Le Cauchemar d’Innsmouth, de H. P. Lovecraft

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une nouvelle de Lovecraft qui se déroule dans une ville côtière.

Le Cauchemar d’Innsmouth


Introduction


Howard Phillips Lovecraft est un auteur américain né en 1890 et mort en 1937 dans la ville de Providence, à laquelle il doit deux de ses surnoms, « Le Maître de Providence », et « Le Reclus de Providence ». Le premier fait référence à son talent qui a marqué des générations entières de lecteurs, d’auteurs, dont China Miéville (Kraken, Perdido Street Station, En quête de Jake et autres nouvelles) Fritz Leiber (Ceux des profondeurs), Kij Johnson (La Quête onirique de Vellit Boe), Robert Bloch (Étranges Éons), ou encore Franck Belknap Long (Les Chiens de Tindalos), pour ne citer qu’eux.

Le second, au fait qu’il travaillait d’arrache-pied ses textes, seul chez lui, au point que la postérité l’a parfois présentée comme asocial. Cette idée perdure encore beaucoup aujourd’hui, malgré le fait que le spécialiste et biographe de Lovecraft S. T. Joshi ait mis en évidence les voyages et l’abondante correspondance de l’auteur dans sa biographie, Je suis Providence. Ainsi, Lovecraft a énormément échangé avec d’autres auteurs de son époque, avec par exemple Robert E. Howard (le créateur de Conan et de Kull) ou Clark Ashton Smith (Zothique, Hyperborée, Averoigne).

L’œuvre de Lovecraft est immense. Elle comprend majoritairement des nouvelles plus ou moins longues. Certaines peuvent même être qualifiées de novella, voire de (courts) romans, mais aussi des poèmes, et même des essais, notamment Épouvante et surnaturel en littérature, où Lovecraft expose ses théories sur la littérature fantastique.

La nouvelle dont je vais vous parler aujourd’hui, Le Cauchemar d’Innsmouth, a été écrite en 1931 publiée pour la première fois en 1936. Elle a été traduite en français par Jacques Papy pour le recueil La Couleur tombée du ciel, publié en 1954 dans la collection Présences du futur de Denoël. Le récit est depuis disponible dans différents recueils, chez différents éditeurs, dont J’ai Lu, la collection « Bouquins » de Robert Laffont dans l’intégrale des œuvres de l’auteur. Les éditions Mnémos ont récemment réédité toute l’œuvre de Lovecraft dans une nouvelle traduction de David Camus. C’est sur cette dernière que se base ma chronique.

Puisqu’il s’agit d’une nouvelle, je vais vous en donner un rapide résumé sans (trop) spoiler. On suit un narrateur anonyme à la première personne qui décide de visiter Innsmouth, une ville côtière recluse, malgré de multiples avertissements au sujet de l’étrangeté de ses habitants, à laquelle il se trouve effectivement confronté avant de prendre la fuite. Puis, en s’intéressant à sa généalogie, il se rend compte qu’il a beaucoup en commun avec eux, ce qui le change à jamais.

Dans mon analyse du récit, je traiterai la manière dont le personnage principal se transforme au contact d’Innsmouth.


L’Analyse


Innsmouth, domaine de Ceux des profondeurs


Le Cauchemar d’Innsmouth décrit d’abord une ville dont une grande partie des habitants forment une communauté recluse. Ils ne s’aventurent jamais hors de leur ville, et personne ne cherche jamais à la visiter, ce qu’on remarque dans le fait que les transports en commun qui s’y arrêtent ne « chargent aucun client entre Newsburyport et Arkham », mis à part « deux ou trois personnes » qui viennent d’Innsmouth.

La ville n’accueille donc pas de visiteurs, et lorsque c’est le cas, ils semblent avoir fait de (très) mauvaises expériences. Par ailleurs, on remarque que la situation économique de la ville s’est considérablement dégradée en cent ans, malgré les richesses rapportées par le capitaine Marsh au XIXème siècle, puisque la ville a été supposément frappée par une épidémie. Innsmouth est donc placée sous le signe du repli et de la dégradation, voire de la décadence, qui justifient le rejet dont ses habitants sont l’objet. Ce rejet et la méfiance s’expliquent également par leurs particularités physiques, ce qui peut marquer une forme de racisme. Les caractéristiques des habitants d’Innsmouth, appelées « le masque d’Innsmouth », constituent cependant des indices sur leur ascendance, qui n’est pas forcément humaine.

[…] c’est qu’aujourd’hui les gens d’Innsmouth ils ont vraiment quelque chose de bizarre – je sais pas comment vous l’expliquer, mais ça vous fiche la chair de poule. Y a un peu de ça chez Sargent, comme vous le remarquerez si vous montez dans son autocar. Y en a même qui ont une drôle de tête, toute étroite, avec un nez camus et de gros yeux fixes qu’on dirait qu’y se ferment jamais. Et puis leur peau non plus, elle est pas normale. Toute rêche et couverture de croûtes, et puis toute plissée et ratatinée sur les côtés du cou. Et puis aussi, ils deviennent chauves très jeunes. Mais les pires à voir, c’est les vieux – mais bon, à dire vrai, je dois bien avouer que j’en ai jamais vu de vraiment très vieux. Je suppose qu’ils meurent rien que de se regarder dans la glace ! Les animaux les détestent – et ils avaient des tas d’ennuis avec les chevaux avant l’arrivée des autos.

