Continent perdu, de Norman Spinrad

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une nouvelle d’un auteur considéré comme l’Enfant terrible de la SF.

Continent perdu, de Norman Spinrad


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions du Passager Clandestin, que je remercie pour l’envoi de la nouvelle !

Norman Spinrad est un auteur de science-fiction américain né en 1940. Il est connu pour ses romans Jack Barron et l’éternité et Rêve de fer (dont je vous parlerai forcément un jour), et est rattaché au courant de la New Wave de la science-fiction, qui traite de thématiques sociétales, notamment rattachée à la revue New Worlds d’un certain Michael Moorcock.

La nouvelle dont je vais vous parler aujourd’hui, Continent Perdu, a été originellement publiée en 1970, et a été traduite par Michel Deutsch pour l’anthologie Futur année zéro, publiée en 1975. Une nouvelle traduction par Nathalie Dudon a été publiée en 2013, augmentée d’une préface de l’auteur, dans la collection Dyschroniques des éditions du Passager Clandestin, spécialisée dans la publication de récits courts qui interrogent l’avenir politique et sociétal et s’inscrivent encore aujourd’hui dans l’actualité malgré leur ancienneté.

En voici la quatrième de couverture :

« États-Unis, XXIIe siècle. 200 ans après « La grande panique », l’Amérique n’est plus que l’ombre d’elle-même. La nation qui avait mené l’homme sur la lune est aujourd’hui un pays sous-développé livré à l’industrie touristique. Les immenses mégalopoles, qui symbolisaient autrefois la grandeur et la puissance du pays, ne sont plus que ruines livrées à une pollution mortelle. Mike Ryan, guide et pilote indigène, s’apprête à mener son groupe de touristes – des représentants de l’élite africaine – dans ce qu’il reste de New York. »

Dans mon analyse de cette nouvelle, je traiterai de la manière dont deux « je » science-fictionnels s’opposent dans des États-Unis dévastés.

L’Analyse


Balewa et Ryan, deux visions des États-Unis ?


Avant de continuer cette chronique, je vais revenir rapidement sur la notion du « je » science-fictionnel, en m’appuyant sur l’ouvrage La Science-fiction : lecture et poétique d’un genre littéraire d’Irène Langlet, dont je vous ai récemment parlé, et que je vous recommande chaudement si vous vous intéressez à la théorie de la SF.

Le « je » science-fictionnel correspond à des récits dans lesquels le narrateur est homodiégétique et constitue donc un personnage à part entière, dont le point de vue nous est donné à la première personne du singulier. Irène Langlet cite L’Enfance attribuée de David Marusek et Isolation de Greg Egan, mais on peut aussi prendre La Fontaine des âges de Nancy Kress ou Un reflet de lune d’Estelle Faye, ou Le Crépuscule de Briareus de Richard Cowper pour exemple. Dans ce type de récit, le lecteur découvre donc le monde décrit par l’auteur à travers le regard d’un personnage qui en connaît plus ou moins les rouages et apparaît plus ou moins fiable. Il est alors poussé à réévaluer sa compréhension des « novum » science-fictionnels, c’est-à-dire des motifs d’étrangeté du récit, en fonction de ce que le personnage narrateur en dit, en sait, mais aussi son rapport à ceux-ci, puisque ce personnage constitue leur seul vecteur didactique.

Continent perdu oppose deux « je », c’est-à-dire deux personnages point de vue, à savoir le professeur Belawa, spécialiste africain de l’histoire américaine, et Mike Ryan, un américain guide de visite touristique en hélicoptère des vestiges du continent américain.

En effet, la nouvelle de Norman Spinrad se situe dans un univers postapocalyptique, après la chute de la civilisation américaine et de son continent, détruits par des catastrophes qui ont mis fin à « l’âge de l’espace », c’est-à-dire la conquête de l’espace, notamment la Lune, au moyen de technologies avancées. L’auteur décrit par exemple le Dôme Fuller, qui « flotte dans les airs comme un nuage », des distributeurs automatiques capables de synthétiser de la nourriture et des boissons, et des casques de stimulation psychiques qui permettent à leur utilisateur de se noyer dans le plaisir (oui oui).

