Trop semblable à l’éclair, d’Ada Palmer

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, il est temps que je te parle d’un roman qui m’a mis une énorme claque en termes de science-fiction. Aujourd’hui, laisse-moi te présenter

Trop semblable à l’éclair, d’Ada Palmer

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Introduction

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse éditions du Bélial’, que je remercie chaleureusement pour leur envoi du roman !

Ada Palmer est une autrice de science-fiction américaine née en 1981. Elle est également une universitaire spécialiste de la Renaissance.

Son premier roman, Trop semblable à l’éclair (Too Like the lightning en VO), est paru en 2016 aux États-Unis et a été acclamé par la critique, au point qu’elle a remporté le prix Campbell, et que son roman a été nominé au prix Hugo en 2017 (qui a été remporté par La Porte de cristal de N. K. Jemisin). Il constitue la première moitié d’un diptyque qu’il forme avec Sept Redditions, qui paraîtra en français en 2020.

En VF, Trop semblable à l’éclair a été traduit par Michelle Charrier pour les éditions du Bélial’. À noter qu’elle a également traduit La Terre fracturée de N. K. Jemisin, et Poumon vert de Ian R. Macleod, que je vous recommande chaudement.

Voici la quatrième de couverture du roman :

«  Année 2454. Trois siècles après des événements meurtriers ayant remodelé la société, les concepts d’État-nation et de religion organisée ont disparu. Dix milliards d’êtres humains se répartissent ainsi par affinités, au sein de sept Ruches aux ambitions distinctes. Paix, loisirs, prospérité et abondance définissent ce XXVe siècle radieux aux atours d’utopie. Qui repose toutefois sur un équilibre fragile. Et Mycroft Canner le sait mieux que personne… Coupable de crimes atroces, condamné à une servitude perpétuelle mais confident des puissants, il lui faut enquêter sur le vol d’un document crucial : la liste des dix principaux influenceurs mondiaux, dont la publication annuelle ajuste les rapports de force entre les Ruches. Surtout, Mycroft protège un secret propre à tout ébranler : un garçonnet aux pouvoirs uniques, quasi divins. Or, dans un monde ayant banni l’idée même de Dieu, comment accepter la survenue d’un miracle ? »

Mon analyse du roman vous parlera d’abord de l’éventuelle difficulté qu’il peut vous poser, puis du personnage narrateur du roman, Mycroft Canner, et enfin je m’attarderai sur l’univers, l’intrigue, et les thématiques de Trop semblable à l’éclair.


L’Analyse

Difficulté ?

Suite à une discussion avec FeydRautha (je vous conseille d’ailleurs vivement d’aller lire son blog, d’ailleurs) à propos du roman, il me semble important de clarifier quelques éléments à propos de l’éventuelle difficulté de lecture que peut vous poser le roman.

Je tiens tout de même à préciser qu’il ne s’agit pas de me placer dans une posture hautaine ou condescendante et de juger d’un mauvais œil ceux à qui le roman aurait déplu, ou vous expliquer pourquoi ce roman est difficile à lire, mais pourquoi il peut l’être.

Trop semblable à l’éclair est un roman de SF qui peut effectivement s’avérer difficile à lire, non pas parce qu’il mobilise des notions scientifiques extrêmement complexes comme Diaspora ou Vision Aveugle (que je vous recommande chaudement), mais parce qu’il prend modèle sur Jacques le fataliste et son maître de Diderot en termes de narration, avec donc des digressions qui prennent la forme d’adresses au lecteur ou de passages philosophiques, en plus de jouer avec les attentes de celui-ci pour le mener sur de fausses pistes.

Il s’agit donc d’un roman de SF lettré, au sens strict du terme, puisqu’il mobilise des références littéraires et philosophiques avec des éléments du style de Diderot et des Lumières, et doté d’une intrigue qui va requérir votre concentration, parce que l’autrice ne vous donne pas toutes les clés de compréhension dès les premières pages.

Voilà quelles peuvent être les difficultés que peut vous poser Trop semblable à l’éclair, et je pourrais presque reprendre ce que j’avais dit il y a un peu plus d’un an à propos d’Anatèm de Neal Stephenson : si vous vous lancez dans le roman en sachant à quoi vous attendre et si vous êtes concentrés, vous devriez pouvoir en venir à bout et en tirer une certaine satisfaction.

