Kabu Kabu, de Nnedi Okorafor

Salutations, lecteur. Il y a peu, je t’ai parlé de Binti de Nnedi Okorafor. Aujourd’hui, je vais poursuivre ma découverte de l’œuvre de l’autrice avec

 

Kabu Kabu

actusf229-2020

Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions ActuSF, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du recueil !

Nnedi Okorafor est une autrice américano-nigériane appartenant à l’ethnie des Igbo née en 1974. Elle écrit de la science-fiction et de la fantasy. Ses récits interrogent les notions de genre et de race, et s’inscrivent dans l’afrofuturisme. Elle est également scénariste de comics, et a récemment travaillé sur des séries telles que Black PantherWakanda : Forever, ou Shuri.

Le recueil dont je vais vous parler aujourd’hui, Kabu Kabu, est paru en version originale en 2013. Il a été traduit en français par Patrick Dechesne en 2018 pour les éditions de l’Instant, avant d’être repris par ActuSF en 2020 pour la collection « Perles d’épice ».

Voici la quatrième de couverture du recueil :

« Avec Kabu Kabu, plongez dans les méandres des nouvelles de Nnedi Okorafor, l’autrice de Qui a peur de la mort ? (dont la série est en développement par HBO).
Embarquez en direction de l’aéroport de New York dans un kabu kabu, taxi clandestin qui vous fera traverser les légendes africaines.

Découvrez une musicienne qui joue de la guitare pour un zombie particulier.
Rencontrez Arro-yo, la coureuse de vents à la chevelure maudite, qui se bat pour exister sur l’étrange planète Ginen.

Vingt-et-une nouvelles vers un ailleurs étonnant et passionnant. »

Mon analyse des nouvelles s’intéressera à la manière dont l’autrice inscrit des récits appartenant à des genres divers de l’imaginaire dans l’afrofuturisme. Comme d’habitude lorsqu’il s’agit d’un recueil, il s’agira donc de donner une vision d’ensemble et pas de traiter des nouvelles une à une.

 

L’Analyse

 

Afrofuturs divers

 

Avant de continuer, il convient de donner une définition de l’afrofuturisme. L’afrofuturisme est un mouvement artistique et esthétique de la fin du 20ème siècle, au sein duquel les auteurs noirs se réapproprient les codes des genres de l’imaginaire pour traiter des problématiques liées à la situation des personnes noires dans le monde. Ainsi, le genre peut traiter de la colonisation, la post-colonisation, du racisme et la manière dont il peut devenir systémique au sein d’une société, et permet aussi de se réapproprier des pans de l’Histoire, la colonisation ou l’esclavage par exemple. L’afrofuturisme met également en scène des personnages et des cultures noires, afrocentrées, et par conséquent, non-européennes ou occidentales. Lorsque ces dernières sont choisies par les auteurs, elles le sont pour être explorées à travers un point de vue non-blanc sur une société occidentale.

Par sa mise en scène de personnages noirs, qu’ils soient nigérians ou américano-nigérians, Nnedi Okorafor inscrit les nouvelles de Kabu Kabu dans le courant de l’afrofuturisme. L’autrice semble cependant distinguer la condition de personnages afro-américains de celles des personnages nés et vivant en Afrique. La plupart des nouvelles du recueil relèvent de la SF, tandis que d’autres peuvent être rattachées à la Fantasy ou au Fantastique (j’y reviendrai plus bas).

Le recueil interroge la vie des personnes noires en différenciant la vie sur le continent africain du mode de vie occidental américain. Ainsi, les nouvelles « Kabu Kabu », « La Maison des difformités », « Le Tapis », « Sur la route », et « Icône » confrontent des personnages afro-américains au continent africain et à ses mœurs, à son climat politique, ses légendes et son folklore. Ces nouvelles montrent que la condition des personnes noires n’est pas la même de part et d’autre de l’Atlantique. Les personnages de ces récits se voient donc confrontés à leur propre inculture et leurs illusions sur  le pays de leurs parents dans le cas de « Sur la route » et « Le Tapis », puisqu’ils sont perçus comme étant occidentalisés, « américanisés » par ceux qu’ils croisent, ce qui est particulièrement visible dans « Kabu Kabu » et « Icône ». Cela ne signifie pas pour autant que les personnages afro-américains sont épargnés par les problèmes, puisque « Zula de la cour de récré de quatrième » et « La Fille qui court » traitent du racisme dont sont victimes les enfants noirs dans des milieux scolaires majoritairement blancs, sans qu’aucun adulte ou presque n’intervienne, ce qui témoigne du racisme omniprésent aux Etats-Unis, qui passe des parents aux enfants. Kabu Kabu  s’intéresse au sort des personnes noires, mais met également en lumière les problématiques liées aux afrodescendants (ce qui personnellement, m’a interpellé).

