Foundryside, de Robert Jackson Bennett

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler du roman faisant partie de mon corpus de mémoire que je ne t’ai pas encore présenté, marqué par une modernité et un système de magie très avancés, j’ai nommé

 

Foundryside, de Robert Jackson Bennett

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Introduction

 

Robert Jackson Bennett est un auteur américain né en 1984 aux États-Unis. Ses romans couvrent des genres très divers, avec la SF, l’horreur, le policier, le fantastique, ou encore la fantasy dans le cas de Foundryside.

En France, le roman American Elsewhere a été traduit par Laurent Philibert-Caillat pour les éditions Albin Michel Imaginaire, dont il a fait partie des titres de lancement, en compagnie de Mage de bataille de Peter Flannery et Anatèm de Neal Stephenson en septembre 2018.

Foundryside, quant à lui, sera également traduit par Laurent Philibert-Caillat pour les éditions Albin Michel Imaginaire, et est actuellement disponible en VO aux éditions Crown. Il constitue le premier volume d’une trilogie, appelée Founders trilogy.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Sancia Grado is a thief, and a damn good one. And her latest target, a heavily guarded warehouse on Tevanne’s docks, is nothing her unique abilities can’t handle.But unbeknownst to her, Sancia’s been sent to steal an artifact of unimaginable power, an object that could revolutionize the magical technology known as scriving. The Merchant Houses who control this magic–the art of using coded commands to imbue everyday objects with sentience–have already used it to transform Tevanne into a vast, remorseless capitalist machine. But if they can unlock the artifact’s secrets, they will rewrite the world itself to suit their aims.Now someone in those Houses wants Sancia dead, and the artifact for themselves. And in the city of Tevanne, there’s nobody with the power to stop them.To have a chance at surviving—and at stopping the deadly transformation that’s under way—Sancia will have to marshal unlikely allies, learn to harness the artifact’s power for herself, and undergo her own transformation, one that will turn her into something she could never have imagined. »

Mon analyse du roman traitera de l’univers et de sa question générique, marquée par la technologie et les rapports de force mis en scène par l’auteur, puis je vous parlerai de la narration et des personnages.

 

L’Analyse

 

Technomagie, parenté avec le cyberpunk

 

Foundryside se déroule dans la cité de Tevanne, qui se trouve aux mains de quatre maisons marchandes, Michiel, Dandolo, Morsini et Candiano. Ces corporations hautement capitalistes se sont appropriées la ville et son espace, qu’elles ont découpées en secteurs privés, appelés « campos », séparées des « communs », des quartiers défavorisés au sein desquels le crime et l’insalubrité règnent, en l’absence de police et de loi globale qui pourrait concerner toute la ville, puisque les maisons marchandes régissent leurs campos, c’est-à-dire leur secteur privé, sans se soucier des affaires publiques.

On observe ainsi d’énormes inégalités entre les communs et les campos des quatre maisons à l’intérieur de Tevanne, puisque les riches se trouvent dans les campos, tandis que les plus démunis se trouvent dans les communs, qui ne disposent même pas d’eau potable et préfèrent boire du vin tant l’eau est toxique. Cette prise de pouvoir des corporations sur un pouvoir étatique qui renforce les inégalités sociales peut rapprocher le roman du cyberpunk (Apophis le signale également), un sous-genre de la SF dont les récits dépeignent une faillite des états face aux grandes entreprises, mais dans des mondes situés dans un futur proche, et non des mondes alternatifs de Fantasy. Cette proximité avec le cyberpunk en termes thématiques confère une grande part d’originalité au roman de Robert Jackson Bennett.

Chaque maison marchande possède ses particularités, la maison Candiano a été la plus puissante de Tevanne, mais son leader est devenu supposément fou, tandis que les Dandolo sont dirigés par une femme, ce qui est très rare dans le milieu sexiste des maisons marchandes, qui considèrent les femmes comme des objets à marier, qui travaille sans cesse d’arrache-pied pour que sa maison devienne la plus puissante de Tevanne.