Mycroft Canner, narrateur singulier, narration protéiforme

Le roman d’Ada Palmer est narré par Mycroft Canner, qui écrit pour raconter au lecteur la manière dont son monde a changé. Mycroft apparaît donc un personnage écrivain qui s’adresse au lecteur, pour le prévenir qu’il va le haïr, d’abord de par ce qu’il raconte, en raison du caractère parfois violent des événements qu’il va exposer mais aussi en raison de sa propre nature de criminel. On ne sait rien des exactions qu’il a commises au début du roman, et lorsqu’on apprend quelles horreurs il a commises, notre perception de lui change complètement et nous révèle qu’il n’est pas véritablement fiable en tant que narrateur.

Les adresses fréquentes au lecteur de Mycroft brisent allégrement le quatrième mur, c’est-à-dire l’illusion romanesque, pour lui décrire le monde dans lequel il vit, faire des commentaires sur les personnages, traiter de questions philosophiques et de narration, ou même le mener en bateau ou manipuler son horizon d’attentes par rapport à son récit, et commenter ou se moquer de ses illusions, ou encore avouer inventer certaines scènes des événements qu’il retranscrit.

Mycroft remet donc souvent en question la fiabilité de sa narration, et manipule ouvertement son lecteur, qu’il fait même intervenir dans le récit pour contester ses prises de décisions en tant qu’écrivain, telles que le fait de genrer les personnages par exemple, d’en surnommer d’autres d’une manière qui transmet son ressentiment sur eux, ce qu’on peut observer dans le fait qu’il qualifie Thisbe Saneer-Weeksbooth de « sorcière » par exemple.

Ces fractures du quatrième mur établissent un parallèle entre la manière dont Mycroft raconte son récit et la narration de Jacques le fataliste et son maître de l’auteur des Lumières Diderot, dans lequel Jacques interrompt sans cesse son récit pour faire des digressions philosophiques, discuter avec son lecteur, ou même raconter d’autres événements. On peut noter que ce parallèle est rendu complètement explicite par Ada Palmer, qui cite le roman de Diderot avant l’adresse au lecteur de son personnage narrateur.

Mycroft est donc comme un personnage très ambivalent, tant dans son comportement extradiégétique (l’adresse au lecteur, ses choix de narrations), que dans son statut intradiégétique.

En effet, il dispose d’accès privilégiés à des dizaines de bases de données et il peut espionner énormément de personnes, alors qu’il est un Servant, c’est-à-dire un criminel que l’on a condamné à servir la société et à ne plus avoir de droit de propriété, et que l’on ne peut payer qu’en lui donnant un repas. Ada Palmer fait ici référence à un système judiciaire inventé par Thomas More, l’auteur de L’Utopie.

Paradoxalement, alors que les Servants s’acquittent de tâches ingrates telles que nettoyer les rues, Mycroft sert les puissants, comme le bash Saneer-Weeksbooth, dont les membres gèrent la sécurité du trafic des voitures volantes qui permettent de voyager d’un bout à l’autre de la Terre en très peu de temps, ou les leaders politiques des différentes Ruches et des figures d’autorité de son époque, à l’instar d’Ando Mitsubishi, l’Empereur Cornel MAÇON, le Censeur Vivien Ancelet, ou encore le mystérieux J.E.D.D Maçon, fils de l’Empereur. Mycroft côtoie ainsi tous les dirigeants de Ruches et les personnages les plus importants du monde, se trouve presque être leur intime parce qu’il connaît leurs vies personnelles, mais il reste un Servant, ce qui rend sa condition très paradoxale, parce qu’il est au plus près du pouvoir décisionnel de son monde, mais se trouve aliéné par sa condition, qui l’oblige à les servir sans jamais être leur égal. On peut retrouver ce type de condition paradoxale dans la série Sénéchal de Grégory Da Rosa, où le personnage de Philippe Gardeval, sénéchal du roi, est sans cesse ramené à sa condition sociale de gueux parmi les nobles qu’il côtoie.

La condition particulière de Mycroft permet à Ada Palmer de le singulariser et de montrer qu’il dispose d’un pouvoir important malgré son statut.

