Résolution, de Li-Cam

Salutations, lecteur. Plus tôt dans l’année, je t’ai parlé du recueil Cyberland de Li-Cam, que j’avais interviewée. Aujourd’hui, je vais te présenter son dernier récit publié, à savoir

Résolution

 

Introduction

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions La Volte, que je remercie chaleureusement pour l’envoi de cette novella !

Li-Cam est une autrice française de science-fiction, de fantasy et de fantastique née en 1970. En parallèle de sa carrière d’écrivaine, elle est coach en créativité et directrice littéraire de la collection « Petite Bulle d’Univers » chez Organic Éditions, qui allie texte et arts visuels.

Elle a notamment écrit la trilogie d’urban fantasy Chronique des stryges, et participé à l’anthologie Demain le travail, publiée chez La Volte, imaginant l’avenir du travail à travers des nouvelles de SF.

La novella Résolution, dont je vais vous parler aujourd’hui, est parue en septembre de cette année dans la collection Eutopia de La Volte, un an après Un souvenir de Loti de Philippe Curval. Pour rappel, la collection Eutopia est constituée « de novellas qui s’inscrivent dans un contexte de société idéale ou qui la mettent en scène », selon l’éditeur, afin de montrer que la SF peut décrire des sociétés idéales, dans un contexte où elle tend à devenir assez pessimiste parfois.

Voici la quatrième de couverture du récit :

« Avant l’effondrement, il y avait la haine, l’égoïsme et la quête effrénée du profit. Les rivalités ont fait surgir des Intelligences Artificielles militaires capables d’attiser les discordes et de submerger le monde sous des avalanches de rumeurs et defake news. C’est durant ce cataclysme que Wen rédige Le Monde selon Wen, un blog prophétique, exutoire à ses angoisses, qui attire l’attention d’une équipe de chercheurs.

Personnalité complexe, socialement inadaptée quoique capable de modéliser les interactions humaines, Wen participe à la fondation d’une société, l’Adelphie, sur une île au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. Avec, au cœur de cette harmonie, une IA nommée Sun dont la bienveillance rayonne sur les trois cents Adelphiens.

Passionnée de psychologie comportementale, Li-Cam imbrique handicaps relationnels et sympathie 2.0 dans un tandem original, à la source de cette utopie. »

Mon analyse de la novella traitera de la manière dont l’autrice met en scène un projet de société idéale portée par son personnage narrateur.

 

L’Analyse

 

Wen et l’Adelphie

 

Tout en décrivant l’Adelphie, Li-Cam traite aussi de l’époque dans laquelle sa société utopique se situe, celle de « l’effondrement ». Ainsi, Résolution se déroule dans un futur où les fake news en tout genre et la propagande dans les médias et les réseaux sociaux ont fini par engendrer des guerres, parce qu’elles ont modifié la manière de penser des personnes et ont renforcés à l’oppression des minorités, telles que les immigrés ou les personnes LGBT, ou celle des personnes moins favorisées socialement. L’autrice montre également que le libéralisme s’est couplé aux machines, qui se sont immiscées dans la vie humaine pour la rentabiliser et broyer les vies humaines dans les réseaux sociaux, la revente de données personnelles et la publicité.

Internet est aussi devenu un véritable champ de bataille, où la frontière entre l’humain et la machine est devenue floue à cause de bots qui tiennent des discours haineux en tous genres et attisent ainsi les conflits.

Le monde décrit par l’autrice est ainsi en proie aux émeutes et à la violence, autant physiques que virtuelles qui contrastent fortement avec l’Adelphie. La narration de Résolution oppose donc complètement un ancien monde en proie aux chaos, et la société imaginée par Wen.

Wen se trouve d’ailleurs être le personnage narrateur de la novella, et constitue selon moi l’énorme point fort du récit.

Elle assure en effet la narration à la première personne, ce qui permet de montrer sa sensibilité très particulière. Ainsi, elle déteste l’humanité pour ce qu’elle fait subir à son monde et à sa propre espèce, mais dans le même temps, elle semble l’aimer d’un amour fou et voudrait pouvoir la changer pour faire évoluer la société.

Cette volonté de changement social transparaît à travers son blog, Le monde selon Wen, dont l’autrice donne des extraits, qui lui sert d’exutoire et dans lequel elle décrit le monde, et la vision du monde telle qu’elle le conçoit. Li-Cam en donne des extraits, qui prennent la forme de citations et d’un journal tenu par son personnage, qui montrent au lecteur son ressenti sur le monde dans lequel elle vit, ou plutôt, dans lequel elle « processe la vie sans la vivre ».

Grâce à son blog, Wen est contactée par des chercheurs lui demandent de répondre à leurs questions, et d’analyser des œuvres pour déterminer ce dont elle est capable, et surtout, de quelle manière elle perçoit et appréhende le monde et les interactions sociales.

On observe alors que Wen dispose de sensibilités très particulières, en proie à des hallucinations et des visions. Elle est également capable de modéliser les interactions sociales, grâce à ses dons et sa formation extrêmement solide en psychologie comportementale (elle est thésarde), ce qui lui permet de comprendre l’humanité, malgré son incapacité sociale qu’on observe grâce à la narration et à son journal, puisqu’elle a très souvent besoin de solitude, parce qu’elle est extrêmement sensible au bruit.

Li-Cam prend donc le parti de mettre en scène un personnage qui doit coordonner une société alors qu’elle a beaucoup de difficultés à y vivre, ce que montre encore une fois le point de vue interne, qui nous montre le ressenti de Wen sur tout ce qu’elle voit, entend et sent.

