Vorrh, de Brian Catling

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de Fantasy très original.

Vorrh, de Brian Catling

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Introduction

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse de Fleuve Éditions. Je remercie donc chaleureusement Julien Guerry de m’avoir envoyé le roman !

Brian Catling est un auteur américain né en 1948. Il est aussi poète, sculpteur, artiste performeur et réalisateur de films. Il occupe un poste de professeur des Beaux-Arts à l’université d’Oxford.

En tant qu’écrivain, Brian Catling est connu pour ses poèmes, mais également pour sa trilogie The Vorrh, composée du roman du même nom, paru en 2012, ainsi que de The Erstwhile (2017) et The Cloven (2018).

The Vorrh a été traduit par Nathalie Mège pour la collection Outrefleuve de Fleuve Éditions, et paraîtra en septembre 2019. À noter que le roman a été préfacé par Alan Moore, immense scénariste de BD, auteur des Watchmen, Batman : The Killing Joke, Top 10 ou encore La Ligue des gentlemen extraordinaires.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« La Vorrh est une forêt merveilleuse et effrayante. Tous ceux qui y pénètrent y trouvent soit la mort, soit l’oubli. Néanmoins, elle exerce une fascination quasi magnétique et un attrait irrésistible. On dit que le jardin d’Éden est dissimulé en son cœur. Personne ne l’a jamais explorée en entier, elle serait sans fin.

Pourtant, un homme a entrepris le périple. Un ancien soldat qui a tout abandonné pour suivre sa bien-aimée, Este. À sa mort, il a, suivant d’antiques rituels, emprisonné son esprit dans un arc et, écoutant ses murmures, s’est lancé sur la route… »

Je m’intéressai d’abord à l’univers et à la question générique de La Vorrh, qui constituent une part de son originalité, puis j’examinerai certains des personnages du roman, avant de traiter des thématiques qu’il aborde.

L’Analyse

Mélange des genres et originalité

Vorrh se déroule dans un monde alternatif calqué sur le nôtre, entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème, après la Première Guerre Mondiale. La majeure partie du récit se déroule en Afrique, dans les environs d’une forêt qui donne son nom au roman, la Vorrh, et dans la ville qui se trouve près d’elle, Essenwald, et qui se trouve être une enclave coloniale européenne sur le continent africain qui tire profit du bois qu’elle tire de la forêt. Parallèlement aux intrigues situées aux abords de la Vorrh et à Essenwald, le lecteur suivra également Eadweard Muybridge, personnage historique, photographe de génie inventeur du « zoopraxiscope », qui permet de décomposer les mouvements des animaux par la photographie, d’appareils photo de plus en plus performants, mais également dans le cadre du récit, de machines mystérieuses vouées à guérir les patientes atteintes de troubles psychiques, dans la lignée des expériences du neurologue Charcot à la Salpêtrière dans la deuxième moitié du 19ème siècle. Muybridge finira aussi par entrer en contact avec la Vorrh par le biais d’une femme mystérieuse qui y est née.

L’élément clé du roman, qui fait tout son charme et son étrangeté, c’est la Vorrh. Brian Catling reprend un topos de la Fantasy, la forêt comme lieu où règne le surnaturel, à l’image de Robert Holdstock avec la forêt de Rhyope dans La Forêt des mythagos (1984), qui abrite des personnages et créatures issus de l’imaginaire humain, ou le Sixième Royaume d’Adrien Tomas, une forêt qui abrite des créatures surnaturelles issues des contes et des légendes de l’univers de l’auteur, qui est mise en scène dans ses romans La Geste du Sixième Royaume (2011) et La Maison des mages (2013), mais il se l’approprie pour en faire à la fois un lieu de surnaturel mythique, mais aussi un lieu propice à l’horreur. En effet, elle possède des pouvoirs (j’y reviendrai), et abrite des créatures monstrueuses et légendaires, dont des cannibales sans tête, dont le visage se trouve au niveau du sternum,  et les « Ancêtres », qui sont des anges extrêmement anciens ayant perdu la capacité de fabriquer des objets et leur raison d’exister à cause de leur séjour (trop) prolongé dans la forêt, qui les a dépossédé leur mémoire, mais aussi de leurs corps, ce qui est symbolisé par la perte de leurs plumes et l’apparition d’éléments végétaux tels que de lianes et de l’écorce sur leurs corps. Adam, le premier homme, se trouve également piégé dans la Vorrh, sous une forme extrêmement diminuée. Brian Catling mobilise donc un intertexte biblique, ce qu’on observe également lorsque les personnages mentionnent le fait que la forêt contiendrait rien de moins que le Jardin d’Éden, dans lequel vivrait Dieu en personne.