Les dirigeants des différentes maisons et leurs enfants sont toutefois globalement extrêmement oisifs, parce qu’ils ne travaillent pas pour la plupart, et se complaisent dans le grand luxe, associé à une forme de stupre assez indécent, surtout lorsqu’on observe les conditions de vie des classes populaires vivant dans les communs, puisqu’on voit que  le chef de la maison Morsini est constamment ivre, mange énormément et est extrêmement libidineux, tandis que celui des Michiel peint et couche avec de jeunes garçons, par exemple. Les maisons marchandes sont ainsi dépeintes comme des corporations libres d’agir comme elles le veulent, puisqu’il n’existe aucune police pour les condamner ou réguler leur politique, par oppositions aux communs, qui ont besoin d’une autorité publique pour améliorer leurs conditions de vie et réduire la criminalité qui y règne et force ses habitants à vivre d’expédients.

Robert Jackson Bennett décrit dans son roman une sorte de technomagie, qui mêle surnaturel et parralèle avec la programmation. En effet, les objets peuvent être c’est-à-dire comporter des « scrivings », c’est-à-dire des glyphes ou des sceaux, qui fonctionnent comme des instructions de programmation, qui fonctionnent grâce à des suites logiques et des injonctions qui modifient leur comportement. Par exemple, une charrette peut rouler toute seule grâce à des scrivings qui persuadent ses roues qu’elles se trouvent dans une descente (oui oui), du bois peut être rendu résistant comme de la pierre s’il est convaincu d’être aussi dur que la roche, des serrures peuvent être rendues inviolables car elles ne peuvent être ouverte que par une clé… Les scrivings les plus avancés permettent même d’enregistrer du son ou même de voler. Les objets sont ainsi littéralement sommés de percevoir d’une autre manière la réalité.

La magie se mêle ici à la technologie, puisque le procédé ressemble fortement à de la programmation par des ingénieurs, et donc à de la science, et se trouve appliqué de manière industrielle dans des usines, mais il est considéré comme une forme de magie par les personnages, et l’auteur entretient une sorte de flou sur sa véritable nature. S’agit-il de « vraie magie » ou de science suffisamment avancée pour être perçue comme de la magie, pour reprendre la troisième loi d’Arthur C. Clarke. On peut d’ailleurs noter que le parallèle entre la programmation et la magie se retrouve aussi au sein du Cycle d’Alamänder d’Alexis Flamand, que je vous recommande vivement.

Le parallèle entre les scrivings et la programmation se poursuit dans le fait que les objets porteurs de sceaux peuvent toutefois être détournés et donc d’une certaine manière hackés, puisqu’il suffit de retourner leur logique de programmation contre eux lorsqu’on est capable de leur parler, comme le fait Clef, l’un des personnages du récit sur lequel je reviendrai. Le roman comporte beaucoup de prosopopées, qui explorent la manière dont les objets peuvent s’exprimer grâce à la technologie des “scrivings”, qui altère complètement leurs perceptions et les aliène, d’une certaine manière.

La technologie des scrivings se trouve également dans le domaine militaire, avec des armes extrêmement puissantes, capables d’amplifier la gravité, qui s’enflamment, ou visent les points faibles des ennemis automatiquement. Les plus impressionnantes de ces armes sont sans doute les « shriekers », qui sont des projectiles explosifs qui croient qu’ils tombent de plusieurs milliers de kilomètres et explosent à cause de la friction de l’air et peuvent ainsi causer d’énormes dégâts.

Les scrivings sont alimentés par des lexiques, qui sont des machines qui permettent de faire fonctionner les appareils dotés de sceaux, parce que ce sont d’énormes banques de données de définitions et d’instructions complexes, ce qui correspond à des librairies de développement en programmation, mais chargées de modifier la réalité grâce à des entorses à la logique et aux lois physiques (oui oui), ce qui fait que s’ils surchargent, ils peuvent causer d’énormes dégâts.

La magie des scrivings est ainsi assimilable à une technologie très avancée pour un monde de Fantasy.

On observe cependant une différente entre les scrivings utilisés par les maisons marchandes de Tevanne, qui sont assimilés à un langage de niveau humain, et ceux de la civilisation Occidentaux, aussi appelés Hiérophantes, qui sont d’un niveau divin, car capables d’altérer la réalité même, parce qu’ils sont vraisemblablement un code utilisé par Dieu pour créer la réalité. Les fonderies de Tevanne créent ainsi des scrivings qui modifient seulement les propriétés des objets auxquels ils s’appliquent, tandis que les Hiérophantes pouvaient altérer la réalité et créer des dieux, c’est-à-dire des entités artificielles (qui a dit IA ?), ce qui rend leur civilisation extrêmement avancée sur le plan magique comme technologique.