L’une des particularités de Mycroft est de savoir parler un grand nombre de langues, à une époque où la plupart des personnages ne sont « que » bilingues, c’est-à-dire qu’ils disposent d’une langue commune, l’anglais, et d’une langue majoritaire dans leur Ruche.

En effet, plusieurs langues apparaissent dans le récit et sont signalées différemment par le personnage narrateur, avec d’abord l’anglais, qui est la langue majoritaire dans le récit puisqu’elle est la langue commune des personnages, mais aussi l’espagnol parlé par le roi d’Espagne ou certains membres du bash Saneer-Weeksbooth, comme Ockham Saneer et qui se signale par l’emploi d’une ponctuation des questions et des exclamations similaire à celle de l’espagnol, le français parlé par Danaé et le Président Ganymède, le japonais parlé par certains Mitsubishi d’origine japonaise comme Ando, ou encore le latin parlé par les Maçons tels que Martin Guildbreaker, ou J.E D. D. Maçon, qui se signale par leurs tournures de phrases et la présence de phrases en latin. On peut cependant noter que les Maçons parlent le néolatin, c’est-à-dire le latin parlé entre le Moyen-âge et la fin du 19ème, sauf dans le cas de J. E. D. D. Maçon, qui parle en latin classique, qui est la langue d’auteurs tels que Virgile ou Plaute.

Mycroft fait des commentaires sur sa propre traduction en anglais de ces langues, en montrant notamment qu’il ne peut pas traduire à la perfection certains idiomes provenant de langues différentes de l’anglais, ou qu’il répugne à traduire certaines langues, notamment le latin. Cette connaissance des langues renforce encore la singularité de Mycroft, et montre également sa proximité avec les pouvoirs régissant son monde, puisqu’il en comprend les langues qu’ils emploient.

Ada Palmer fait de nombreuses références aux Lumières, qui sont philosophes européens du 18ème siècle, par des mentions et des citations directes de leurs œuvres. Ainsi, Diderot est appelé « le Philosophe », Sade « le marquis », Rousseau, « Jean-Jacques ». Trop semblable à l’éclair rend particulièrement hommage à Voltaire, considéré comme le fondateur de la société du roman puisqu’il est appelé « le Patriarche » par Mycroft.

Ce dernier décide d’ailleurs de raconter son histoire avec un langage daté qui emprunte au 18ème siècle, dans le vocabulaire, et dans la graphie, ce qu’on observe lorsque le lecteur s’exprime, puisque dans la traduction de Michelle Charrier, on a une reproduction de certaines lettres de l’ancien français comme le s long, ainsi que des formes orthographiques archaïques du français, « mauvois » pour mauvais, par exemple.

Les jeux sur la langue sont donc très importants, puisque Mycroft interroge le sens des mots et leur étymologie, ce que permettent ses grandes connaissances linguistiques, qui se trouvent associées à sa capacité à parler plusieurs langues. Il commente ainsi les néologismes de son époque, avec les termes comme « voqueur » et « vocateur », qui désignent une personne passionnée par son travail et qui y passe plus de 20h par semaine, qui est devenu le temps de travail réglementaire. On peut aussi supposer la présence de clins d’œil à d’anciens récits de SF, avec un personnage qui s’appelle Seldon, ce qui peut être une référence à Hari Seldon du cycle Fondation d’Isaac Asimov.

La narration de Trop semblable à l’éclair est protéiforme, et emprunte là encore au siècle des Lumières. En effet, les dialogues prennent parfois l’aspect de dialogues de théâtre avec des didascalies, ce qu’on peut expliquer par le fait que le théâtre était le genre noble par excellence au siècle de Voltaire, parce que c’était celui qui donnait le plus de reconnaissance aux auteurs. Ada Palmer intègre également des chats textuels pour retranscrire certaines prises de paroles, notamment celles des personnages immuables.

La narration est protéiforme également parce qu’elle se trouve entrecoupée par les réflexions philosophiques souvent référencées et les adresses au lecteur de Mycroft.