La Vorrh apparaît ainsi comme une source puissante de mythe et de surnaturel, mais également d’horreur. En effet, bien que les habitants d’Essenwald exploitent son bois, ils n’exercent aucun contrôle sur elle, bien au contraire, puisqu’elle altère la mémoire de ceux qui restent trop longtemps en son sein ou qui s’aventurent trop près de son cœur. L’influence de la Vorrh est par exemple visible sur les Limboia, des ouvriers chargés de couper du bois qui sont peu à peu devenus obsédés par elle. La Vorrh est ainsi le moteur principal du roman de Brian Catling, mais aussi l’un de ses acteurs, de par la fascination des personnages pour elle et son action sur eux.

On trouve donc des créatures légendaires et monstrueuses au sein de la Vorrh, mais on en trouve également à l’extérieur de la forêt, à Essenwald. Ainsi, l’un des personnages du roman, Ismaël est un cyclope, puisqu’il n’a qu’un œil au centre du visage, élevé par les « Proches », des automates humanoïdes de bakélite.

L’univers du roman de Brian Catling est donc marqué par son appartenance à la Fantasy, avec des créatures et des lieux surnaturels, des personnages dotés de pouvoirs magiques, à l’image du chaman chirurgien Nebsuel ou de la mystérieuse Irinipeste,

Cependant, La Vorrh se situe dans une veine très originale du genre, de par son décor et le monde qu’il dépeint, avec un conflit latent entre les colons européens et la Vorrh, et les questionnements de l’Humanité à son sujet. L’auteur emploie également différentes tonalités et emprunte à d’autres genres, puisqu’il mobilise des figures historiques réelles, avec l’écrivain français Raymond Roussel, appelé « le Français », auteur du roman Impressions d’Afrique, paru en 1910 et les avancées photographiques d’Eadweard Muybridge, tout en mettant en scène des lieux, des créatures et des personnages surnaturels, avec des moments horrifiques, grotesques, ou étranges, avec par exemple des scènes de sexe inter-espèces (oui oui), mais aussi des combats, des événements tragiques, et une magie mystérieuse. La Vorrh dispose ainsi d’une grande originalité.

Archer, chasseur, cyclope, mondaines et photographe

Le roman donne au lecteur le point de vue de plusieurs personnages, à commencer par l’Archer, Peter Williams (ou Undeswilliams), un ancien colon blanc qui doit traverser la Vorrh, aidé par un arc vivant, fabriqué à partir du corps de sa compagne, la magicienne Este, qui le guide dans la forêt afin qu’il ne se perde pas. Il est poursuivi par Tsungali, un chasseur noir qui s’est autrefois rebellé contre les occupants anglais, et qui fait usage de magie pour progresser.

Les deux personnages possèdent chacun une arme vivante d’une certaine manière, celle de Williams parce que son arc est fabriqué à partir d’un être humain doté de pouvoirs magiques et est capable de bouger, d’indiquer ses sentiments par ses mouvements et par les impressions qu’il transmet à son porteur qui l’appelle d’ailleurs parfois par son nom, tandis le fusil Lee-Enfield de Tsungali, appelé Uculipsa, est personnifié par le regard son porteur, qui le traite comme une partie de son corps ou un organisme vivant, à travers des métaphores dans lesquelles les mécanismes de l’arme sont « de chair et d’os ».