Ainsi, Wen doit se connecter et être synchronisée métaphoriquement aux instants qu’elle vit pour interagir avec les gens, parce qu’elle est détachée et toujours absorbée dans ses pensées, ce qui fait que son attention se relâche, ce qui fait qu’elle dit qu’elle « processe la vie sans la vivre ». En cela, elle s’avère en apparence assez proche de l’idée que l’on peut se faire d’une machine, mais elle s’en éloigne par la manière dont elle ressent le monde, ce que montre son point de vue.

La narration est ainsi marquée à la fois par la sensibilité et le détachement de Wen qui donnent à la novella une voix très particulière.

La novella de Li-Cam est aussi à la fois racontée au passé, pour nous présenter le passé de Wen, et au présent, pour parler de l’expérience qu’elle vit, avec également des fragments du Monde selon Wen, qui retracent son ressenti par rapport à l’expérience de l’Adelphie, et des entretiens de certains adelphes avec Sun, qui permettent de développer les personnages secondaires du récit en présentant leurs problèmes et leurs défauts, mais aussi les capacités d’analyse relationnelle de l’IA. Résolution est donc le récit de la construction d’une société, mais aussi celui de la construction et de l’épanouissement d’une personne, Wen.

Pour pallier à son inadaptation sociale, Wen est entourée de personnages qui l’aident à mieux vivre, à commencer par Laura, une psychothérapeuthe qui lui sert d’auxiliaire avec le reste du monde. Laura est donc très proche de Wen et s’avère être la personne qui comprend le mieux sa manière d’appréhender le monde. Les échanges entre les deux personnages sont toujours bienveillants et touchants, comme en témoigne le fait que Laura appelle Wen « ma licorne », qui témoigne à la fois de l’affection qu’elle a pour sa protégée, mais aussi de ses particularités.

On a ensuite Sun, une IA bienveillante, dont l’attitude et la fonction contraste avec les bots haineux de qui ont mené à « l’effondrement », puisqu’elle agit en psychologue pour les adelphes et cherche à résoudre leurs problèmes respectifs en s’entretenant avec eux, ce qu’on peut voir dans les transcriptions d’entretiens qui entrecoupent la narration. On peut également noter que Sun a été codée et construite à partir des recherches en psychologie de Wen et de son blog. Wen a même éduqué l’IA en lui parlant quotidiennement, ce qu’on observe dans des flashbacks sur la naissance et l’éveil de Sun.

D’autres personnages de l’Adelphie interagissent avec Wen, à l’instar de Ben, un ingénieur bourru, ou Kay, un ancien troll qui cherche à se reconstruire hors du milieu toxique des réseaux sociaux.

Wen et Sun constitue les piliers de l’expérience utopique de l’Adelphie, qui se situe sur une île située près de Saint Pierre et Miquelon. L’Adelphie dispose de technologies écologiques et avancées, avec le Smalt par exemple, qui est une gigantesque plateforme en rotation qui dispose de biopiles, de panneaux photovoltaïques, mais aussi des lieux de vie privés, les « box », et communs, tels que le forum.

Comme dit précédemment, l’Adelphie vient des idées de Wen, qui apparaît alors comme une sorte de messie qui peut sauver l’humanité, ou au moins une partie d’entre elle, en imaginant le futur et en dressant de nouvelles formes sociales qui ne discriminent personne. À ce titre, on remarque que les noms « Adelphie » et « adelphes » n’ont pas été choisis par hasard par Li-Cam, puisque ce sont des mots neutres, équivalents à « sœur » ou « frère », qui ne supposent donc pas le genre de la personne à laquelle on s’adresse, ce qui témoigne de la volonté égalitaire de Wen.

Cette dernière s’attache aussi lui donnant un socle culturel, une Histoire et des choses en lesquelles croire, ce qui l’amène à construire des récits et des spectacles qui visent à instruire, divertir et unir les adelphes, ce qu’on observer avec le récit des « aventures du vieillard de la mer », qui les amène à danser par exemple. Les descriptions de la vie de cette communauté sont porteuses de beaucoup d’optimisme et d’espoir pour l’avenir, même lorsque les conditions deviennent plus difficiles, à cause de restrictions en énergie par exemple.

Li-Cam fait également référence à des classiques de la littérature, tels Rabelais et son Abbaye de Thélème, qui relate la mise en place d’une utopie, mais aussi Victor Hugo, Shakespeare ou le Glissement de temps sur Mars de Philip K. Dick. Les références à ces textes permettent de témoigner de l’ancrage de Résolution dans le genre de l’utopie, ou des manières différentes de percevoir le monde, puisque le personnage principal de Glissement de temps sur Mars, Manfred Steiner, partage de nombreux points communs avec Wen, le fait de ne pas avoir l’impression de vivre réellement par exemple.

 

Le mot de la fin

 

Résolution est une novella pleine de sensibilité et d’optimisme que j’ai aimé découvrir.

Li-Cam dépeint une société utopique, l’Adelphie imaginée par un personnage narrateur inadapté socialement, mais qui dispose de grandes capacités intellectuelles, Wen, qui vit très mal « l’effondrement » de la société telle qu’on la connaît, dans un futur où les réseaux sociaux, de la même manière que les environnements urbains, sont devenus de véritables champs de bataille.

Le récit est narré de son point de vue, ce qui permet à l’autrice de détailler la manière dont Wen perçoit le monde et les interactions humaines, et comment celles-ci peuvent changer pour donner une société idéale, aidée par une IA, Sun, et portée sur la coopération, l’entraide et plus sur les rapports de domination.

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