quasi-totalité en Amérique, mais quelques changements diffèrent par rapport au continent américain réel. Nicolas Texier déploie en effet les ressorts de l’uchronie, c’est-à-dire d’une réécriture fictionnelle de l’Histoire à partir d’un point de divergence pour créer un monde alternatif différent du nôtre. En effet, l’Amérique de Monts et merveilles est d’abord marquée par le christianisme, par opposition aux Royaumes qui sont restés païens et qui le sont encore au 20ème siècle. Certaines parties de l’Amérique, telles que la « Nouvelle-Bretagne », sont donc assez puritaines et opposées au surnaturel, à la magie que l’on peut trouver hors du continent mais également chez les natifs et dans le Bayou, mais également au matérialisme scientifique. Cependant, la jeunesse des États-Unis est fascinée par le surnaturel et la présence de l’occulte, comme en témoignent les membres du Club de l’Étrange rencontrés par Carroll et Julius à Providence, dont certains membres sont lecteurs et auteurs dans Weird Tales, le célèbre magazine pulp qui a entre autres lancé H. P. Lovecraft, Robert E. Howard et Clark Ashton Smith !

Le ressort uchronique s’observe également dans le rapport entre les natifs américains et les colons européens, qui est considérablement différent de notre réalité, puisque les États-Unis cohabitent plus ou moins pacifiquement avec des nations créées par les natifs, à savoir les « Sept Conseils », qui regroupent diverses tribus des sioux (Cheyennes, Arapahoes, Shoshones…), et l’Empire Comanche, qui réduit d’autres tribus en esclavage. Les natifs ont ainsi réussi à subsister face aux colons européens en alliant leurs forces, parce qu’une « Grande Vision » leur a montré qu’ils seraient probablement massacrés en perdant peu à peu tous leurs territoires au profit des États-Unis qui cherchent à étendre leur territoire. Des tensions subsistent donc entre les nations natives et les États-Unis, qui risquent de dégénérer en conflit à cause de la famille des Mac Arthur, qui cherchent l’épée légendaire Excalibur sur les territoires indiens en étant prêts à toutes les extrémités pour la retrouver. La tension liée à Excalibur peut ainsi représenter l’ensemble des tensions et des conflits larvaires entre les natifs et les États-Unis, de même que la construction de voies ferrées sur les territoires sioux. Nicolas Texier se sert donc du surnaturel et du ressort uchronique pour traiter de l’opposition entre les tribus natives d’Amérique et les colons européens. L’auteur met également l’accent sur les différences entre les modes de vies des deux factions, avec les grandes villes marquées par l’industrialisation telles que Chicago qui contrastent avec les campements indiens et leur proximité avec la Nature, par exemple.

Il est également explicitement dit que les armes à feu n’avaient pas encore été inventées dans l’univers de Monts et merveilles. Le récit signale en effet que le Nouvel Empire, qui détient désormais le savant Valère, est parvenu à créer des armes redoutables telles que des « bâtons à feu » ou des « chars de combat redoutables ». L’usage de périphrases montre que ces armes et leurs usages sont inédits dans l’histoire de cet univers. On constate donc que les factions qui ont connu un « Grand Désenchantement » acquièrent bien plus vite la technologie que celles qui sont marquées par la magie, qui peut largement concurrencer (et être concurrencée) par le progrès scientifique. La guerre qui s’annonce entre le Nouvel Empire et les autres nations européennes, qui figure notre Seconde guerre Mondiale, est présente en filigrane durant tout le roman et montre la dangereuse montée en puissance du Nouvel Empire. Elle sera sans aucun doute un enjeu capital du prochain volume de la série.

L’auteur mêle donc uchronie et Fantasy, mais d’autres genres viennent s’ajouter à Opération Jabberwock pour lui donner son identité.

Par exemple, le roman met en scène un automate (ou un robot) avec le personnage de Georges Mc Key, l’automate du père de Carroll, qui est haut en couleurs, puisqu’il dispose d’une mémoire photographique et qu’il est capable de parler la langue de n’importe lequel de ses interlocuteurs, sans oublier le fait que plusieurs âmes s’expriment à travers lui. Cette polyphonie s’exprime à travers des mots-valises mêlant souvent mots anciens et actuels, avec par exemple « camaramis », « drégalce », « philenseur », ce qui donne au personnage une voix (ou plusieurs) unique. On peut également noter le fait qu’il soit composé de technologie (c’est un automate), mais également de magie, puisqu’une grande partie de son corps est enchanté. Ce mélange entre technologie et magie au sein d’une créature mécanique peut rappeler le personnage récurrent Aevar, de l’univers du Sixième Royaume d’Adrien Tomas, qui est un automate (ou robot) fabriqué par un ingénieur Nain dans un univers de Fantasy médiévale. Sans plus rentrer dans les détails, Opération Jabberwock montre également un mélange entre technologie et magie dans les méthodes de conservation de Mordred, qui n’a plus rien d’un fringant chevalier arthurien (ou anti-arthurien).