Ces deux personnages sont liés, puisqu’ils ont tous les deux vécu la période de la colonisation de l’Afrique par les européens, mais aussi parce qu’ils semblent en symbiose avec leurs armes respectives, Williams parce qu’il s’agit du corps de sa compagne, et Tsungali parce qu’il s’agit d’une arme qui le suit depuis très longtemps et à laquelle il est très attaché.

On peut d’ailleurs noter que le fait que les deux armes soient considérées comme vivantes et portent des noms peut être considéré comme une reprise du trope de l’arme enchantée ou magique de la Fantasy qui fait corps avec son porteur, à l’image de la Stormbringer d’Elric chez Michael Moorcock, ou de la Belle de mort de Cellendhyll de Cortavar dans L’Agent des ombres de Michel Robert. Brian Catling réactualise ici ce trope, puisqu’il est utilisé pour qualifier une arme à feu et un arc vivant, et pas des épées, qui sont d’habitude les armes mobilisées par ce topos (attention, il ne s’agit pas d’un jugement de valeur de ma part sur l’une ou de l’autre de ces œuvres).

Le lecteur dispose aussi du point de vue des personnages qui vivent dans la ville d’Essenwald, qui s’enrichit grâce au bois qu’elle tire de la Vorrh. Les intrigues d’Essenwald se concentrent sur Ghertrude Tulp, une jeune femme de bonne famille, qui arrache Ismaël, le fameux cyclope, aux Proches, et le met en contact avec le monde extérieur, qu’il ne connaissait pas jusque-là, puisqu’il se trouvait enfermé. Ghertrude et Ismaël sont liés à Cyrena Lohr, une héritière extrêmement riche, aveugle de naissance, qui va tomber amoureuse du jeune homme après qu’il ait accompli un miracle en des circonstances pour le moins charnelles.

Ismaël, en tant que personnage perçu comme un monstre parmi les hommes, se pose énormément de questions sur son existence et sa condition, et va tenter d’explorer la Vorrh pour trouver des réponses. Les deux jeunes femmes vont alors tenter de le retrouver en bravant les dangers liés à la Vorrh et la ville, à la fois brutaux et mondains, incarnés par les personnages du docteur Hoffman, qui conduit des expériences abominables sur des enfants mort-nés, et Maclish, qui supervise les travaux des Limboias. Une amitié profonde naît alors entre Cyrena et Ghertrude, qui s’entraident envers et contre tout, malgré les événements parfois horribles qu’elles doivent traverser.

Le personnage du « Français » Raymond Roussel passe également par Essenwald dans son énorme roulotte motorisée, en quête de la Vorrh afin d’y puiser de l’inspiration, accompagné par Charlotte, sa compagne en apparence devant la société mondaine, qui doit en réalité supporter toutes ses frasques sexuelles.

Le personnage d’Eadweard Muybridge, quant à lui, nous donne à voir un photographe de génie qui se construit grâce à ses inventions et ses techniques de prise de vue, après un grave incident de diligence et le meurtre de l’amant de sa femme. Muybridge s’avère être un personnage obsédé par la question de sa postérité, puisqu’il se demande à plusieurs reprises ce que l’Histoire retiendra de lui, ou même si ses inventions et procédés permettant de décomposer les mouvements seront reconnus par ses pairs et ses successeurs. Brian Catling plonge ainsi le lecteur dans l’intériorité d’un personnage complexe, passionné et obsédé par ses travaux et la manière dont on se souviendra de lui.

La galerie de personnages que propose le roman est ainsi variée, tant dans leurs positions sociales et géographiques que dans leurs objectifs, bien qu’ils soient tous liés à la Vorrh. En effet, certains d’entre eux, comme Ismaël et l’Archer, doivent traverser la Vorrh pour obtenir des réponses sur leur identité ou leur quête, tandis que d’autres cherchent à y puiser de l’inspiration, à l’image du « Français », alors que certains cherchent à y obtenir des pouvoirs surpuissants. On peut également noter que c’est au sein de la forêt que certains fils narratifs se croisent, mais je ne peux pas vous en dire plus sans vous spoiler.

