Blade Runner, de Philip K. Dick

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler de l’un des romans les plus célèbres de Philip K. Dick.

Blade Runner


Introduction


Philip K. Dick est un auteur de science-fiction américain né en 1928 et mort en 1982. Il est l’auteur d’une œuvre titanesque, avec une cinquantaine de romans et plus d’une centaine de nouvelles. L’un des motifs récurrents de son œuvre questionne la notion même de réalité à travers la mise en scène d’univers truqués, ou l’humanité, avec des personnages qui redéfinissent les limites de l’humanité. Ces thématiques se retrouvent dans des œuvres comme Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? par exemple, qui a plus tard été adapté au cinéma par Ridley Scott sous le titre Blade Runner.  C’est de ce roman dont je vais vous parler aujourd’hui.

Philip K. Dick a également eu une influence sur des sous-genres comme le cyberpunk, puisque William Gibson, l’auteur de Neuromancien a confié qu’il avait été inspiré par la version cinématographique de Blade Runner, mais aussi de par les sociétés futures qu’il dépeint et l’esthétique qu’il leur donne. À noter que l’auteur connaissait, et était « l’aimable mentor », selon Le Guide Steampunk d’Étienne Barillier et Arthur Morgan, des trois précurseurs (ou ses créateurs) du steampunk, K. W. Jeter (qui est par ailleurs également un précurseur du cyberpunk, avec son roman Dr. Adder), Tim Powers et James Blaylock.

Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui, Blade Runner, est originellement paru sous le titre Do Androids Dream of Electric Sheep, en 1968. Son changement de titre provient de son adaptation cinématographique par Ridley Scott. En France, le roman a été traduit pour la première fois par Serge Quadruppani, en 1976, pour la collection Chute Libre des éditions Champ Libre. Par la suite, cette traduction a été reprise en poche chez J’ai Lu, jusqu’à ce que Sébastien Guillot retraduise le roman pour la collection « Nouveaux Millénaires », en 2012. Cette traduction a ensuite été reprise en poche en 2014. Je m’appuie sur cette nouvelle traduction pour cette chronique.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Le mouton n’était pas mal, avec sa laine et ses bêlements plus vrais que nature – les voisins n’y ont vu que du feu. Mais il arrive en fin de carrière : ses circuits fatigués ne maintiendront plus longtemps l’illusion de la vie. Il va falloir le remplacer. Pas par un autre simulacre, non, par un véritable animal. Deckard en rêve, seulement ce n’est pas avec les maigres primes que lui rapporte la chasse aux androïdes qu’il parviendra à mettre assez de côté. Holden, c’est lui qui récupère toujours les boulots les plus lucratifs – normal, c’est le meilleur. Mais ce coup-ci, ça n’a pas suffi. Face aux Nexus-6 de dernière génération, même Holden s’est fait avoir. Alors, quand on propose à Deckard de reprendre la mission, il serre les dents et signe. De toute façon, qu’a-t-il à perdre ? »

Mon analyse du roman s’intéressera au monde que décrit Philip K. Dick, avec sa noirceur, ses androïdes et ses illusions, puis j’évoquerai la postérité du roman.

L’Analyse


Futur noir, androïdes et illusions


Le monde de Blade Runner est dystopique et postapocalyptique. La Terre a été ravagée par une guerre nucléaire, appelée « Dernière Guerre mondiale », qui a fait disparaître la majorité des espèces animales, et tué et contaminé un grand nombre de personnes.  Certains spécimens animaux subsistent malgré tout, mais sont vendus à des prix astronomiques pour servir d’animaux de compagnie, qui augmentent le prestige social des humains, parce qu’ils sont rares, et donc chers. L’apocalypse nucléaire, à cause des dégâts irrémédiables qu’elle a causé à l’environnement, a accéléré la conquête spatiale pour permettre à l’humanité de quitter la Terre pour coloniser l’espace et s’installer sur Mars, par exemple. Enfin, pour le permettre aux plus riches, puisque les plus démunis, qui n’ont pas les moyens d’émigrer, sont condamnés à rester sur Terre, dans un environnement contaminé par les retombées radioactives. Les colonies spatiales sont alors perçues comme des lieux paradisiaques et éloignés des turpitudes qui règnent sur Terre, ce qui pousse les derniers à vouloir émigrer, à la fois pour éviter la contamination et pour s’élever socialement. Le statut social des colons spatiaux observe également dans le fait qu’ils disposent d’androïdes, des robots qui se trouvent à leur service (j’y reviendrai), pour accomplir les tâches les plus difficiles.