Narration, univers et thématiques

 

Dans Trop semblable à l’éclair, Ada Palmer traite de la Terre au 25ème siècle, qui s’avère très différente de notre époque. En effet, la religion s’est trouvée éradiquée de la société au point qu’il est interdit d’en parler en public, ou au cours d’une conversation qui mobilise plus de deux personnes.

Cependant, cette société comporte des sensayers, des équivalents des directeurs de conscience du 17ème siècle (qui étaient chargés d’encadrer la foi des individus), qui cherchent à aider les individus à construire leur manière d’appréhender le monde grâce à l’histoire, la philosophie ou la théologie, mais qui n’ont pas le droit de parler de leurs propres croyances, à cause des lois anti-prosélytisme.

La société décrite par Ada Palmer s’avère ainsi antireligieuse, à cause des guerres de religion modernes qui ont failli détruire le monde. On remarque que des guerres de religion aux conséquences dramatiques sont également présentes dans l’univers de La Fleur de dieu de Jean-Michel Ré, à l’échelle interstellaire, mais avec des effets inverses sur la société, puisque si ces guerres ont amené à une plus grande tolérance religieuse chez Jean-Michel Ré, la société de Trop semblable à l’éclair a mis en place des lois anti-prosélytisme et techniquement banni l’idée même de Dieu.

Le monde que décrit l’autrice est extrêmement technologique. Ainsi, la population porte des « traceurs », des oreilles qui enregistrent leur fréquence cardiaque et veillent à leur sécurité, au point qu’elles appellent les forces de l’ordre si elle augmente, les gènes des orphelins sont catalogués pour pouvoir retrouver la trace de leurs parents et donc savoir si leur passé est chargé ou pas, les animaux de compagnie peuvent prendre la forme de robots ou d’animaux génétiquement modifiés, les transports sont extrêmement rapides et prennent la forme de voitures volantes, les « realpoupées » sont des jouets reproduisant à la perfection le corps humain, le cinéma a intégré les odeurs dans les films…

Trop semblable à l’éclair présente également des individus qualifiés « d’immuables », qui vivent en partie reliés à des ordinateurs, dans des mondes de données, ce qui fait qu’ils parlent en textant, à l’instar d’Eureka Weeksbooth du bash Saneer-Weeksbooth. Les immuables vivent ainsi sans se soucier de leur corps de chair, dont ils ont réécrit les sens et les nerfs pour être bien plus efficaces que les humains standard, mais ils sont cependant discriminés et victimes de clichés.

Ces technologies marquent l’aspect futuriste du récit d’Ada Palmer, et représentent des enjeux sociopolitiques de taille, puisqu’une faille dans la sécurité des voitures volantes pourrait paralyser l’économie mondiale.

La société dépeinte par Ada Palmer est organisée entre sept Ruches, (Humanistes, Cousins, Mitsubishis, Gordiens, Maçons, Utopistes, Européens), qui regroupent des individus de même culture et de même philosophie, ce qui met à bas le concept traditionnel de nation, qui reste tout de même présent au sein de la ruche Mitsubishi, divisée par des dissensions internes entre Japonais, Chinois, Indiens et Coréens.

Les Ruches ont ainsi des objectifs, des fonctions, des intérêts et des cultures différents. Les Cousins dirigent les maisons de retraite, les associations caritatives, les orphelinats et le programme des Servants par exemple, les Humanistes sont nés de la fusion entre la scène sont passionnés par l’excellence et l’accomplissement humain, qu’il soit dans les arts ou le sports, les Gordiens de l’institut Brilliste sont capables de lire le comportement de manière extrêmement méthodique, les Utopistes veulent conquérir l’espace et terraformer Mars, les Mitsubishi fonctionnent comme une démocratie actionnariale… . Même si elles possèdent des politiques et des fonctionnements différents, les Ruches coopèrent et évitent les conflits, ce qu’on observe dans le fait que leurs dirigeants sont souvent en contact les uns avec les autres, ou que certains personnages, tels que Mycroft ou J.E.D.D Maçon, soient rattachés à plusieurs d’entre elles. Cependant, les événements narrés par Mycroft peuvent laisser penser que certaines d’entre elles cherchent à prendre le dessus sur les autres.

