Binti, de Nnedi Okorafor

Salutations, lecteur. Aujourd’hui je vais te parler d’un récit d’une autrice que je voulais découvrir depuis longtemps.

Binti, de Nnedi Okorafor

actusf218-2020

Introduction

Avant de commencer, je tiens à préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions ActuSF, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Nnedi Okorafor est une autrice nigériane appartenant à l’ethnie des Igbo et américaine née en 1974. Elle écrit de la science-fiction et de la fantasy. Ses récits interrogent les notions de genre et de race, et s’inscrivent dans l’afrofuturisme. Elle est également scénariste de comics, et a récemment travaillé sur des séries telles que Black Panther, Wakanda : Forever, ou Shuri.

Les deux novellas dont je vais vous parler aujourd’hui, Binti et Binti : Retour, sont originellement parues en 2015 et 2017 chez Tor, et ont été traduites par Hermine Hémon et Erwan Devos, pour les éditions ActuSF, qui les ont réunies dans un recueil publié dans la collection Naos, en y adjoignant une nouvelle intitulée « Binti : Feu sacré ». Binti a remporté les prix Hugo et Nebula en 2016.

Voici la quatrième de couverture de ces novellas :

« Maîtresse harmonisatrice du peuple Himba, Binti est vouée à reprendre la boutique d’astrolabes de son père… Mais l’incroyable don pour les mathématiques de l’adolescente lui ouvre les portes de la prestigieuse université interplanétaire Oomza.
Binti embarque sur le Troisième Poisson à l’insu de sa famille. Mais au cours du trajet, les Méduses, ennemies millénaires des humains, abordent le vaisseau pour en massacrer les passagers. Commence alors pour Binti un combat pour sa survie et celle de ceux qui lui sont chers. »

Dans mon analyse des récits, je m’intéresserai à la manière dont Nnedi Okorafor traite les thèmes du racisme et de l’exclusion.

L’Analyse

Binti, Himba à l’université d’Oomza

Nnedi Okorafor nous fait suivre Binti, une jeune terrienne du peuple des Himba, avec une narration à la première personne. Les Himbas vivent au nord de la Namibie. C’est un peuple qui vit très fermé sur lui-même, dans notre réalité et dans le récit, ce qu’on observe dans le fait que les Himbas refusent d’entrer en contact avec toutes les autres populations, ce qui inclut les « gens du désert », et les « Khoush », qui haïssent les Himbas.

Binti doit donc faire face à la fois à l’isolation dans laquelle se complaît son peuple, le racisme qui le vise, mais aussi son auto-autarcie qui le pousse à mépriser tous les autres peuples et espèces, quand bien même ils maîtrisent de manière très avancée la technologie des « astrolabes », qui sont des sortes de machines semblables à des smartphones, et en font le commerce avec diverses espèces.

Ainsi, le fait que Binti soit acceptée par la prestigieuse université d’Oomza grâce à ses dons faramineux en mathématiques et qu’elle s’y rende apparaît comme une trahison pour son peuple, parce qu’elle brise l’autarcie et leurs traditions, ce qui entre en opposition avec le fait que le personnage cherche à préserver les traditions de son peuple, même sur Oomza. En effet, Nnedi Okorafor décrit les traditions des Himbas à travers leur pratique par son personnage, notamment lorsqu’elle applique de « l’otjize », c’est-à-dire un mélange d’argile et d’huile végétale, sur son corps et ses cheveux, ce qui est une pratique traditionnelle des Himbas. L’otjize apparaît comme un motif fondamental pour le personnage, puisqu’il permet à la fois d’exprimer la particularité de sa culture, et de dresser un écran entre elle et autrui à travers ses traditions. Binti est donc un personnage attaché à sa culture, mais pas à l’autarcie à celle-ci, et c’est pour cela qu’elle décide de se rendre à l’université d’Oomza. Son rapport à l’otjize symbolise donc son rapport à sa terre natale et à son peuple, parce qu’il est tout ce qui lui reste d’eux une fois sur Oomza, mais aussi sa manière d’ériger une barrière entre elle et une altérité parfois trop brutale. L’autrice met également en lumière le génie extrême de son personnage pour les mathématiques, avec lesquelles elle se trouve complètement en phase, comme le montrent les moments où elle « arboresce », c’est-à-dire qu’elle navigue mentalement d’équations en équations à une vitesse ahurissante (oui oui). Binti est donc singularisée par son génie, mais aussi par les comportements discriminatoires de certains étudiants d’Oomza, et par son expérience traumatique.