Le récit présente ainsi un intertexte fort avec les légendes arthuriennes, puisque Julius Khool, Carroll Mac Maël Muad, Georges Mc Key et leurs autres compagnons vont devoir retrouver Excalibur sur le continent américain, en s’opposant à des forces anciennes qui cherchent aussi à récupérer l’épée légendaire censée permettre le retour d’Arthur d’Avalon, et ces forces ne sont qu’autres que Mordred et Morgause, respectivement fils et demi-sœur du chevalier. Les protagonistes vont donc se confronter à leurs serviteurs, qui forment un bestiaire assez rempli, avec des morts-vivants, des gargouilles, et même des Profonds lovecraftiens, tout en étant aidés par des personnages métis (dont je vous parlerai plus bas), un « co-marcheur », qui est une sorte de Doppelgänger et des esprits amérindiens.

Le roman mêle donc les magies et le folklore européens avec Morgause, Mordred, et Carroll, mais présente également des magies plus exotiques, avec le personnage de Violette, qui est « mi-morte », ce qui lui permet de mieux percevoir les sentiments et les esprits des personnes qu’elle croise, ainsi que de parler aux fantômes, ou les magies des natifs. On peut aussi noter que les manières d’accéder à l’outre-monde, c’est-à-dire l’univers parallèle à celui des humains et qui est porteur de surnaturel, nécessitent chez les occidentaux comme ailleurs des rituels à base de psychotropes et d’hallucinations !

La présence de folklore arthurien et amérindien, couplé au fait que les personnages vont traverser les Grandes Plaines à cheval et en train, danser dans des saloons ou se battre en duel donne une certaine coloration western au roman et une grande part d’originalité.

 

Intertexte, style et personnages

 

Le style de Nicolas Texier est toujours aussi raffiné et précis dans ce deuxième volume de Monts et merveilles, et reprend ce qui faisait le charme d’Opération Sabines, avec un narrateur autodiégétique, Julius Khool, qui raconte ses « mémoires » rétrospectivement et avec un certain humour teinté de références littéraires, notamment Paul Valéry ou Edgar Poe. La plume de l’auteur montre ainsi l’étendue de la culture littéraire du personnage, en utilisant des tournures très recherchées et travaillées et un vocabulaire qui rappellent le 19ème siècle littéraire et des auteurs tels que Flaubert et Maupassant, notamment dans les descriptions, qui sont plutôt chargées et détaillées.

Le roman introduit de nouveaux personnages et développe le personnage de Carroll Mac Maël Muad, le jeune enchanteur pour qui Julius Khool travaille. En effet, Carroll va acquérir une grande maturité et s’endurcir, en passant par une phase qui le transforme et qui donne un changement radical symboliquement. Les personnages nouvellement introduits, Présence Beauregard, une métis amérindienne, sa fille Violette et l’automate Georges Mc Key, possèdent chacun leurs caractères et leurs intérêts propres. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus sans vous spoiler certains développements du roman, notamment dans la manière dont les personnages trouveront enfin la voie vers Excalibur.

Opération Jabberwock possède également une certaine intertextualité avec H. P. Lovecraft (l’auteur du mythe de Cthulhu, mais pas que), puisque les personnages se rendent à Providence, la ville dans laquelle l’auteur a grandi, rencontrent des lecteurs qui lisent le pulp Weird Tales dans lequel il a été publié, rencontrent même l’un des auteurs du magazine qui écrit sous le pseudonyme de « Glenn Dexter Ward », ce qui fait référence à L’Affaire Charles Dexter Ward¸ un récit de Lovecraft, et doivent également faire face à des créatures qui ressemblent à des Profonds issus de son univers.

Je terminerai en évoquant Excalibur, qui dans l’univers de Monts et Merveilles semble transformer son porteur en un vecteur de son pouvoir, en contaminant sa part humaine pour ne finalement ne se dédier qu’à l’épée, ce qui n’est pas sans rappeler la Stormbringer d’un certain Elric. Cependant, on peut noter que l’épée semble manipuler son porteur pour qu’il fasse le bien, avec le fait qu’une bande de desperados, appelés « les Chevaliers de la Plaine », luttaient pour la liberté et contre les oppressions, là où l’épée de l’univers de Michael Moorcock ne cherche qu’à être manipulée. On retrouve toutefois le motif de l’arme qui change son porteur, pour le meilleur comme pour le pire.

 

Le mot de la fin

 

À mon sens, Opération Jabberwock constitue une très bonne suite à Opération Sabines. Le style de l’auteur tout comme son worldbuilding s’y déploie toujours plus, et nous montre des personnages qui évoluent au sein d’un monde mis en danger par la magie et le surnaturel mêlés aux progrès scientifiques, avec la parole conteuse d’un personnage principal toujours aussi savoureuse !

17 commentaires sur “Opération Jabberwock, de Nicolas Texier

  1. Très, très belle critique. Tu envoies du convaincant, du lourd, de l’alléchant, du palpitant. De quoi mettre le turbo à une PAL déjà vorace ( sais-tu qu’elle n’a pas besoin de pilulle la garce, et des encouragements encore moins ?…..)

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