En effet, les Hiérophantes disposaient d’une technologie extrêmement avancée, capables de déplacer des montagnes ou de creuser des océans. Tevanne est ainsi avancée technologiquement parce que les maisons marchandes ont récupéré des fragments des scrivings de niveau humain qu’employaient les Hiérophantes, ce qui fait que l’avancée technologique de Tevanne repose sur les ruines d’une civilisation bien plus avancée mais disparue.

Avec ce système de magie qui se rapproche de la programmation, l’omniprésence et la domination des maisons marchandes sur la politique de Tevanne, ses personnages plus ou moins marginaux et sa tonalité sombre, on peut tout à fait rapprocher Foundryside d’un récit cyberpunk, puisqu’il semble en reprendre certaines des caractéristiques pour les transposer dans un récit et un monde de Fantasy. Cela confère une part d’originalité au roman, en plus de l’ancrer dans la modernité du genre.

 

Narration et personnages

 

Le lecteur suit Sancia, une voleuse engagée pour récupérer un objet extrêmement important dans un coffre-fort de l’une des maisons marchandes. Sancia apparaît comme une cambrioleuse incroyablement douée, parce qu’elle est capable de littéralement faire parler des objets pour en trouver les défauts grâce à une plaque comportant des scrivings insérée dans son crâne.

L’objet qu’elle récupère s’avère une clé consciente, appelée… Clé, dont les prises de paroles sont transcrites à la manière d’un chat textuel, et qui est en fait un artefact dont les scrivings sont extrêmement avancés parce qu’issus des Hiérophantes, au point qu’elle est capable d’ouvrir tous les types de serrures, même celles qui sont porteuses de sceaux, en les hackant grâce à un contournement de leur logique, au cours de dialogues drôles, où l’on apprend qu’une porte qui ne comprend pas qu’elle s’ouvre ne s’ouvre pas vraiment de son propre point de vue, par exemple. Cependant, mais sans rentrer dans les détails, le contact prolongé de Sancia avec Clé la transforme irrémédiablement, puisqu’elle va, d’une certaine manière, se mécaniser, tandis que Clé va gagner en humanité. Clé constitue d’ailleurs un personnage à part entière du récit et aide Sancia à se construire.

Sancia est d’ailleurs un personnage intéressant à bien des égards. En effet, elle est rongée par son don pour percevoir les objets, puisqu’être en contact avec eux lui transfère leurs sensations, ce qui la rend malade et hypersensible physiquement. Elle déteste ainsi changer de vêtements à cause de son hypersensibilité, ou manger de la viande parce qu’elle ressent toutes les souffrances que l’animal a endurées avant de mourir.

Elle tire donc profit de ses capacités, mais en souffre terriblement, au point que manger constitue l’une des pires horreurs pour elle (imaginez que vous ressentez le goût de la terre dans laquelle un légume a poussé à chaque fois que vous en mangez et vous comprendrez) de même que les contacts humains, qu’elle déteste.

Sancia apparaît aussi comme une sorte de cyborg, de transhumaine magique, puisqu’on lui a logé une plaque avec des scrivings de force dans le crâne, ce qui lui a donné ses capacités d’empathie vis-à-vis des objets. À ce titre, sa condition d’humaine porteuse de scrivings la rend sensible aux objets ayant un impact sur le comportement des glyphes, et peut donc être complètement dépossédée de ses moyens par les personnages qui en possèdent, ce qui donne lieu à des scènes dramatiques lors desquelles elle n’est plus en pleine possession de ses moyens parce qu’on cherche à la contrôler par le biais des scrivings dans son crâne. Elle est donc une plus qu’humaine, parce qu’elle dispose de capacités surnaturelles, mais ses pouvoirs la dépossèdent d’une certaine manière de son humanité. Cet aspect du personnage de Sancia marque le paradoxe des scrivings, qui confèrent de nouvelles capacités aux objets, mais qui déshumaniserait (et déshumanise) totalement les humains si on leur en implantait.