Sur Terre, on remarque des distinctions sociales dans la population, entre les « normaux » et les « spéciaux ». Les premiers, peu contaminés par les radiations, peuvent émigrer vers d’autres planètes et sont autorisés à procréer tant qu’il en est encore temps, tandis que les seconds sont discriminés et condamnés à rester sur Terre, à cause de leur organisme trop endommagé et/ou de leur intellect trop bas, qui fait qu’on les considère comme des « têtes de piaf », comme le personnage d’Isidore. Les « normaux » sont cependant contrôlés régulièrement par la police pour vérifier que leur patrimoine génétique est toujours en bon état, comme l’évoque Deckard. Philip K. Dick décrit donc une société de surveillance eugéniste, qui contrôle la reproduction de ses membres et discrimine les plus contaminés.

L’humanité terrienne semble donc en proie au désespoir, mais deux objets lui permettent d’évacuer ses angoisses considérables, à savoir « l’orgue d’humeur » et « la boîte à empathie ». L’orgue d’humeur permet de manipuler ses propres émotions, en prenant « des doses de fiel » lors de disputes, de la joie, ou même de « la dépression auto-accusatrice » (oui oui). L’orgue d’humeur donne donc aux individus un contrôle accru sur leurs sentiments, ce qui peut sembler libérateur, mais les dépossède de leur capacité à ressentir de manière authentique, ce qui entretient des illusions, déjà  assez présentes dans le roman (j’y reviendrai). Cette programmation des sentiments par le biais de moyens artificiels s’observe dans des récits ultérieurs à Philip K. Dick, à l’image des nouvelles « À la mode, à la mode » dans Danses Aériennesde Nancy Kress, ou VieTM de Jean Baret. Aux orgues d’humeur s’ajoutent les « boîtes à empathie », qui sont des supports de communion des adeptes du « mercerisme », une religion qui prend pour figure (christique) Wilbur Mercer, un homme qui se trouve littéralement sur un chemin de pénitence en plein désert et meurt lapidé. Les utilisateurs de boîte à empathie se connectent et « fusionnent » avec Mercer et entrent en communion, ce qui leur permet de rejoindre momentanément d’autres utilisateurs croyants. L’auteur met ainsi en scène une communion mystique appuyée par une technologie qui simule le réel, puisque les utilisateurs peuvent ressentir l’impact des pierres lancées sur Mercer sur leur propre corps, alors qu’il ne s’agit que d’une illusion. Les technologies de Blade Runner permettent donc à l’être humain de se connecter à ses semblables et de contrôler ses sentiments, ce qui compense le manque d’empathie de certains individus, à commencer par Rick Deckard, le personnage principal du roman.

En effet, Rick Deckard est chargé de tuer, ou plutôt de « retirer » des androïdes venus sur Terre depuis Mars pour prendre la liberté. Il s’agit de modèles « Nexus 6 », conçus par la fondation Rosen, qui sont presque capables de passer pour des humains grâce aux performances de leur « unité cérébrale », au point que certains d’entre eux ressentent des émotions et cherchent à se faire passer pour humains, à l’instar de Luba Luft, qui travaille comme cantatrice dans un opéra, par exemple, ou Pris, qui s’est liée d’amitié avec Roy et Irmgard Baty, deux autres androïdes. Si ces machines sont capables de ressentir des émotions, ce qu’on observe lors des chapitres au cours desquels ils interagissent avec Deckard, ou Isidore, qui les aide à se cacher, Deckard semble manquer d’empathie à l’égard des androïdes qu’il confronte, ce qui apparaît paradoxal, puisque les robots sont trahis par un test d’empathie, le « Voigt-Kampff », qui montre qu’ils ne peuvent supposément en éprouver. Deckard apparaît alors comme un tueur froid et avide, par contraste avec des androïdes épris de liberté.

