Les Chevaliers du Tintamarre, de Raphaël Bardas

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de Fantasy plein de gouaille et de personnages attachants.

Les Chevaliers du Tintamarre, de Raphaël Bardas

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Introduction

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Mnémos, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Raphaël Bardas est un auteur français né en 1976. Il exerce le métier de professeur documentaliste en parallèle de sa carrière d’écrivain. Il est également auteur de jeu de rôle, et a notamment travaillé sur AgoneAbyme, Rétrofutur et Guildes El Dorado avec Multisim, puis Capharnaüm, Venzia et Amnesia 2k51, au sein du studio Deadcrows, qu’il a fondé.

Les Chevaliers du Tintamarre, paru en Février 2020 dans le cadre des Pépites de l’Imaginaire chez Mnémos, est son premier roman.

En voici la quatrième de couverture :

« Avant d’être héros, chevalier ou prince, il faut savoir lever le coude !

Silas, Morue et Rossignol rêvent d’aventures et de grands faits d’armes tout en vidant chope de bière sur chope de bière à la taverne du Grand Tintamarre, qu’ils peuvent à peine se payer.

Lorsque la fantasque et très inégalitaire cité de Morguepierre, entassée sur les pentes d’un volcan, devient le théâtre d’enlèvements de jeunes orphelines et voit des marie-morganes s’échouer sur ses plages, les trois compères se retrouvent adoubés par un vieux baron défroqué et chargés de mener l’enquête. Les voilà lancés sur les traces d’un étrange spadassinge, d’un nain bossu et d’un terrible gargueulard, bien décidés à leur mettre des bâtons dans les roues… et des pains dans la tronche. »

Mon analyse du roman traitera d’abord des personnages et de la narration, puis je m’intéresserai à l’univers développé par Raphaël Bardas.

L’Analyse

Le trio du Tintamarre, gouailleur et attachant

Les Chevaliers du Tintamarre relate l’histoire d’un trio de personnages, composé de Rossignol un accordéoniste, Silas, un charcutier qui se rêve chevalier et la Morue, un lutteur célèbre. Les trois compères rêvent d’aventures et de gloire, mais ils se révèlent être des piliers de bar fréquentant assidûment la taverne du Grand Tintamarre. Raphaël Bardas établit donc un décalage entre le physique et l’attitude de ses personnages, et leurs ambitions chevaleresques. En effet, Rossignol est grand, maigre, poète, musicien et beau parleur, la Morue a un physique de lutteur et une force inouïe, mais parle très mal, tandis que Silas, s’il ressemble quelque peu à un jeune premier et se révèle un bon épéiste, voit ses ambitions freinées par le fait qu’il n’appartienne pas à la noblesse et son manque flagrant de faits d’armes. Raphaël Bardas campe extrêmement bien ses personnages et les dotes d’une gouaille monstrueuse qui les rend très attachants et drôles.

La complicité et la gouaille des personnages s’observe dans leurs interactions, ponctuées par des échanges de vannes sur leur physique ou leur manière de parler, avec des différences de langage notables, puisque la Morue ne s’exprime pas de manière correcte et mâche parfois ses mots, tandis que Rossignol utilise un vocabulaire et des tournures plutôt soutenues. Chaque membre du trio du Tintamarre est donc doté d’un idiolecte, c’est-à-dire d’une manière de parler qui lui est propre. L’auteur joue également sur l’attention que les personnages se portent au cours des dialogues, et sur les effets oratoires qu’ils cherchent à se ménager lorsqu’ils racontent leurs aventures ou quand ils prennent la parole. Raphaël Bardas fait également souvent intervenir le narrateur de son récit pour prendre une distance ironique et comique par rapport aux personnages et à ce qu’ils vivent, avec des jeux de mots et des remarques pleines de gouaille. À ce titre, la langue médiévalisante adoptée par Raphaël Bardas permet accentue l’effet comique de certains bons mots.

Les trois personnages vont cependant obtenir une occasion de s’illustrer, puisqu’à la suite d’une mésaventure plus ou moins scabreuse vécue par Silas, ils enquêtent à propos d’une sinistre affaire d’enlèvements d’orphelines par des personnages sinistres et mystérieux.

Le motif de l’enquête en Fantasy menée par des figures anti-héroïques semble assez présent dans le paysage français, comme le montrent le récemment réédité Délius, une chanson d’été de Sabrina Calvo et Le Cycle d’Alamänder d’Alexis Flamand. Cependant, là où Sabrina Calvo joue sur le surréalisme et l’absurde de l’enquête menée par Bertrand Lacejambe et son acolyte Femby, là où Alexis Flamand confronte Jonas Alamänder à un ordre du monde qui le dépasse, Raphaël Bardas dépeint une enquête marquée par le registre héroï-comique, à cause du décalage entre ce que vivent les personnages et leur manière d’enquêter et la réalité sordide des faits sur lesquels ils mènent leurs recherches. Ce décalage finit toutefois par se briser lors de certains passages clés, au cours desquels Rossignol, Silas et la Morue sont frappés par l’horreur et le désespoir, notamment lorsqu’ils se trouvent confrontés aux ravisseurs des orphelines.