Foundryside présente également d’autres personnages points de vue, tels que Gregor Dandolo, qui souhaite créer une police publique et se trouve en disgrâce à cause de l’incendie causé par Sancia lors du vol de Clé. C’est un idéaliste qui cherche à améliorer les conditions de vie des habitants de Tevanne, alors qu’il est le fils de la fondatrice de la maison Dandolo, et qu’il pourrait donc vivre comme un prince. C’est aussi un ancien militaire qui a connu les horreurs de la guerre, qui l’ont traumatisé. Il cherche alors à amener la paix et la justice, en lesquelles il croit, malgré le fait qu’il vive dans une ville rongée par la corruption et l’ambition des puissants.  On suit également Orso Ignacio, un savant fou obsédé par les scrivings et l’idée de monter sa propre maison marchande, et Bérénice, son assistante ingénieure, dont Sancia va tomber amoureuse.

Suite à des péripéties et dans des circonstances que je ne dévoilerai pas, Orso, Gregor, Bérénice et Sancia sont amenés à collaborer pour savoir quelles personnes convoitent Clé et pourquoi elles cherchent à s’emparer de lui.

L’ambiance du récit s’avère très sombre, avec des affrontements et des scènes plutôt gore, des complots politiques, et des questionnements sur la manière dont on peut altérer l’être humain par la technologie et le rendre plus puissant ou plus servile par ce biais, et questionner le progrès scientifique, mais aussi le rapport de l’Homme au divin, puisque la présence d’artefacts des Hiérophantes et les recherches à leur sujet traduit une volonté de certains personnages de devenir rien de moins que l’équivalent de dieux.

Malgré cette ambiance sombre, une certaine gouaille se dégage du récit, qu’on observe dans le vocabulaire et le parler fleuri de Sancia et de ceux qu’elle croise. Les dialogues sont ainsi remplis de jurons et de répliques mordantes, qui montrent que même une clé peut avoir de l’humour et ressentir de l’empathie !

 

Le mot de la fin

 

Foundryside est un roman de Fantasy marqué par sa proximité avec le Cyberpunk.

Robert Jackson Bennett décrit une ville, Tevanne, au sein de laquelle des maisons marchandes règnent sans partage dans les secteurs qu’ils ont privatisés, appelés campos, tandis que le reste de l’espace urbain est sujet à la criminalité et l’insalubrité, en l’absence de loi générale et de police pour améliorer les conditions de vie de ces quartiers.

Le roman se distingue par son système de magie, qui se rapproche de la programmation informatique, puisqu’il consiste à graver des « scrivings », c’est-à-dire des glyphes dotés de suites logiques dans des objets pour modifier leur comportement. Ainsi, des charrettes peuvent rouler automatiquement parce que leurs roues sont persuadées d’être dans une descente, par exemple.

Ce système de magie confère une grande originalité à Foundryside.

L’auteur aborde également, à travers le personnage de Sancia, une cambrioleuse à qui on a implanté de force une plaque porteuse de scrivings dans le crâne, la manière dont la technologie peut être employée pour à la fois améliorer l’être humain et l’asservir, ou au contraire, comme le montrent certains personnages, pour lui faire accéder au statut de divinité.

L’intrigue est ainsi centrée sur le vol de Clé, un artefact conscient et extrêmement puissant, par Sancia, qui se retrouve poursuivie par des individus souhaitant se servir de lui pour devenir des dieux, dans une ambiance sombre.

Je ne peux que vous conseiller ce roman !

Vous pouvez également consulter les chroniques d’Apophis, Lianne, FeydRautha, Gromovar, Yogo, Lorkhan, Lutin, Aelinel, Celindanaé, Sometimes a Book, Symphonie

 

34 commentaires sur “Foundryside, de Robert Jackson Bennett

  1. (merci pour le lien)

    Excellente critique ! Le fait que la Fantasy récente s’inspire de plus en plus de la SF est devenu flagrant, à mon sens. Entre les nombreuses Fantasy post-apocalyptiques, la Cyberpunk-Fantasy ou celle impliquant des voyages dans le temps, sans parler de la Fantasy à vaisseaux spatiaux propulsés par la magie, les deux genres n’ont sans doute jamais été aussi proches. On avait coutume de dire, dans le sillage de Pratchett, que la SF serait de la Fantasy avec des boulons, mais ces derniers temps, c’est plutôt la Fantasy qui serait devenue de la SF avec des épées.

    Sinon, vivement le tome 2 fin avril en VO 😉

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