Deckard est également manipulé, car comme beaucoup de personnages dickiens, il vit dans un monde plein d’illusions. Il est en effet manipulé par les androïdes à plusieurs reprises, parce qu’ils se font passer pour humains et lui tendent des pièges (je ne peux pas vous en dire plus) au point de lui faire douter de la véracité de ce qu’il vit. Le test de Voigt-Kampff, censé briser les illusions, peut également les prolonger parce qu’un doute peut subsister sur le fait que les personnes testées soient des androïdes ou des personnes considérées comme « spéciales » atteintes par un aplatissement de l’affect. Les rencontres, violentes ou non, entre Deckard et les androïdes s’avèrent donc marquées par des faux semblants, comme le montre le personnage de Rachael Rosen, qui est l’un des moteurs d’illusion principaux du roman.  On peut également remarquer que l’illusion fait pleinement partie de la société décrite par Philip K. Dick, avec les animaux « électriques » qui compensent la présence d’animaux réels et marquent un prestige social plus ou moins factice, mais aussi les « orgues d’humeur » et les « boîte à empathie » du mercerisme, qui offrent du réconfort et des sentiments illusoires. De la même façon, le divertissement offert par l’émission permanente de « l’Ami Buster et ses amis », qui semble se moquer des discours télévisuels et de leur art du happening, recèle une grande de factice. Les androïdes eux-mêmes se bercent d’illusions, puisque certains d’entre eux croient réellement être humains, et sont donc aliénés. Le roman de Philip K. Dick montre donc que les personnages qui sont épris de liberté, à l’instar d’Isidore, de Deckard, ou même des androïdes, sont enfermés dans des illusions dont ils ne peuvent que difficilement sortir. 

Postérité


Le roman de Philip K. Dick a durablement influencé la science-fiction, notamment par le biais de son adaptation au cinéma par Ridley Scott en 1982 (la version conforme à la vision de l’auteur est sortie en 1992), et dont Denis Villeneuve a réalisé une suite, Blade Runner 2049, en 2017. L’adaptation de Ridley Scott, a influencé le genre du Cyberpunk, par son esthétique inspirée des romans noirs (ou hardboiled) et bardée de néons, son traitement de l’humanité de la machine, et sa corporation puissante, la fondation Rosen, qui cherche à rendre ses androïdes toujours plus performants et indiscernables des humains. On peut aussi noter que Ridley Scott s’est inspiré de la BD The Long Tomorrow de Moebius, scénarisée par Dan O’Bannon, qui avaient par ailleurs travaillé avec Alejandro Jodorowsky sur son adaptation avortée du roman Dune de Frank Herbert. Après l’abandon du projet, Moebius et Jodorowsky travailleront sur la BD L’Incal

L’écrivain K. W. Jeter, a écrit des suites au roman, The Edge of Human et Replicant Night, traduits en français sous les titres Blade Runner 2 et 3. On peut également remarquer des similitudes entre le roman de son mentor et Dr Adder, qui met en scène un télévangéliste, John Mox, qui combine certaines caractéristiques de Mercer et de l’ami Buster, notamment son caractère fédérateur et christique, qui passe par une omniprésence télévisuelle.

Le mot de la fin


Blade Runner, ou Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques, est un roman de Philip K. Dick qui met en scène le chasseur de primes Rick Deckard, chargé d’abattre des androïdes en fuite dans un monde postapocalyptique.

L’auteur décrit ainsi une Terre ravagée par une guerre nucléaire, dont les retombées radioactives contaminent la population, qui cherche à émigrer vers des colonies spatiales plus sûres. Rick Deckard fait partie des individus restés sur Terre par manque de moyens, et gagne sa vie en tuant des androïdes ayant échappé au contrôle de leurs maîtres humains, et se lance sur les traces des Nexus 6.

Les différentes confrontations entre Deckard et les androïdes questionnent, à travers la présence ou le manque d’empathie, ce qui fait l’humanité.

Il s’agit du deuxième roman de Philip K. Dick que je lis, et j’aime beaucoup !

J’ai également lu et chroniqué d’autres romans de l’auteur, Loterie solaire

30 commentaires sur “Blade Runner, de Philip K. Dick

  1. J’ai lu ce livre il y a bien longtemps et ta chronique m’a donné envie de le relire. Je me rappelle le doute permanent sur l’humanité de Deckard lorsque je lisais ce roman, doute beaucoup + présent dans le bouquin que dans la version cinématographique.

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  2. J’entre dans une période où le cyberpunk m’intéresse un peu plus qu’avant, mais les passages dont tu parles concernant les illusions me refroidissent… J’ai cru comprendre que l’auteur n’était pas le dernier à consommer des substances illégales et j’y vois là une influence. Je pense donc que je me contenterai du film :p
    Sinon, je me permets de te signaler que tu as laissé deux erreurs derrière toi :

    pour permettre à l’humanité de quitter la Terrz

    L’adaptation de Ridley Scott, z influencé le genre du Cyberpunk

    Rien de bien méchant 🙂

    Aimé par 1 personne

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