Le « quelque chose de spécial dans le physique des habitants d’Innsmouth » se trouve développé dans une description des traits de leur visage et de leur peau, qui semblent se rapprocher du corps des créatures marines. Ces traits provoquent le malaise par leur à normalité, chez les humains, comme le déclare l’interlocuteur du personnage narrateur, mais aussi chez les « animaux ». Cela rappelle le fait que les chiens se montrent extrêmement agressifs avec Wilbur Whateley de L’Abomination de Dunwich. Leur apparence physique et le malaise qu’elle provoque questionnent alors leur véritable nature ainsi que leur appartenance à l’humanité standard. Ainsi, plus encore que les habitants de Dunwich, la population d’Innsmouth constitue une communauté perçue comme décadente et mise en dehors de la civilisation et de l’humanité, de par son isolement spatial, mais aussi en raison de ses caractéristiques physiques et génétiques, mais aussi culturelles. En effet, les habitants d’Innsmouth appartiennent au culte de « l’Ordre Ésotérique de Dagon », une divinité marine et gigantesque qui renvoie à la créature de la nouvelle du même nom, publiée par Lovecraft en 1917 et publiée en 1919.

Le lecteur découvre Innsmouth à travers le regard d’un personnage narrateur dont le point de vue nous est tranmis à la première personne de manière rétrospective. Il évoque l’histoire de son voyage à Innsmouth et son entrée en résonance avec son histoire personnelle. Le narrateur découvre ainsi ses liens avec les habitants de la ville, ce qui remet ses convictions en question. Ces découvertes donnent alors une part de véracité au discours du vieux Zadok Allen, qui prend en charge une partie du récit au discours direct pour relater l’horrible origine des habitants d’Innsmouth.  La fiabilité du narrateur est alors peu à peu remise en question, à mesure que ses croyances s’effritent et qu’une nouvelle connaissance du monde lui survient. On remarque que comme beaucoup de personnages lovecraftiens, son contact avec l’étrangeté et les horreurs cosmiques le transforment durablement.

En effet, mais sans rentrer dans les détails on trouve à Innsmouth des créatures appelées « Ceux des Profondeurs » ou « Profonds », des humanoïdes à l’apparence de poissons et batraciens, qui se sont mêlées à la population à la suite de l’expédition du capitaine Marsh. Ils représentent une forme d’altérite radicale de par leur apparence, leur langage, composé de borborygmes et de sons particulièrement gutturaux (qui a dit growl ?), leur mode de vie sous-marin, mais aussi leur ambition, qui est de conquérir le monde pour leur seigneur, un certain Cthulhu. L’incantation « Cthulhu fhtagn ! Iä ! Iä ! » revient ainsi à deux reprises au cours de la nouvelle, et la célèbre formule « Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lhel wgah-nagl fhtagn », tirée de L’Appel de Cthulhu, est égalementprononcée. Cela place Le Cauchemar d’Innsmouth au sein d’un réseau intertextuel qui comprend d’autres nouvelles d’horreur cosmique, de même que l’allusion de Zadok Allen aux « shoggoths », créatures présentes dans Les Montagnes hallucinées.

 À travers l’hybridation avec Ceux des Profondeurs, Lovecraft traite du motif de la dégénérescence généalogique, en montrant l’influence pernicieuse des Profonds sur les habitants d’Innsmouth. Il met également en scène des personnages hybrides entre des humains et des créatures cosmiques dans la nouvelle L’abomination de Dunwich, notamment à travers le personnage de Wilbur Whateley. Robert Bloch se servira plus tard de ce topos dans son roman Étranges Éons, qui déploie une série de renvois à l’œuvre de Lovecraft dont il a été l’un des (jeunes) correspondants.

La nouvelle de Lovecraft trouve également des échos dans « Les Créatures du lac » de Bob Leman, présente dans l’excellent recueil Bienvenue à Sturkeyville. Cette nouvelle met en effet en scène des créatures humanoïdes, aquatiques et meurtrières, descendantes de la famille des Feester, dont l’un des aïeuls a accosté sur une mystérieuse île dans le Pacifique, ce qui l’a supposément maudite. La thématique de l’hérédité maudite s’avère très présente dans le recueil de Bob Leman, dans les nouvelles « Odila » et « La Saison du ver », par exemple.  

Le Cauchemar d’Innsmouth s’inscrit donc dans un réseau intertextuel interne à l’œuvre de Lovecraft, mais aussi externe, puisque comme beaucoup de récits du Maître de Providence, elle a inspiré les générations suivantes d’auteurs.

Le mot de la fin


Le Cauchemar d’Innsmouth est une nouvelle de H. P. Lovecraft prise en charge par un narrateur à la première personne qui évoque son voyage dans la ville d’Innsmouth. Il y découvre des créatures humanoïdes, les Profonds, qui se sont mêlées aux habitants, et découvre la vérité sur son ascendance.

L’auteur décrit une communauté recluse et traite du thème de l’hérédité maudite et dégénérée, à travers le regard d’un personnage qui découvre peu à peu sa véritable nature.

Si vous aimez la plume de Lovecraft ou si vous souhaitez découvrir son œuvre, je vous recommande vivement cette nouvelle !

Laisser un commentaire