Thématiques

Vorrh traite de la colonisation du continent africain par les colons européens, anglais notamment, et de la présence blanche en Afrique, à travers la prospérité de la ville d’Essenwald, qui tire son profit d’une forêt qu’elle tente tant bien que mal d’exploiter malgré ses pouvoirs et ses effets sur l’Humanité, mais également à travers l’exploration du passé de Tsungali et de Williams, qui montre comment les européens se sont appropriés une culture et des personnes pour finalement déposséder la tribu des « Vrais Humains ».

Cependant le récit explore également les contacts entre les cultures, à travers la relation entre le Français et Séil Kor, son guide dans la Vorrh, mais aussi dans les changements qui s’opèrent en Williams lors de son voyage dans la Vorrh et dans sa relation avec Este, à la fois sous sa forme de chamane et d’arc.

Le roman de Brian Catling traite également de la relation entre l’Homme et la Nature, et à travers elle, de son lien avec son passé et ses mythes. En effet, la Vorrh en tant que telle est un lieu naturel porteur de pouvoirs immenses, qui peuvent être la cause d’une déchéance de l’Humanité face à une Nature qu’il croit contrôler, puisque même des anges et des entités ancestrales y sont piégés et aliénés par la forêt. On peut cependant constater que la forêt est capable de transformer positivement certains individus, à l’image d’Ismaël par exemple.

Le mot de la fin

Vorrh est un roman que j’ai trouvé original et marquant.

Brian Catling situe son récit entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème, autour d’une mystérieuse forêt, la Vorrh, qui abrite des créatures surnaturelles et exerce un pouvoir qui altère la mémoire des êtres humains qui s’y aventurent. Malgré les risques de contact avec des monstres cannibales et des anges déchus, les colons européens ont fondé une ville, Essenwald, dans sa périphérie, pour exploiter son bois et prospérer.

Le roman donne à son lecteur le point de vue de multiples personnages, qui finissent tous par être confrontés aux dangers et à la puissance de cette forêt, alors qu’ils cherchent des réponses sur leur identité, à l’image du cyclope Ismaël, élevé en reclus par des automates, les Proches, ou l’Archer, ancien colon britannique devenu le compagnon d’une magicienne devenue son arc après sa mort. L’auteur met également en scène des personnages historiques, tels que l’écrivain Raymond Roussel, auteur des Impressions d’Afrique, ou le photographe et inventeur Eadweard Muybridge, dans leurs rapports avec leurs œuvres et postérités respectives, mais aussi dans la manière dont ils croisent chacun le chemin de la Vorrh, qui les marque et les transforme.

Je vous conseille vivement la lecture de ce roman !

Vous pouvez également consulter la chronique de Just A Word, Célindanaé, Gromovar, Light and Smell,

28 commentaires sur “Vorrh, de Brian Catling

  1. Tiens c’est marrant, je lisais justement ce matin une chronique du livre sur Elbakin, qui m’a du coup rendu très curieuse. Le chroniqueur/la chroniqueuse s’étonnait d’ailleurs du fait que ce tome 1 ait mis tant de temps à être traduit en VF.
    Bon en tout cas, ça a l’air très tentant et hyper original, je note, puis le sujet me plaît beaucoup. Merci pour la chronique 🙂

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  2. Petite précision qui peut être intéressante Vorrh se situe plus ou moins dans le mouvement New Weird, qui justement aime à mélanger les genre, à les fusionner et à casser les codes ainsi qu’une certaine exigence en terme d’écriture. Des trente premières pages, ça m’a l’air de bien correspondre à cette définition. Il y a pas mal de très bon livre dans cette mouvance (et certain illisible ^^).

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