Les pérégrinations des trois compères sont ainsi marquées par le registre héroï-comique, puisque personnages se révèlent de piètres enquêteurs. Leurs interrogatoires comme leurs capacités de déduction sont en effet désastreux, ce qui fait qu’ils se trouvent souvent dépassés par les événements ou les retournements de situation. Les découvertes du trio du Tintamarre relèvent alors bien souvent du hasard, du résultat de mésaventures, ou d’indices laissés par d’autres personnages que d’un véritable travail d’enquête ou d’interrogatoires menés correctement.

Le roman comprend ainsi des révélations et des retournements de situations, mais aussi des jeux de dupes et des faux semblants qui jouent sur les apparences et les fausses déductions des personnages principaux. On peut également noter qu’au cours de l’intrigue, Rossignol, Silas et la Morue deviennent effectivement les Chevaliers du Tintamarre, ce qui marque leur ascension sociale, et d’une certaine manière, la concrétisation de leurs rêves chevaleresques. Leur adoubement accentue alors le décalage entre le statut qu’ils ont acquis et leur attitude. Les personnages de Raphaël Bardas sont donc loin d’être des Elus, mais on peut observer qu’ils se rêvent héros.

Cependant, les enlèvements de jeunes orphelines, mais aussi l’apparition de cadavres de marie-morganes sur les plages de Morguepierre ancrent le récit dans une atmosphère qui se révèle parfois sombre et horrifiques. Les deux événements cachent en effet des faits sinistres pour la cité. Sans rentrer dans les détails, Les Chevaliers du Tintamarre décrit ainsi des événements sordides, à la fois parce qu’ils révèlent des complots épouvantables qui mobilisent le surnaturel, mais aussi parce qu’ils révèlent l’horreur de la nature humaine, dans la manière dont elle peut assassiner des êtres appartenant aux classes laborieuses ou les exploiter pour le compte des classes aisées.

Raphaël Bardas nous donne également le point de vue du capitaine Johan Korn (non, il n’a pas de lien avec eux), chargé de faire régner l’ordre dans les Hautes-Brumes, un quartier riche supposé paisible, mais qui voit des « marie-morganes », des créatures surnaturelles humanoïdes s’échouer sur les plages. Johan Korn enquête alors sur les apparitions des cadavres de ces créatures, qui présagent des événements sinistres pour Morguepierre. Le capitaine cherche alors à rationnaliser l’apparition des marie-morganes, et sa route va croiser celle des Chevaliers du Tintamarre, ce qui permet d’établir un lien explicite entre les marie-morganes et les enlèvements de jeunes femmes. L’intendant Fréjac, subordonné de Korn, établit également le lien entre les deux pistes narratives, à la fois par sa rencontre avec le trio du Tintamarre, mais aussi par ses connaissances extrêmement vastes sur le surnaturel qui règne dans le monde de Morguepierre. Sans rentrer dans les détails, le roman nous fait aussi suivre Alessa, un personnage féminin qui a plus d’un tour dans son sac et qui se révèle un personnage clé du récit par bien des aspects.

Morguepierre, cité de Fantasy moderne

L’architecture de Morguepierre, la ville au sein de laquelle se déroule le roman, s’avère très verticale et sa structure reflète son échelle sociale. En effet, les nobles vivent dans des quartiers flottants qui nécessitent l’emploi de machines volantes ou de planeurs pour se rendre chez eux, les riches bourgeois rendent littérale l’expression hauts-quartiers, tandis que les classes plus populaires, marquées par leur appartenance aux professions ouvrières, minières notamment, vivent dans les quartiers situés au plus bas de Morguepierre, dont les noms évoquent le bas corporel, à l’image du « Ventre », où se trouvent les galeries minières de la cité. Par sa structure même, la ville est en proie à des inégalités sociales, que l’affaire des disparitions de jeunes orphelines met en lumière de manière sous-entendue, notamment en rendant évidente l’exploitation de jeunes femmes par des bourgeois fortunés.

L’univers des Chevaliers du Tintamarre s’ancre dans la Fantasy. On y trouve des créatures surnaturelles, telles que des trolls et des gobelins, employés dans les professions telles que le notariat, les « alfes », qui sont les conservateurs des bibliothèques, des marie-morganes, qui sont des humanoïdes intelligentes aquatiques, que l’on prend pour de magnifiques sirènes, mais qui peuvent en réalité se révéler des prédatrices.