La brutalité de l’altérité s’observe d’abord dans les actes racistes que Binti subit à cause des Khoush, qui l’injurient, mais aussi dans un événement traumatique qu’elle vit lors de son voyage spatial vers Oomza. En effet, alors qu’elle se trouve à bord de « Troisième Poisson », un animal modifié génétiquement pour voyager dans l’espace, en compagnie d’autres humains, tous Khoush, des Méduses, qui sont leurs ennemis héréditaires, abordent le vaisseau et tuent tous ses passagers, sauf Binti.

Binti doit alors établir le contact avec les Méduses pour survivre, mais aussi pour instaurer la paix entre elles et les peuples humains qui leur font la guerre sans comprendre pourquoi les Méduses se montrent agressives. Sans trop rentrer dans les détails, ce contact s’effectue grâce à un edan, une technologie extraterrestre que Binti a découvert, et qui s’active grâce à sa maîtrise des mathématiques. Grâce à l’edan et ses capacités de « maîtresse harmonisatrice », Binti va parvenir à communiquer avec les Méduses, ce qui lui confère un statut extrêmement particulier une fois qu’elle étudie à Oomza, en compagnie d’un étudiant Méduse, Okwu. On peut d’ailleurs noter que Troisième Poisson apparaît comme un lieu de transition important, puisqu’il est le vaisseau qui amène Binti et Okwu sur Oomza, mais aussi celui qui les ramène sur Terre dans Binti : Retour. Le fait que Binti soit parvenue à amener un début de paix entre les Méduses et les peuples humains lui confère à la fois un statut d’héroïne, puisqu’elle est franchit une étape vers une réconciliation totale des deux races, mais aussi une image de traîtresse, parce que certains humains considèrent qu’elle a été corrompue de manière plus ou moins littérale par les Méduses, en omettant totalement le traumatisme qu’elle a vécu.

Les novellas de Nnedi Okorafor s’ancrent dans la mouvance afrofuturiste, à travers leur ancrage science-fictif, mais surtout leur mise en scène et leur dépiction du point de vue de Binti, seule femme Himba au milieu des Khoush et des non-humains, dont les pensées et les perceptions nous sont données grâce au point de vue interne. La subjectivité de la jeune femme aiguillent donc le lecteur, qui observe le racisme et les préjugés dont elle est victime, à travers le comportement discriminant de certains élèves d’Oomza, par exemple. Le racisme frappe également Okwu, tenu pour responsable de l’entièreté des exactions de son peuple, parce qu’il est en le seul représentant présent à Oomza, ce qui fait qu’il est victime de racisme de la part des autres étudiants, qui le considèrent comme un monstre sanguinaire, ce qu’il n’est pas, comme le montre la relation d’amitié qu’il entretient avec Binti.

On peut noter que les récits font parfois preuve d’un certain manichéisme, notamment dans la manière dont se résout le conflit à bord de Troisième Poisson, mais on peut supposer que cela peut venir du public cible auquel les novellas s’adressent, c’est-à-dire, des jeunes adultes.  On peut également percevoir cette posture manichéenne comme une manière de démontrer que la communication entre espèces est un enjeu fondamental qui peut être résolu de manière plus simple qu’on peut le penser de prime abord, même si bien d’autres récits de SF décrivent des approches bien plus complexes et dangereuses de communiquer avec des espèces extraterrestres. Cela ne constitue pas un défaut (ou un jugement de valeur de ma part), mais il faut savoir à quoi s’attendre lorsqu’on débute la lecture, et en cela, le fait qu’ActuSF publie Binti dans une collection YA, qui par ailleurs accueille des titres d’excellente qualité, comme l’ont récemment prouvé Lames Vives : Obédience et Dans l’ombre de Paris, peut permettre de mieux aiguiller le lectorat.

