Loterie Solaire, Philip K. Dick

J’imagine que tu connais Philip K. Dick, lecteur. Mais as-tu connaissance de toute son œuvre ? Aujourd’hui, dans Exhumation, je vais te parler de l’un de ses premiers romans.

Loterie Solaire, de Philip K. Dick

9782290033548

Introduction

 

Cette introduction se veut synthétique et absolument pas exhaustive. Si vous considérez que certains détails importants sur l’auteur manquent, je vous invite à m’en faire part dans les commentaires.

Philip K. Dick est un auteur de science-fiction américain né en 1928 et mort en 1982. Il est l’auteur d’une œuvre titanesque, avec une cinquantaine de romans et plus d’une centaine de nouvelles. Son œuvre aborde souvent des thèmes comme le réel (Que peut-on considérer comme réel ? Que peut-on considérer comme irréel ?) ou l’humanité (Qu’est-ce qu’un être humain et qui ce qui définit un être humain ?). Ces thématiques se retrouvent dans des œuvres comme Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, par exemple, qui a plus tard été adapté au cinéma par Ridley Scott sous le titre Blade Runner. Philip K. Dick a également eu une influence sur des sous-genres comme le cyberpunk (William Gibson, l’auteur de Neuromancien a confié qu’il avait été inspiré par Blade Runner), de par les sociétés futures qu’il dépeint et l’esthétique qu’il leur donne, dans Blade Runner, mais pas seulement. À noter que l’auteur connaissait, et était « l’aimable mentor », selon Le Guide Steampunk d’Étienne Barillier et Arthur Morgan, des trois précurseurs (ou ses créateurs) du steampunk, K. W. Jeter (qui est par ailleurs également un précurseur du cyberpunk, avec son roman Dr. Adder), Tim Powers et James Blaylock.

Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui, Loterie Solaire, est le premier roman publié de Philip K. Dick, alors âgé de 26 ans (à cette époque, il est déjà l’auteur de plusieurs dizaines de nouvelles). Il date de 1955, et a été traduit pour la première fois en français en 1968 dans la collection Galaxies Bis des éditions OPTA, puis a été réédité chez J’ai Lu par la suite.

Voici la quatrième de couverture du roman, à laquelle je vais rajouter quelques détails :

« Au XXIIIe siècle, le pouvoir change de mains au gré des oscillations de la « bouteille », une grande loterie qui peut, du jour au lendemain, faire de tout un chacun le nouveau dirigeant de la Terre, le meneur de jeu. C’est ainsi que Leon Cartwright, simple électronicien, accède aux plus hautes fonctions, destituant sans préavis son prédécesseur, Reese Verrick. Ce dernier n’a cependant pas l’intention de laisser le hasard décider pour lui et se lance à la reconquête du pouvoir suprême, quitte, pour cela, à influencer la chance. Après tout, qui a dit qu’on ne pouvait pas tricher ? »

Dans le futur dépeint par l’auteur, le hasard dû au système du « Minimax » peut permettre à n’importe quel habitant du système solaire de devenir le « Meneur de jeu », c’est-à-dire le maître du monde. Cependant, le Minimax désigne également un assassin qui a pour but de tuer le Meneur de Jeu afin de contester son pouvoir, faisant de l’assassinat une sorte de sport international, et même interplanétaire (j’y reviendrai pendant mon analyse). Léon Cartwright va donc devoir tout faire pour survivre en tant que Meneur de Jeu aidé par des gardes du corps télépathes, tandis que Reese Verrick va tenter de lui ravir son poste.

Mon analyse portera sur les différentes visions du monde qui s’opposent dans le roman, et sur l’intensité du récit. Cette chronique sera assez courte, mais le roman lui-même est court, et je ne peux par conséquent pas vous parler de tout (ce serait gâcher votre plaisir de lecture).