— Mesdames et messieurs, vous avez devant vous le Dôme Fuller, célèbre dans le monde entier, la plus grande structure architecturale que la race humaine ait jamais construite. Il a quinze kilomètres de diamètre. Il enveloppe le centre de l’île de Manhattan, cœur du vieux New York.

Il ne possède ni moteurs, ni source d’énergie, ni éléments mobiles. Pourtant, il flotte dans les airs comme un nuage. On le considère comme la première merveille du monde.

La chute de ces technologies a engendré une pollution énorme, au point que l’utilisation de filtres est nécessaire pour respirer (presque) sans danger. L’espérance de vie a drastiquement chuté à cause de la mauvaise qualité de l’air. La nouvelle décrit donc un environnement dévasté, marqué par le déclin civilisationnel, comme le montrent les « métroglodytes », d’anciens habitants de New York vivant reclus dans des stations de métro et ayant régressé à un stade primitif qui leur a fait oublier le langage.

La plupart des métroglodytes avaient une taille bien inférieure à un mètre cinquante et leurs épaules fortement voûtées les faisaient paraître encore plus petits.

Leurs corps rachitiques étaient émaciés sous les haillons multicolores, dépenaillés et crasseux, qu’ils portaient en guise de vêtements. J’étais profondément choqué. Je ne sais pas exactement à quoi je m’étais attendu, mais certainement pas à cette évidente aura d’humanité déchue émanant de ces pitoyables créatures et qui vous frappait au premier coup d’œil, même de loin.

Les États-Unis en déclin sont passés sous la domination du continent africain en plein essor, ce qui inverse les rapports de domination ethniques à l’œuvre dans la société occidentale. Les différentes nations africaines sont alors considérées comme une élite qui a pris le dessus sur une population américaine qui a fait preuve d’hybris et devient subalterne, ce qu’on observe aussi dans le fait que les afro-américains, renommés « amérafricains », deviennent une ethnoclasse dominante. Les américains blancs sont quant à eux altérisés, vus comme des « indigènes » et sont par conséquent vus comme des vestiges vivants d’une civilisation morte. Leur culture fait donc l’objet de visites touristiques attrayantes pour les dominants, de la même façon que l’art américain est attrayant pour les japonais dans Le Maître du haut château de Philip K. Dick.

Les deux personnages point de vue, Mike Ryan et le Professeur Balewa, permettent de montrer l’opposition entre les peuples, mais aussi une différence de perception du monde. Mike Ryan est en effet nostalgique de la domination américaine et garde une certaine rancœur raciste vis-à-vis des nouvelles populations dominantes, tandis que le professeur Belawa admire les réalisations technologiques de l’âge de l’espace. Leurs deux points de vue et la perception qu’ils ont l’un de l’autre montre leur différence, puisque l’un est issu d’une classe aisée tandis que l’autre fait partie des classes laborieuses et souffre de l’environnement pollué de son pays, mais aussi leurs points communs, puisqu’ils condamnent tous les deux l’attitude ouvertement hostile de Michael Lumumba, extrêmement vindicatif avec le guide. Norman Spinrad décrit ainsi une fracture sociale et ethnique, qui semble se résoudre grâce à l’empathie, mais je ne peux pas vous en dire plus.

Le mot de la fin


Continent perdu est une nouvelle de science-fiction de Norman Spinrad dans laquelle il met en scène des États-Unis postapocalyptiques et détruits pas la pollution engendrée par leur technologie. Le pays est alors devenu une sorte de centre touristique pour la nouvelle élite mondiale venue du continent africain, qui veut découvrir cette civilisation déchue.

À travers deux personnages, le professeur Balewa et le guide touristique Mike Ryan, l’auteur montre une inversion des dominations, mais aussi l’espoir d’une compréhension mutuelle.

Vous pouvez également consulter les chroniques de Mondes de poche, Lune

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