Nnedi Okorafor traite également du traumatisme de son personnage, engendré par l’attaque des Méduses, qui désamorce d’une certaine façon la position d’Elue que pourrait détenir Binti. En effet, la mort de ses camarades à bord de Troisième Poisson de la main des Méduses affecte considérablement et durement la jeune femme, et l’autrice décrit à plusieurs reprises des moments où les souvenirs de Binti viennent la frapper sans qu’elle puisse y faire face, ce qui engendre chez elle des réactions identifiables à un syndrome de stress post-traumatique. Ce traitement du traumatisme permet à l’autrice d’évoquer la souffrance intense de son personnage, mais aussi de le confronter à l’incompréhension complète de son entourage, qui ne saisit la violence de ce qu’elle a vécu et lui expose des préjugés racistes et des reproches, comme le fait sa famille, ou même les familles des victimes, qui la forcent à raconter, et donc à revivre en détails, les événements survenus à bords du vaisseau, en se moquant complètement de ce qu’elle peut ressentir. Binti peut donc être perçue comme une héroïne de par les actes qu’elle a accomplis, mais l’autrice montre également qu’elle est brisée par son vécu.

Les novellas abordent également les thématiques de la barrière de la langue et du métissage, à travers le statut particulier (je ne peux pas vous en dire plus) de Binti, qui est exploré dans Binti : Retour. En effet, afin de pouvoir communiquer avec Okwu et les Méduses, Binti apprend la langue des Méduses, tandis qu’Okwu apprend des langues humaines, l’Himba et le Khoush. Cela permet aux deux personnages de franchir la barrière de la langue et de communiquer, alors que leurs espèces respectives se livrent une guerre sans merci. Nnedi Okorafor traite également du métissage à travers le statut extrêmement particulier de Binti, qui est croisement des Himbas, des Méduses et du peuple du désert, les Enyi Zinariya, qui possèdent des nanomachines extraterrestres dans leur sang, ce qui leur permet de communiquer entre eux. Binti est donc une humaine qui porte en elle les caractéristiques de plusieurs espèces non-humaines, ce qui lui donne les capacités physiques et symboliques d’amener la paix entre les peuples, mais aussi de désenclaver les Himbas, grâce à la diversité qu’elle leur apporte.

Le mot de la fin

Dans les novellas qui mettent en scène le personnage de Binti, Nnedi Okorafor aborde les thèmes du racisme, de l’exclusion, des barrières de la langue et du métissage, à travers un personnage issu d’une communauté isolationniste, à savoir le peuple Himba, qui se confronte à une altérité parfois brutale.

Binti se trouve ainsi singularisée par l’autrice, à travers les traditions de son peuple, qu’elle est seule à représenter dans la prestigieuse université d’Oomza, au sein de laquelle elle étudie grâce à son génie pour les mathématiques. Elle apparaît ainsi comme un génie, et comme une héroïne, puisqu’elle est parvenue à poser les bases d’une paix possible entre les humains et les Méduses, mais aussi comme une jeune femme traumatisée, puisque cette paix s’est établie au prix d’un massacre qu’elle a vécu lors de son voyage vers Oomza. L’autrice dépeint alors la vie de Binti sur Oomza et la manière dont son don inné pour les mathématiques la forgent, tout en explorant le traumatisme de son personnage et son influence sur sa vie au milieu de populations non-humaines et d’individus racistes.

Ces récits m’ont permis de découvrir la plume de Nnedi Okorafor, et je vous les recommande ! A l’avenir, je risque fort de vous reparler de cette autrice.

Vous pouvez également consulter les chroniques de Lutin, FeydRautha, Célindanaé, Blackwolf, Rose, FungiLumini, Dreambookeuse, Yuyine

16 commentaires sur “Binti, de Nnedi Okorafor

  1. Je partage entièrement ton analyse. Quant au public cible, il vaut mieux le souligner, surtout la première novella. N’étant pas fan de YA, j’ai quand même apprécié cette lecture malgré son léger manichéisme. Sand oute est-ce lié à la façon simple, sans être simpliste, dont sont traités les différents aspects du récit.

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  2. « Nnedi Okorafor traite également du traumatisme de son personnage » ce que tu dis dans ce paragraphe est quelque chose qui m’a assez marqué à la lecture d’autant plus quand on voit comment se termine le premier, de façon un peu facile comme si ce massacre était oublié, du coup j’ai bien aimé de voir traité le sujet du traumatisme dans la seconde histoire et encore dans la troisième car en effet on ne peut pas vivre un truc pareil et puis vivre normalement comme si de rien n’était. C’était pour le coup assez réaliste.

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