L’Analyse

 

Des visions du monde qui s’opposent

 

Dans l’univers de Loterie Solaire, le dirigeant du système solaire est désigné par « les sautes de la bouteille », selon le principe du Minimax, qui est un théorème de John Von Neumann, un grand mathématicien du 20ème siècle, ce qui fait que n’importe qui peut devenir le maître du monde par hasard. Ce système apparaît donc comme un excellent moyen de lutter contre la corruption politique, puisque les dirigeants sont choisis selon un système complètement mécanique et relevant du hasard. Quant au système de la « Convention », qui désigne un assassin pour éliminer le « Maître du jeu » légalement, il permet d’éviter les dirigeants incompétents. Cependant, on se rend vite compte que le système n’est pas aussi aléatoire qu’il le prétend, de par les agissements de Reese Verrick, mais aussi ceux de Léon Cartwright, qui intriguent l’un contre l’autre et qui trichent, chacun d’une manière différente. Les agissements de ces deux personnages permettent à l’auteur de montrer que même dans un système régi par le hasard et les mathématiques, il est toujours possible de tricher pour obtenir le pouvoir.

Les personnages de Benteley (l’un des personnages dont on possède le point de vue, qui quitte son emploi afin de travailler pour le Meneur de Jeu Verrick et qui se retrouve à son service alors que Verrick a cédé sa place à Cartwright) et de Cartwright se placent tous les deux en opposition au monde régi par le système du Minimax, mais chacun pour des raisons différentes. En effet, Cartwright considère que tout le monde n’a pas les mêmes chances au « jeu de la bouteille », à cause du système de « classification » des individus (les individus sont assimilés à une classe selon leur niveau de compétence professionnelle, et ceux qui n’en possèdent pas ou peu sont au bas de l’échelle et marginalisés), la hiérarchie sociale qui rappelle par beaucoup d’aspects le servage au Moyen-âge (le mot « serf » est même clairement employé dans le texte), qui fait qu’un employeur a littéralement un droit de vie et de mort sur ses employés. Benteley, lui, considère que la société est bien trop corrompue (conflits d’intérêts, intrigues politiques…), et constate que cette corruption est présente partout, même au sein du « Directoire », la faction commandée par le « Meneur de Jeu ». Ces deux personnages cherchent donc à s’opposer à s’opposer à un système rigide et complexe, que l’auteur nous dépeint à travers leur point de vue, qui se veut sans concession et souvent assez acide.

À noter que Herb Moore, le scientifique allié de Reese Verrick, triche également avec le système imposé par le Minimax en créant Keith Pellig, un assassin commandé par des « opérateurs » externes. Cela peut rappeler « Jupiter et les centaures » de Poul Anderson, texte qui date de la même époque que Loterie Solaire (1955 pour l’un, 1957 pour l’autre). Le texte d’Anderson met en effet en scène des centaures créées artificiellement et pilotés par des « opérateurs » qui doivent découvrir Jupiter.

Un récit court mais intense

 

Le récit est assez court (256 pages en format poche), mais l’action et les révélations s’enchaînent rapidement dans la deuxième moitié du récit, ce qui tient vraiment le lecteur en haleine qui observe les personnages essayer d’avoir le dessus en essayant d’anticiper les actions de ses adversaires pour se tirer d’affaire ou devenir le Maître du jeu.

Pour terminer, je dirai que même si les descriptions d’environnements sont réduites au minimum vital, l’auteur dépeint ses personnages de manière suffisamment détaillée, et surtout, montre à merveille la société régie par « la bouteille », avec ses atrocités, telles que le servage et la classification.

Le mot de la fin

 

Loterie Solaire est un roman court, mais qui témoigne de l’habileté dont faisait déjà preuve Philip K. Dick en tant que jeune auteur. Peut-être que ce n’est pas son œuvre la plus mémorable, mais il peut-être néanmoins intéressant de le lire si vous souhaitez découvrir la plume de l’auteur, ou si vous souhaitez lire l’un de ses romans méconnus.