Dans le roman d’Ada Palmer, la famille telle qu’on la connaît n’existe plus, et est remplacée par les bashs, c’est-à-dire des groupes de 4 à 20 personnes élevant leurs enfants en commun, qui fait donc disparaître le concept traditionnel de famille et émerger une plus grande liberté dans les relations. Les pronoms genrés ont disparu et leur usage est jugé inconvenant et très impolis, ce qui fait que pour parler d’une tierce personne dans une conversation, on emploie le « on » (they en VO). Ada Palmer choisit cependant d’utiliser les pronoms genrés dans le texte de Mycroft, en résonance avec le 18èmesiècle, mais pour traiter des attitudes des personnages, et pas de leur sexe biologique, même s’il se heurte parfois à des stéréotypes, ou au contraire, en déconstruit d’autres.

Ainsi, le monde décrit par Ada Palmer questionne la notion d’utopie. En effet, si la vie semble beaucoup plus facile dans le futur qu’elle décrit qu’à notre époque, Mycroft montre tout de même que les Servants ne sont rien de moins que des esclaves modernes condamnés à des travaux d’intérêts généraux à perpétuité, que des discriminations existent encore, contre les immuables notamment, de même que les inégalités sociales, puisque les loyers que font payer les Mitsubishis, qui possèdent la majorité de l’immobilier terrestre, sont très élevés.

La narration de Trop semblable à l’éclair s’articule autour de deux événements, qui vont avoir des conséquences à plus ou moins long terme et auxquels Mycroft se trouve rattaché.

Premièrement, Mycroft doit enquêter sur la disparition d’une des « liste des Sept-Dix », une liste qui donne les noms des dix personnes les plus influentes dans le monde selon son auteur. Ces listes sont extrêmement importantes parce qu’elles sont établies par plusieurs journaux, et l’une d’entre elles, celles du journal Black Sakura, a été volée puis est réapparue.

Les enjeux sont très importants autour de ces listes, parce qu’elles déterminent quelles Ruches ont le plus de pouvoir dans le monde, qui peuvent donc bouleverser l’opinion publique et la politique, avec des conséquences pouvant entraîner des dérèglements économiques et politiques, à cause des rapports entre les Ruches. Par exemple, les Mitsubishis possèdent énormément d’immobilier mais pourraient décliner à cause d’une liste qui montre qu’ils sont faibles et ne détiennent finalement que peu de pouvoir, par exemple.

Ces listes peuvent donc apparaître comme des préludes à une crise politique majeure. Les enjeux politiques sont donc très importants et se concentrent auprès des dirigeants de Ruches et du bash Saneer-Weeksbooth, dont les membres assurent la sécurité des voitures volantes et chez qui la liste dérobée a été retrouvée. L’une des tâches de Mycroft va être de retrouver qui a volé la liste, pourquoi, et d’examiner ce que son contenu va engendrer comme conséquences politiques et sociales sur le monde.

La deuxième trame narrative importante du roman d’Ada Palmer concerne le personnage de Bridger, un jeune enfant doté de pouvoirs littéralement divins qui lui permettent d’accomplir des miracles, tels que donner vie à des objets inanimés tels que la troupe de soldats qui l’accompagnent et qui sont en fait des jouets, ou son chien bleu Boo, ou encore de guérir des maladies graves.

Bridger et ses pouvoirs constituent ainsi un événement unique et potentiellement dangereux dans une société où la religion et l’idée même de dieu sont bannies. L’enfant va se construire grâce à Mycroft, dans une relation quasiment parentale, mais aussi à Carlyle Foster, le sensayer qui va l’aider à gagner en maturité et se développer philosophiquement.

Bridger apparaît ainsi comme un Messie auquel il faut apprendre à se servir de ses pouvoirs, mais qu’il faut aussi protéger d’un monde qui pourrait tenter de l’exploiter. L’un des enjeux du récit est donc de cacher l’existence de Bridger au monde, afin d’éviter que le secret de ses pouvoirs ne se répande.

Mycroft doit donc concilier la sécurité de son protégé avec son enquête, qui l’amène à rester en quasi-permanence avec les puissants de son époque.


Le mot de la fin

 

Pour moi, Trop semblable à l’éclair fut une véritable claque en matière de science-fiction et de narration.