Certains récits de Kabu Kabu décrivent également la condition de personnages africains, notamment nigérians, face au capitalisme occidental, qui exploite les ressources de leur pays, notamment le pétrole du Nigéria. Cette situation est notamment traitée dans les nouvelles « Icône », qui confronte un journaliste afro-américain à des pirates nigérians, mais aussi « Popular Mechanic » et « L’Artiste araignée », qui montrent comment l’exploitation du pétrole au Nigéria entraîne une paupérisation énorme de la popularisation, en plus d’aliéner le corps des personnes noires. Les exemples du père d’Anya dans « Popular Mechanic », qui a servi de cobaye pour les prototypes de bras cybernétiques des laboratoires américains, ou des femmes devenues infertiles à cause de la pollution dans « L’Artiste araignée », témoigne de cette aliénation corporelle, qui rejoint la spoliation économique et matérielle du continent africain par les nations occidentales. Sans trop en révéler sur la chute de la nouvelle, « Icône » montre également comment la pollution peut transformer le corps humain. « L’Affreux oiseau » montre quant à lui, en filigrane, la manière dont la colonisation de l’île Maurice a provoqué la disparition du dodo. Certaines nouvelles s’appuient également sur l’Histoire du Nigéria. « Biafra » traite par exemple de la guerre civile du Biafra, qui a eu lieu au Nigéria entre 1967 et 1970. Arro-yo, mise en scène dans cette nouvelle, est dépassée par la violence du conflit et des massacres qu’il engendre, qu’elle ne peut empêcher malgré ses pouvoirs de coureuse de vents. L’impuissance de son personnage permet ainsi à Nnedi Okorafor de témoigner de la violence du conflit. Le surnaturel permet cependant parfois aux personnage opprimés de s’émanciper, comme le montre « L’Artiste araignée », qui dépeint la relation entre une musicienne et un drone de surveillance chargé de tirer sur les pirates des pipelines de pétrole.

Certaines nouvelles du recueil peuvent être rattachées à la Fantasy, soit qu’elles se moquent des clichés de la Fantasy, soit qu’elles mettent en scène des personnages dotés de pouvoirs surnaturels assimilables à de la magie. « Le Nègre magique » moque ainsi les clichés sur les héros et les personnages secondaires noirs des récits de Fantasy, en inversant leurs rôles à travers un jeu sur les apparences, entre un chevalier blanc (dans tous les sens du terme) et un magicien littéralement noir, ce qui permet à l’autrice d’affirmer la place des personnes noires dans les littératures de l’imaginaire.

Ensuite, les nouvelles « Tumaki », « Comment Inyang obtint ses ailes », « Les vents de l’harmattan », « Les Coureurs de vent » et « Biafra », décrivent quant à elles des personnages de « coureurs de vent », capables de voler et manipuler les courants aériens et les orages, qui subissent une oppression systémique, quelle que soit la société au sein de laquelle ils évoluent. Nnedi Okorafor décrit ainsi la vie de plusieurs d’entre eux, notamment des femmes, à l’image d’Inyang, Asuquo, et Arro-yo, qui doivent lutter contre la manière dont leurs pouvoirs sont perçus par l’humanité standard, mais aussi contre un sexisme qui vise à les enfermer dans le mariage. On peut d’ailleurs noter que le sexisme est un thème récurrent des nouvelles du recueil, puisque l’autrice aborde à plusieurs reprises la manière dont les femmes ne sont perçues qu’à travers leur statut marital, notamment dans « Kabu Kabu », mais aussi dans les nouvelles des coureurs de vents, où on observe que les femmes sont gavées pour respecter des standards de beauté.

Nnedi Okorafor emprunte également à la forme du conte, dans les nouvelles « L’Homme au long juju », « Séparés », « La guerre des babouins », et « Le bandit des palmiers ». « L’Homme au long juju » et « La guerre des babouins » confrontent ainsi respectivement une enfant à une figure facétieuse du folklore de son peuple et un groupe de jeunes filles à des babouins de plus en plus agressifs dans une forêt mystérieuse (non, pas celle-là). « Séparés » et « Le bandit des palmiers » mettent quant à elles des adultes en scène, la première nouvelle prenant la forme d’un conte amoureux sur l’amour fusionnel et marital qui annihile l’individualité des deux personnes qui s’aiment, tandis que la deuxième montre la manière dont une femme, Yaya, parvient à faire lever l’interdiction pour les femmes d’extraire de la sève des palmiers.

 

Le mot de la fin

 

Kabu Kabu est un recueil de nouvelles qui s’inscrivent dans l’afrofuturisme, parce qu’elles interrogent la situation de personnages noirs, aux Etats-Unis comme au Nigéria, à travers la mise en scène d’univers merveilleux, science-fictifs ou fantastiques.

Les nouvelles de ce recueil permettent également à Nnedi Okorafor de différencier les manières de vivre des personnes noires vivant en Afrique de celle qu’adoptent les afro-américains, en confrontant des nigérians « américanisés » à la culture et à la politique nigérianes.

Je vous recommande vivement la lecture de ce recueil ! Pour aller plus loin, je vous conseille également La Terre Fracturée de N. K. Jemisin, ainsi que le recueil Lumières Noires de la même autrice.

Vous pouvez également consulter les chroniques de Bouddica, MarieJuliet, BlackWolf, Just A Word, Célindanaé, Elhyandra, Fantasy à la carte

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