Le surnaturel magique est également présent, puisque des « détectivres » peuvent consommer de la liqueur de Murace pour augmenter leurs capacités cognitives et leur perception, au prix d’effets secondaires comme la… réduction de la taille de leur sexe (oui oui). L’auteur décrit aussi un alcool qui permet de se rappeler de bons souvenirs, mais qui peut conduire au suicide à cause de la nostalgie qu’il induit, ou du nihilisme qu’il inspire (re oui oui). Les substances magiques décrites par l’auteur disposent donc d’effets puissants, mais leurs contrecoups s’avèrent plutôt comiques.

Raphaël Bardas décrit aussi les « mâche-merveille », des chiques obtenues en distillant les fluides corporels de créatures surnaturelles (elfes, géants, sylphes, faunes, pégases, djinns, cyclopes…) que les humains peuvent chiquer pour en obtenir les capacités, avec toutefois des effets secondaires, tels qu’un impact sur la libido, ou la mégalomanie…. Le trafic de mâche-merveilles témoigne de l’exploitation de formes de vie surnaturelles par l’homme, qui cherche à en tirer profit, sur le plan financier comme physique. Les Chevaliers du Tintamarre s’ancre ainsi dans une tradition de la Fantasy qui traite de l’exploitation de la nature par l’Homme à travers l’aliénation du surnaturel pour ses propriétés. Cette tradition s’observe également dans les romans d’Adrien Tomas, à l’image de La Geste du Sixième Royaume, ou encore Le Sang du dragon d’Anthony Ryan. On peut également noter que la surconsommation de mâche-merveilles entraîne une dégradation de l’humanité, et transforme l’individu en « gargueulard », gorgé du sang des créatures surnaturelles, ce qui peut rappeler la figure du zombie. Le système de magie des Chevaliers du Tintamarre repose donc majoritairement sur des substances surnaturelles, et leurs contrecoups plus ou moins scabreux en montrent les limites.

Le roman décrit également un minerai surnaturel, « l’hallucinium », qu’il est possible d’enchanter pour voler, ce qu’on observe dans le fait que les nobles disposaient de flottes de navires volants et sous-marins, mais dont les secrets ont été perdus. La sorcellerie est également présente dans le roman, sous l’appellation « Arts sinistres », et elle est pratiquée par les ravisseurs des jeunes orphelines. Cette magie est d’ailleurs une source d’horreur pour les personnages qui l’observent, comme le montrent les scènes où les Chevaliers du Tintamarre sont confrontés au « Hurlement des Veuves ».

On peut aussi remarquer que l’univers décrit par Raphaël Bardas est postmédiéval, comme le montre la présence de tromblons et d’arquebuses. Cela témoigne de la modernité des Chevaliers du Tintamarre, puisque la présence d’armes à feu ancre le roman dans la Gunpowder Fantasy, à l’instar de L’Empire du Léopard d’Emmanuel Chastellière ou de Chevauche-Brumes de Thibaud Latil-Nicolas.

Je conclurai cette chronique par l’évocation de la divinité tutélaire de Morguepierre, Gargante le Dévoreur, surnommé l’Ogre (ce qui peut constituer une référence à Rabelais), qui est un crapaud géant qui se nourrit des déchets de la ville et qu’on suppose doté de pouvoirs de divination qui dépassent les savoirs humains. L’Ogre est révéré par un ordre de prêtres mystérieux, les moines cyclopes. Les pouvoirs qu’on lui prête et l’aspect grotesque qui lui est rattaché peuvent le rapprocher d’une divinité lovecraftienne, mais contrairement aux créatures cosmiques décrites par le Maître de Providence, l’Ogre semble être incompréhensible, non pas parce qu’il dispose d’une intelligence si grande qu’elle n’est pas perceptible par les humains, mais parce qu’il semble être un « simple » crapaud.

Le mot de la fin


Les Chevaliers du Tintamarre
est selon moi un très bon premier roman. Raphaël Bardas décrit des personnages attachants et pleins de gouaille. Rossignol, Silas et la Morue se rêvent chevaliers et finissent par le devenir, au cours d’une enquête qui les amène à se confronter à l’horreur, humaine comme magique, que recèle la cité de Morguepierre.

La ville décrite par l’auteur est originale, et se trouve marquée par des inégalités sociales rendues matérielles par la verticalité de l’architecture de Morguepierre. L’aristocratie vit ainsi dans des quartiers flottants, tandis que les classes laborieuses vivent dans les bas-fonds. Les Chevaliers du Tintamarre montre également un surnaturel qui s’appuie sur des chiques et des potions aux effets secondaires souvent drôles et surprenants, ce qui contraste avec les capacités qu’elles octroient à leurs utilisateurs !

Je vous recommande vivement la lecture de ce roman !

J’ai également interviewé l’auteur

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