Ada Palmer dépeint un 25ème siècle dans lequel la religion est bannie et remplacée par une construction intellectuelle individuelle grâce aux sensayers, des directeurs de conscience modernes qui dialoguent avec les personnes pour les aider à saisir le monde, des voitures volantes extrêmement rapides permettent de rallier en peu de temps n’importe quelle destination terrestre, le concept d’état-nation est remplacé par les Ruches, qui rassemblent des personnes dotées des mêmes idées et conceptions politiques, et la famille traditionnelle a disparu au profit des bash, qui sont des groupes de 4 à 20 individus élevant leurs enfants en commun.

Dans cette société, les rapports de force entre les entités politiques que sont les Ruches sont notamment déterminées par les listes des Sept-Dix, qui déterminent quels individus possèdent le plus d’influence dans le monde. L’une d’entre elles a été volée puis est réapparue, et le classement qu’elle établit risque d’entraîner des conséquences politiques majeures.

Les dirigeants des Ruches ordonnent à Mycroft Canner, un criminel devenu un Servant chargé de travaux publics, d’enquêter sur ce vol et ses implications.

Mycroft Canner est le personnage narrateur et écrivain du roman, à qui Ada Palmer confère un style très marqué par l’influence des philosophes des Lumières, et surtout celle de Jacques le fataliste de Diderot, avec des digressions philosophiques, et des adresses fréquentes au lecteur pour le manipuler ou jouer avec ses perceptions. Il se révèle être un personnage ambivalent, puisque malgré sa condition de Servant, il côtoie les personnages les plus puissants du monde et dispose d’atouts de poids, tels que ses connaissances linguistiques ou ses accès à des bases de données restreintes. En plus de son enquête, Mycroft doit également protéger Bridger, un enfant doté de pouvoirs divins, puisqu’il peut donner vie à des objets inanimés ou guérir n’importe quelle maladie, ce qui apparaît inconcevable dans une société qui ne veut plus croire en Dieu.

Trop semblable à l’éclair est donc un roman de SF lettré, philosophique, intelligent narrativement, et porté par un personnage narrateur ambigu et fascinant, à sa manière.

Je ne peux que vous le recommander, et j’attends la suite du cycle Terra Ignota avec impatience ! J’ai lu deuxième volume de Terra Ignota, Sept Redditions, et c’est formidable.

Vous pouvez également consulter les chroniques de FeydRautha, Just A Word, Célindanaé, Lianne, Anouchka, Cédric Jeanneret, Blackwolf, Tachan, Vert, Tigger Lilly, Laird Fumble, Fourbis et Têtologie, L’Ours Inculte, Ombrebones, La Taverne d’Onos, Lorkhan, Rêve général

 

49 commentaires sur “Trop semblable à l’éclair, d’Ada Palmer

      1. Je la trouve très très utile même d’autant que ça m’éclaire de manière concrète sur les difficultés en question. Et ce qui a rebuté certains m’attire au contraire à la lumière de ce que tu expliques parce que ces références me plaisent. Donc tu as aidé à résoudre mon hésitation quant à ce roman o/

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      2. Je ne vais pas pouvoir le lire tout de suite (j’ai envie d’achever tous mes SP de 2019 en décembre du coup il m’en reste quelques uns..) mais je ne manquerais pas d’en écrire une chronique s’il me plait ^-^

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  1. Pas certain que j’aimerais. Ca fait bien 10-15 ans que je n’ai pas touché à Jacques le fataliste, donc je ne me souviens plus trop bien ^^. Je pense qu’il y a d’autres procédés narratifs, plus agréables, qui permettent de soulever des questionnements. Donc ça pourrait m’énerver. Néanmoins, j’aime bcp la SF qui fait réfléchir sur le plan de la philosophie et des sciences humaines. Vu les critiques élogieuses, je pense donc que je m’y collerai, ne serait-ce que pour m’assurer que je ne passe pas à côté d’un bouquin que je ressentirai moi aussi comme une claque.

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  2. magnifique début de chronique (je suis en plein dedans donc je ne voulais pas trop me spoiler en tous cas oui il est complexe a lire mais j’avoue que pour l’instant c’est un vrais régale ^^ (mais c’est pas un livre a lire a la sauvette dans un bus ^^)

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